La sortie au cinéma de "Le Hobbit, un voyage inattendu" est l'occasion de se repencher sur l’œuvre de Tolkien. Contrepoints vous en propose une lecture libérale.
Par Wenceslas Balyre.
Note préalable de l’auteur : cet article spoile les grandes lignes de l’ouvrage de Tolkien.
J.R.R Tolkien, l’auteur du Seigneur des Anneaux, n’aimait guère que l’on cherche à établir des interprétation de son œuvre ; à l’époque où elle fut publiée, au mitan des années 1950, il était tentant de voir dans l’opposition des Peuples Libres, vivant à l’Ouest, contre le diabolique Mordor de l’Est allié aux Orientaux et aux Suderons, une allégorie de la Guerre Froide opposant le monde démocratique capitaliste occidental à un Empire soviétique qui risquait d’être le grand gagnant du processus de décolonisation, avec l’apparition de la Chine maoïste et des socialismes arabes.
On sait qu’un auteur, même sans s’en rendre compte, est nécessairement influencé par son environnement. Tolkien n’a sans doute pas échappé à cette règle : ce n’est certainement pas un hasard si Bilbo le Hobbit, publié en 1937, fut moins sombre que le Seigneur des Anneaux, marqué par les souvenirs apocalyptiques de la Seconde guerre mondiale. En revanche Tolkien réfuta catégoriquement l’idée selon laquelle la guerre de l’Anneau fût une allégorie de cette Seconde guerre mondiale.
Ce qui fait problème, dans ces diverses interprétations qui ont été soulevées, c’est l’élément pourtant central de ce monument d’heroic fantasy : l’Anneau. L’Anneau de pouvoir, redoutable, maléfique.
Bien que l’on dise Tolkien influencé par les diverses mythologies nordiques, la légende tolkienienne de l’Anneau est totalement originale sur un point : la quête de l’Anneau est une anti-quête : il ne s’agit pas, contrairement à ce genre d’histoires, de trouver et de s’emparer d’un objet magique pour s’en servir d’arme miracle contre le mal, mais au contraire d’un objet que les héros connaissent dès le début et qu’il s’agit de détruire pour sauver le monde.
Et pourquoi le détruire ?
L’Anneau a des caractéristiques assez mystérieuses. Dans l’œuvre de Tolkien il rend invisible, mais ce n’est finalement qu’accessoire. Ce qui le caractérise, en réalité, c’est qu’il donne le pouvoir suprême. Celui qui l’a peut se rendre maître du monde. Tolkien n’explique pas comment, c’est seulement ce que l’on comprend à son sujet.
Cet Anneau, c’est donc le Pouvoir. En tant que tel, il est extrêmement séduisant pour tout individu, même généreux et vertueux. Gandalf, le sage magicien, qui est l’un des principaux « gentils » du roman, et qui a l’idée du plan pour le détruire, refuse lui-même de s’en charger par peur de succomber à la tentation d’en user.
Dans le Seigneur des Anneaux, on trouve tout un tas de personnages divers et variés qui désirent ou ont peur de désirer l’Anneau. Un seul lui est indifférent : Tom Bombadil, qui représente la Nature, j’y reviendrai.
Tous, donc, convoitent ou sont tentés par l’Anneau : savants, princes, intendants, soldats. Et seule sa destruction doit les délivrer de cette tentation et anéantir la menace de la réduction du monde en esclavage ; sachant qu’il est bien expliqué que qui que ce soit qui s’emparerait de l’Anneau, le sage Gandalf, l’orgueilleux Saroumane, la douce Galadriel ou le diabolique Sauron, le résultat serait le même, l’usage de l’Anneau changeant les meilleures intentions en monstruosités.
Tolkien insiste lourdement sur ce point : il ne peut rien sortir de bon de l’usage de l’Anneau. Chercher à s’en servir pour lutter contre le mal ne ferait que le remplacer par un autre mal tout aussi terrible ; c’est pourquoi il ne faut surtout pas s’en servir, mais le détruire. C’est l’unique salut de l’humanité.
Les lecteurs auront sans doute déjà compris où nous voulons en venir, le message étant limpide : l’Anneau, c’est bel et bien le Pouvoir, l’État. Cet État dont la puissance le rend désirable par tous : réactionnaires, conservateurs, progressistes, révolutionnaires, hommes soucieux du bien de l’humanité ou seulement de leur propre ambition, intellectuels ou brutes, hommes pieux ou impies, vertueux ou vicieux, et qui dans la main de n’importe lequel d’entre eux amène au même résultat : conduire le monde à la servitude universelle. Le seul à ne pas être tenté par l’État, à n’en avoir aucun besoin, c’est encore ici Tom Bombadil, c’est-à-dire, pour le coup, le Droit naturel, qui n’a pas besoin d’État et d’une législation positiviste.
Tout usage de l’État, même par des gens vertueux et pour établir un monde meilleur, ne produit que troubles, pauvreté, arbitraire, esclavage. La seule solution pour vaincre ces malheurs, ce n’est pas de s’emparer de l’État et de se servir de son pouvoir pour instaurer un nouvel ordre à l’image du nouveau Porteur de l’Anneau, mais de le détruire.
Et dans l’œuvre de Tolkien, ce n’est pas un hasard si cette tâche est finalement dévolue à des gens du commun, Frodon Sacquet et son jardinier Sam, des individus simples qui n’ont aucune prétention à la domination, ce qui les rend extraordinairement résistants à l’attraction de l’Anneau. Quand on ne veut rien faire du Pouvoir, pourquoi le désirer ? Frodon et Sam, incarnations des libéraux prêts à faire de la politique et à ne s’emparer de l’État que pour le détruire, à l’image de Ronald Reagan ou Margaret Thatcher.
Voilà, me semble-t-il, la juste interprétation du Seigneur des Anneaux. Et pour cause : ce n’est finalement pas une interprétation, mais bien une lecture littérale.
Nous sommes, nous libéraux, engagés dans la véritable guerre de l’Anneau. Et nous voyons, sur l’Anneau de Pouvoir moderne, inscrite en lettres de feu l’effrayante devise du Mordor :
Un État pour les gouverner tous,
Un État pour les trouver,
Un État pour les amener tous
Et dans les ténèbres les lier.