Une de mes filles m’avait offert jadis un livre sur Edward Hopper (édité par Taschen, on y retrouve la plupart des oeuvres exposées au Grand Palais), mais voir de près un tel rassemblement de chefs-d'oeuvres couvrant une grande partie de XXème siècle, et dont l’apogée se situe au moment où notre jeunesse insouciante ne nous avait pas encore apporté le regard adéquat, nous permet aujourd’hui de découvrir un grand peintre figuratif de notre folle époque.
A contre-courant des mouvements modernistes de son temps, Edward Hopper (né le 22 juillet 1882 à Nyack dans l’État de New York et mort le 15 mai 1967 à New York) nous donne à voir une Amérique de la middle-class ultra-conventionnelle où des couples muets regardent au loin par les fenêtres d’hôtel impersonnels. Des leitmotivs : la façade à blocs nervurés, le grand immeuble rouge, les rails et les traverses, le soleil entrant dans une pièce vide … Une magistrale rétrospective de ce peintre qui connut ses premiers succès à partir de 1918 (un prix récolté à l’occasion d’une couverture de magazine d’entreprise) et ne vendit son premier tableau qu’en 1911, puis plus rien pendant 10 ans.
Car rien chez ce peintre n’est anti-conventionnel : issu d’une famille de petits commerçants, il s’oriente vers une carrière d’illustrateur qui le fait vivre mais qu’il méprise. Edward Hopper achète sa première voiture en 1927, puis un terrain à South Truro en 1933, commence à être reconnu en 1935, a un parcours linéaire jusqu’à sa mort en 1967. Sans éclat, sans bruit.
Il peint, se marie avec une des élèves de son école d’art, n’utilisera désormais comme modèle que son épouse (ses nus vieillissent avec le temps), avec laquelle les rapports ne sont pas des meilleurs. Il est fasciné par la lumière, le vent qui souffle dans les voilages, les trains, les maisons isolées comme celle qui inspira Hitchcock.
Il faut faire l’effort de réserver pour voir cette exposition exceptionnelle : à croire qu’il n’existe plus en ce moment un seul tableau d’Edward Hopper dans aucun musée car tous sont ici, dans une présentation très classique qui évoque les influences : Degas, Manet, Albert Marquet, Félix Vallotton … puis donne un aperçu de ses talents d’illustrateur – magnifique affiche « Smash the Huns » pour le Dry Docks Morse Dial – où l’on voit l’ouvrier du chantier naval brandir une masse contre des baïonnettes ensanglantées (1918). Et son tableau « Soir bleu », en référence aux vers de Verlaine, et qui symbolise la place de l’artiste – figuré sous le maquillage d’un clown triste – dans la société.
Edward Hopper aimait la France. Mais en dépit de la vogue des Impressionnistes qui a imprégné sa formation, il a très vite trouvé son style personnel unique, fascinant, dont il ne se détacha jamais, jusqu’à sa dernière œuvre « Deux comédiens » où il tire sa révérence, en même temps que son épouse.
Tout le monde connaît son tableau publié partout « Night Hawks » de 1942 : ces êtres qui regardent le vide, dans la lumière crue d’un bar de nuit … tableau maintes fois utilisé, détourné, galvaudé.
On n’imagine pas ses aquarelles réalistes et soyeuses, ses gravures intimistes, ses toiles où dominent le soleil, le contraste de la lumière crue et des murs lépreux, la douce brise qui vient lécher des corps silencieux et offerts, l’incommunicabilité palpable de ces couples indifférents ...
Edward Hopper, rétrospective, aux Galeries du Grand Palais Av. Winston-Churchill (VIIIe). Horaires: 10 h-22 h du mer. au sam., 10 h-20 h dim. & lun., fermé mar. Jusqu'au 28 janvier.