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Ce matin là.....

Publié le 29 mars 2008 par Maloguillaume

chapitre 1

Ce matin était un vrai matin bien ordinaire. Comme tous les matins je me suis prélassée au lit jusqu’à ce que la maison devienne silencieuse. Et puis je me suis levée, j’ai bu mon café, j’ai rêvassé et tout à coup ma vie a basculé.
Il est midi et j’ai rompu avec tout ce qui était ma vie.


Connaissez vous ce feeling qui m’a souvent assailli à l’aéroport , à l’arrivée des passagers, il y a toujours des gens avec des panneaux « Mme Smith » ou « Mr Dubois » qui sont ces gens ? pourquoi sont ils attendus ? attendus par des inconnus…..l’envie m’a toujours titillée de suivre le monsieur qui porte le panneau…sans rien dire….comme si bien sur je suis Mme Smith….pas besoin de le préciser ! et je me retrouverais à embrayer dans une autre vie que la mienne, pour une heure, un jour, un an ? il me faudrait agir comme quelqu’un d’autre sans me faire démasquer, jouer de mon intuition, de mon audace, de mon goût de la farce, de mon aptitude à me régaler d’une telle situation…..Vivre une expérience inédite.

Une autre sensation qui me tombe dessus régulièrement est celle du « qu’est ce que je fous là ? » avec l’acuité exacerbée d’une absurdité. J’ai à ces moments là la certitude de vivre complètement à coté de moi-même une vie où je joue et non une vie que je vis. Je regarde mes proches comme des étrangers me demandant bien comment ils se sont faufilés dans mon cadre et ne croyant pas vraiment aux liens qui semblent être tissés entre nous….est il bien mon fils ? mon mari ? et comment en est t-on arrivés là ? Ma vie m’attend ailleurs et je vais être en retard. Excusez moi, je ne faisais que passer, vous allez très bien y arriver sans moi….Ceci est un malentendu, je suis désolée…..Ciao !
Et puis après une bonne douche, ou un coup de fil la réalité s’impose et je me trouve très coquine d’avoir eu de telles pensées….Mais non je ne le pense pas vraiment ! penses tu ! mais le ver est dans le fruit et il s’en régale….à me pourrir la vie, à semer le doute face à mes pauvres certitudes. Comment as tu pu en arriver là…..Tu as tout loupé, t’as rien compris, t’as tout faux, ils te l’avaient bien dit, eux, les autres qui ont toujours raison, qui savent tout mieux que moi….

chapitre 2

Tellement mieux que moi que ça m’arrive d’aller les consulter (même en les payant !)…Un comble, moi qui ai craché pleuré pissé sur les divans, qui suis passée de l’autre coté où on écoute avec soif mes propos et mes visions, mes interprétations…..en bref une dichotomie totale, usurpation de position temporelle, schizophrénie de mes personnages intérieurs qui se bouffent parfois encore le nez. Ha vous la psy, vous n’avez donc pas tout réglé ? j’adore ce mot : régler…
La note, la machine, l’horloge, les filles, son histoire, ses problèmes, la facture, règlement, règle ment, règle de trois…..Moi , ma certitude et mon doute … Ca fait bien trois ? ouiiii alors j’ai bien réglé et arrêtez de m’embêter !
A coté de sa vie……..J’ai beau la passer en revue je ne parviens pas, malgré ma grande sagesse et mes 50 ans d’existence, à dater précisément le moment du dérapage… Lors de quel choix ?
Je ne me donne pas la possibilité d’un réel choix d’orientation avant 12 ans…le début de la mise en place de ma personnalité émergente à cette époque là…..Mais depuis j’ai eu des milliers de choix à faire et je sais que UN était le mauvais et qu’il a entraîné une cascade de conséquences qu’il a fallu avaler sans en montrer le goût amer. Même pas mal…… ! M’aime pas / Mal…
Donc ça fait mal, de plus en plus….et ça fait moins mal pendant de longues anesthésies qui, lorsque’on le réalise, font de plus en plus mal….c’est compliqué comme phrase mais je veux dire que même si on se cache la vérité pressentie pendant des années dites d’allégresse, un jour arrive où le miroir est sévère….Qu’as tu fait de ton talent ? de ta vie ? le miroir fait les gros yeux !
Depuis combien de temps fais-je celle qui va bien ? je feins d’aimer ceux qui me sont prison. Je feins de vivre ce qui n’est que survie. Je compose un trompe-l’œil mirobolant derrière lequel je crache sur mes naïfs admirateurs…. Comment peut-on être à ce point dupe ?
Les situations malheureuses s’enchaînent aux gens désastreux et le filet se resserre sur les espoirs écrasés. La vie cahote sous des éclairages trompeurs.
Mais où est la sortie ?
Quel acte de courage pour renoncer à ce qui existe, ce qui semble fonctionner !


chapitre 3

Mais SI, dit le miroir implacable.
Je ne vais quand même pas………………………… !
Vous n’y pensez pas ?
Je ne fais que ça d’y penser…..
Une vie tissée de ce type de dialogue intérieur, s’accommodant du confort du connu pour ne pas rompre les us et coutumes des proches, regrettant que le malheur ne fût pas plus intense, plus évident et qu’ainsi il justifie la rupture.
Mais non, rien n’est si grave en fait, pas de violence, pas de maltraitance si ce n’est une auto négligence un rien mortifère….On ne peut pas lutter contre une situation enviable….j’ai toujours eu le sentiment de susciter des envies, des jalousies, des admirations……Comment dire à mon auditoire que je ne suis pas tout à fait celle qu’ils croient voir en moi ?
Mais comment me dire que je ne suis pas forcément celle que je crois voir en moi….ça se complique !


J’ai rêvé comme tout le monde. Je me suis inventé mille vies. Et j’ai seulement vécu la mienne… Comme tout le monde.
Moi, je me suis vue en aventurière globe trotteuse, je me suis vue en médecin de campagne, je me suis vue en gentlewoman farmer avec mes chevaux,je me suis vue en hôtesse de grande maison d’accueil, je me suis vue en nonne contemplative, je me suis vue en moine bouddhiste, en clocharde……sur toute ma vie j’ai bien du passer le quart à être ailleurs que là ou je me trouvais, ailleurs et autrement, avec d’autres liens.
Ça me fait penser à ma sœur qui se pensait une princesse confiée par un couple royal aux bons soins de mes parents. Quelque part elle se savait appartenir à une autre vie aussi. Elle avait un plan B au cas où. Un jour ils viendraient la récupérer pour qu’elle intègre sa vraie vie.
J’ai été une enfant très présente et active, investie de sa vie. Le plus souvent heureuse, passionnée avec un fond de rage et de colère en sourdine, tapies dans mon ombre.
Puis ma vie a déménagé vers le Maroc et à du réintégrer un père plutôt inconnu. Le frottement a réveillé les colères qui sont apparues au grand jour. Et j’ai repris le flambeau psycho généalogique de la brouille de père en fils ou fille. Mon fils en incarne la 5ème génération !
J’ai alors eu sur moi une double vision : d’une part une fille super talentueuse et forte qui allait mener sa barque où elle le souhaitait, d’autre part la fille vue par mon père et ma fratrie d’une chose ne possédant aucun des attributs de la féminité, de la normalité :un clown qui s’ il ne fait pas rire est ignoré. A 14 ans j’ai cessé de faire rire ! je n’étais plus la mignonnette intrépide aux boucles blonde, mais une ado ma foi assez ingrate !
Et les hommes dans tout ça ?


chapitre 4

Et les hommes dans tout ça ?
D’abord ils furent les bons copains qui me reconnaissaient comme « un pair » ce qui à posteriori ne me poussait pas à la séduction ou à la consommation de ces dits « alter ego »…..Je ne voulais pas pour moi l’image de la fifille, de la Barbie girl mais celle d’une solide cérébrale qui ne se perd pas dans ses sentiments et qui pense plus vite que son ombre, ceci faisant oublier les imperfections physiques dont j’étais persuadée d’être affublée. La force versus la beauté……..
Malgré tout les formes féminines se sont imposées malgré moi et quelques jeunes gens y furent sensibles ce qui me flattait. J’ai alors consommé des flirts aussi platoniques qu’éphémères. Jusqu’au Grand Amour, le vrai coup de foudre. John……là suit une gentille histoire plus enfantine que mature, un amour impossible puisque j’ étais incapable de l’assumer. Et John s’en est allé vivre de plus grands frémissements. Je l’ai pleuré 2 ans au grand désespoir de mes parents.
De cette rencontre, de cette passion under-ground j’ai tiré des conclusions (erronées avec le recul) dont je paye encore aujourd’hui le prix. Et je peux probablement dater de cette époque le premier dérapage vers le « qu’est ce que je fous là… ? »
Mes conclusions étaient : tu es moche, pas très intéressante, tu n’as pas le courage d’être adulte, de choisir ta vie, tu obéis à papa alors qu’il choisit mal pour toi et par ressentiment tu le laisses t’enfoncer pour le punir et le lui reprocher un jour……
Un choix contre mon père et contre les hommes…et non un choix pour moi !
De ces conclusions naît un nouveau personnage chez moi, décalé et triste, sans énergie de vie. Une victime de malchance…. J’aspire alors à rentrer dans le rang pour me sécuriser et satisfaire mon entourage. Et je rencontre Christophe, un jeune homme bien sous tous rapports sauf à mes yeux. Je m’efforce de me projeter avec lui et ça marche puisque nous sommes issus du même rêve familial…..On représente le petit couple idéal et charmant, intelligent et plutôt joli. Et moi je suis à l’abri des examens de passage variés qui feraient de moi une fille normale, diplômée et autonome. Je me réfugie dans le rôle de mère de famille accomplie , et c’est là le 2ème dérapage fatal, en traînant une insatisfaction chronique que chacun bien sûr me reprochera.à défaut d’être la fille de, je deviens la femme de, puis la mère de….merdeuse !
26 ans et 4 enfants plus tard tout explose……et je reprends ma vie en main.
Ces virages/dérapages qui s’enchaînent et c’est un slalom qu’il faut vivre.


chapitre 5

ce rappel historique pour situer le contexte de "ce matin là".....…..Où chaque doute se rattache à une histoire précise, des madeleines de Proust à chaque geste du quotidien. Lassitude……….

Ce matin ressemble en tous points aux autres matins depuis ces dernières années…La bonne tranquillité solitaire quand nos enfants (et beaux-enfants) sont partis pour l’école, que mon nouveau mari est allé travailler, que le café est chaud et qu’il sent bon et que devant moi s’étire une nouvelle journée. Et puis les pensées qui montent pour me faire vaciller sur ma base.
Tout y passe….et je pense à avant….
Avant c’est un mot pratique parce que pas très précis….avant c’est mon enfance mais c’est assez loin quand même, avant c’est mon couple précédant, celui auquel j’ai voulu croire en m’investissant à fond dedans, une mère militante …Avant c’est la période qui a suivi le divorce, chaos, ruptures, larmes, dépression etc…Avant c’est également la reconstruction qui a suivi jusqu’au 3 ème dérapage, la rechute. Avant c’est aussi cette belle période du début de ma 2 éme vie, la période euphorique.
Après tous ces « Avant » on arrive à aujourd’hui, à ce matin ou tout reprend une autre direction.


Aujourd’hui c’est décidé je vis ma vie……jolie expression mais quelle en est la réalité, le réalisme ? Cela fait depuis l’enfance que j’obéis à des injonctions….Et je sais que c’est le prix à payer pour vivre en société. Pourquoi faire de la société une prison pour ma vie ?
J’ai envie de crier MERDE……..Mais je refuse de vivre en colère avec le monde. Je veux assumer pleinement ma vie à venir, sans plus jamais me plaindre, en citoyenne libre et cohérente, assumer mes frustrations ou les difficultés qui vont se présenter tout simplement parce que j’en connais le prix et que je ne veux plus être dupe ou victime.

Pendant ma formation, nous avions bien sur abordé le thème de ces injonctions auxquelles on obéit par réflexe, et la consigne nous avais été donnée de vivre le soir même un acte assumé d’infraction à nos propres lois « surmoïques »….
Le lendemain les récits étaient désopilants : l’une était allée essayer des robes de mariée « une fois dans sa vie », une autre avait fait un saut en parachute, une autre avait acheté un voyage, elle qui n’avait jamais quitté sa terre, une autre s’était plantée dans les rues chaudes pour se faire aborder par des hommes…..40 femmes avaient enfreint 40 lois tacites et peu conscientes et avaient pris la responsabilité de cette « effraction » personnelle. Moi je m’étais fait tatouer une liane sur le bas de ma jambe pour ne jamais oublier que la graine plantée allait pousser dans ma vie.


En ce matin de printemps, la greffe se réveille et demande de l’espace pour pousser. Je dois trouver cet acte symbolique qui marquera ma vie avec un nouveau jalon. Je pressens que cela devra passer par une absence à ma vie actuelle, un départ. Et sans plus réfléchir je file chercher un sac à dos, pas trop gros afin de ne pas ressembler à une voyageuse mais plutôt à quelqu’un qui a juste un petit truc à faire ….rester légère…ne rien dramatiser….simplicité sans effet théatral. Je me donne un quart d’heure pour résumer mes besoins vitaux au strict minimum sans trop mentaliser…faire vite en acceptant les oublis inévitables et les absurdités des choix hâtifs.

Je fourre dans mon sac ma carte de crédit, mon téléphone portable et son chargeur, un petit bloc pour écrire et dessiner, une djellaba pour les nuits ou pour les laveries, un seul kit de vêtements de rechange, une veste en polaire, une cape de pluie et un sac à viande. J’ajoute mon passeport et un petit sac d’affaires de toilette très minimaliste et me voilà devant la porte avec un baluchon léger prête à partir….Mais mon mouvement se fige à l’instant de franchir la porte. Ma liberté n’implique pas que les autres s’inquiètent et j’arrache la première page du calepin pour y griffonner un message rassurant…
« je suis partie chercher des allumettes, je reviendrai quand la lumière sera en moi.
Que mon absence vous soit légère, méprisez la colère….Priez pour moi plutôt !»

Et en harmonie je claque la porte, laissant ma clef à l’intérieur


(à suivre) et des clins d'oeil en plus sur poexie.canalblog.com .........


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