Le bilan des révolutions arabes est plutôt encourageant jusqu’à présent. Contrairement aux pronostics, l’Égypte se rebelle contre l’islamisme.
Par Marc Crapez.
Il y a déjà deux ans que s’immolait en Tunisie Mohamed Bouazizi, marchand ambulant molesté par des fonctionnaires corrompus. En moins d’un mois, le dictateur prenait la poudre d’escampette. Cette révolution de palais sonnait l’heure d’un phénomène révolutionnaire d’ampleur historique.
Deux ans de printemps arabe. Et déjà un an et demi de prophéties erronées et autres pronostics démentis quant à un hiver islamiste. Tout le monde va au plus facile avec cette rengaine. Or, il y a autant de cartes en main pour un scénario de démocratisation laborieuse que pour la survenue de régimes de dictature islamiste.
À l’heure actuelle, l’islam doit se réformer car il soulève plus de problèmes d’intolérance, de fanatisme et de prosélytisme que le boudhisme. Ça crève les yeux. Mais cela ne compromet pas nécessairement le bon déroulement des révolutions arabes. Imputer la révolution iranienne au totalitarisme vert, c’est oublier tout ce que ce cas d’école a d’analogies avec le jeu de bascule entre Batista et Castro. Certes, cette dictature doit beaucoup à l’islamisme, mais elle doit également au repoussoir d’un ancien régime honni. Ce spectre n’existe pas au même degré en Égypte, ni même en Tunisie.
Revers transitoires et aggravations passagères
Tout processus révolutionnaire a son lot de manifestations, d’émeutes, de gouvernements provisoires, transitoires, renversés, révoqués, trahis, bafoués. Par essence, tout basculement révolutionnaire frôle en permanence les précipices de la dictature. Ma conviction est que le loup islamiste peut très bien échouer à croquer l’agneau démocratique. Que la démocratie, avec ses contre-pouvoirs, essoufflera l’islamisme et contribuera, malgré revers transitoires et aggravations passagères, à transformer l’islam.
Pour lors, l’islamisme grignote du terrain mais les entraves qu’il rencontre sont vivaces. On le voit en Égypte, en ce moment, avec le refus du décret du 22 novembre. Cette suspension temporaire des possibilités de recours contre l’arbitraire rencontre une opposition farouche, avertie des risques que comporte une restriction prétendue momentanée aux libertés. L’actuel président, élu par défaut, avec une faible participation, face à un adversaire compromis avec l’ancien régime, aura trop de mal à se maintenir pour songer à livrer son pays aux islamistes. Au Pakistan, également présenté comme une poudrière, le cocktail entre institutions démocratiques et structures traditionalistes peut repousser le risque d’une dictature islamiste.
J’avais attiré l’attention sur l’impasse afghane et sur l’importance de la révolution manquée du peuple iranien. En novembre 2010, un mois avant les premières étincelles du printemps arabe, je concluais un article en écrivant : « Les clans des dirigeants sont pacifistes, mais cette dichotomie avive les tensions au sein des nations arabo-musulmanes ». En juin puis novembre 2011, avant que le sujet ne devienne à la mode, il m’a semblé que le soulèvement syrien serait victorieux et contribuerait à entraîner les révolutions arabes sur le chemin de la démocratie, en conférant au phénomène révolutionnaire ses lettres de noblesse.
En Syrie, se profile une partition. Ce serait un non-sens de soutenir le tyran au lieu de tendre la main aux embryons de pouvoirs locaux. Une révolution populaire est à l’œuvre. Geste héroïque d’un peuple pour recouvrer sa fierté et prendre en main son destin. Voilà qui pourrait faire office de mythologie politique pour l’opinion publique, de coup de semonce pour les dictateurs et des trois coups pour l’entrée en scène de la démocratie dans un monde arabe qui commence à s’extraire de la dictature.
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