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[REFLEXION] Le jeu d’horreur fait son cinéma ! Partie 2 : Welcome to Silent Hill

Publié le 17 décembre 2012 par Meidievil @gamerslive
[REFLEXION] Le jeu d’horreur fait son cinéma ! Partie 2 : Welcome to Silent Hill

Cet article, vous est proposé par Le Serpent Retrogamer dans le cadre d’un partenariat avec GL.

Deuxième partie du voyage au bout de l’Enfer. La dernière fois, nous avions un peu fouillé la préhistoire du genre horrifique au cinéma et dans le jeu vidéo, parlé de zombies et analysé les références croisées entre le cinéma et le jeu d’horreur à travers la série des Resident Evil. Aujourd’hui, c’est une escale à Silent Hill que je vous propose. Date incontournable dans le monde du jeu vidéo anxiogène, lieu où se croisent fantasmes de fans d’horreur cinématographique et de joueurs anxiophages, certains d’entre nous attendent patiemment, depuis le troisième épisode, l’arrivée d’une équipe créatrice qui saura nous emmener à nouveau dans cette ville mystérieuse. En attendant, nous allons nous y aventurer courageusement, car en plus d’être un des meilleurs jeux du genre, Silent Hill est aussi le théâtre d’échanges et d’influences entre les deux univers qui nous intéressent ici, le cinéma et le jeu vidéo (pour ceux qui ne suivaient pas). Seconde escale de notre voyage, la Cité des Brumes, durée indéterminée, prévoyez un casse croûte, une lampe torche et une radio, au cas où…

Silent Hill : entre mélancolie et cauchemar

Si vous aviez des doutes sur la dimension malsaine de Silent Hill 2, cette scène règle le débat…

Si vous aviez des doutes sur la dimension malsaine de Silent Hill 2, cette scène règle le débat…

Tous ceux de ma génération se souviennent de la claque monumentale que nous avait asséné Silent Hill premier du nom. Ce mélange de terreur malsaine, de mélancolie, dans cette ville brumeuse échappée du cauchemar visionnaire d’un esprit particulièrement malade. Si Resident Evil pose les bases du Survival Horror classique, et s’avère au final être le théâtre de l’évolution du genre (le quatrième volet restera dans les annales, malgré ses défauts, comme le socle sur lequel s’appuie encore toute la génération actuelle de TPS Survival Horror), Silent Hill s’imposera quant à lui en tant qu’évènement indépassable, unique, danse fragile entre horreur et drame, entre beauté onirique et terreur cauchemardesque, dépassant de loin toutes les tentatives antérieures dans le domaine. Le premier épisode pose fermement les bases sur Playstation en 1999, et la recette saura s’imposer le temps d’une trilogie, en restant fidèle à elle-même. Le quatrième volet divisera à sa sortie, tentative de renouveler les modes opératoires de la série, sonnera le glas, les concepteurs ayant perdu de vue que lorsqu’on joue à un Silent Hill, c’est pour retrouver un lieu familier, une ambiance qu’on ne trouvera nulle part ailleurs. La magie de la première trilogie s’étiole doucement pour ne jamais revenir vraiment, chaque épisode tentant de recapturer l’essence de la série sans jamais vraiment tenir le pari, apportant son lot de bonnes idées noyées sous les déceptions.

Tout est là dès l’épisode originel, le magnifique univers sonore d’Akira Yamaoka, la faiblesse d’un héros arraché au quotidien, Harry Mason, un homme normal aux prises avec une situation qu’il ne comprend pas, un homme abimé par la vie, et dont la fille Cheryl représente le seul rayon de soleil. Mais sur la route menant à Silent Hill, suite à un virage mal négocié, un accident se produit, laissant Harry inconscient. A son réveil, sa fille à disparu. Il s’enfonce alors à travers les brumes épaisses de cette ville de grisaille et de mystère, où la mélancolie et l’horreur règnent en maîtres, à la recherche de sa fille. Guidé par son rire, le bruit de ses pas, toujours presque à votre portée, au détour d’un chemin, mais disparaissant inexorablement, votre quête vous poussera toujours plus profondément dans cette ville fantôme parcourue d’énormes failles coupant la plupart des routes, isolée du monde extérieur, ville de cauchemar au sens le plus strict. Dès la séquence d’ouverture, l’influence cinématographique est posée et assumée. Mason poursuit une Cheryl qui s’enfonce dans les entrailles de la ville, à travers de petites ruelles glauques, et l’ensemble passe doucement du mystère au cauchemar, tant de par le décor qui, d’une simple ville déserte, se transforme en enfer surnaturel et malsain, avec ses carcasses sanglantes, ses cadavres pris dans du fil barbelé et agencés tels des sculptures de chair, mais aussi via des angles de vue particulièrement saisissant, une caméra dynamique qui commence par suivre le héros de dos, façon TPS classique, pour ensuite se positionner via des angles magistralement cadrés, évoluant en fonction des déplacement de Mason et donnant vraiment l’impression d’être dans un film. Ce sentiment est dynamisé par une bande-son d’une intelligence sans commune mesure, bruits industriels et sons continus dissonants se mêlant, installant une ambiance malsaine, tendue, un suspense à la limite de l’intenable. Si aujourd’hui, le concept de mise en scène pour un jeu fait partie du décor, et qu’on a  assez régulièrement droit à des scénarios intéressants et étoffés, en 1999, cette combinaison était novatrice. Ce niveau de maîtrise dans la mise en scène, couplé à un scénario en dehors des canons habituels du genre faisait tendre l’ensemble vers une zone encore inexplorée, à la croisée des chemins entre le Survival Horror et le cinéma, auquel il emprunte bon nombre de modes opératoires. D’office, Silent Hill pose un univers unique, fragile, ainsi qu’un nouveau canon qualitatif. On se souviendra de cette angoissante séquence où l’on entend simplement les pleurs d’une petite fille dans des toilettes, qui s’arrêtent brusquement lorsqu’on ouvre la porte pour découvrir une pièce vide, maniant par là avec maestria une économie de moyens digne de The Haunting de Robert Wise (d’ailleurs l’utilisation des sons évoque souvent la maîtrise de Wise), ou encore ce téléphone non branché retentissant dans une pièce vide pour nous donner à entendre une Cheryl terrifiée. Les exemples abondent et leur efficacité anxiogène est sans précédent, jouant plus sur la retenue que sur l’abondance d’effets, lorsque la ville est sous la neige…

Silent Hill Raises Hell

Hellraiser et sa créature fétiche/fétichiste, Pinhead.

Hellraiser et sa créature fétiche/fétichiste, Pinhead.

Mais si Silent Hill est sans précédent dans l’histoire du jeu vidéo, c’est aussi et surtout grâce à une idée de génie qu’on retrouve dans chaque épisode central de la série : le basculement au son des sirènes vers une version maléfique de la ville, entre rouille et sang, saturée d’ennemis, d’amas de chairs torturées, de corps suppliciés, pendus à des crochets, attachés à des chaînes, sorte d’art brut démoniaque, monde de chair et de métal, véritable lieu de cauchemar qu’il vous faudra affronter à maintes reprises. L’ambiance étouffante et l’esthétique de cette version démente de la ville rappelle à l’évidence certaines séquences du premier long-métrage de l’écrivain Clive Barker sorti en 1987, le très culte Hellraiser, notamment les quelques aperçus traumatisant de cet Enfer particulier auquel on accède en manipulant une sorte de Rubik’s Cube démoniaque aux angles impossibles, dimension hors de l’espace et du temps où se mêlent souffrances extrêmes et plaisirs malsains dans une danse glauque et sensuelle à travers l’éternité.

Malgré le choix d’une couleur ambiante bleutée, les décors faits de crochets, chaînes, instruments de torture surréalistes n’auraient pas dépareillé dans les recoins de la version maudite de Silent Hill, et les démons-gardiens sadiques providers d’entertainment invoqués par le Cube, les Cénobytes (dont la tête clouté du chef, Pinhead le bien nommé, a certainement hanté l’imagination fertile de nombreux jeunes ayant croisé par erreur l’affiche du film dans le vidéoclub du village alors qu’ils venaient innocemment essayer d’apercevoir du coin de l’oeil les corps dénudés des jaquettes VHS du rayon « adultes »…), n’auraient certainement pas refusé à Pyramid Head, le terrifiant antagoniste à l’énorme couteau du second volet, un poste de gardien à mi-temps dans leur Hell sweet Hell. Bref, le parallèle entre l’Enfer d’Hellraiser et celui de Silent Hill n’est pas anodin, on retrouve des résonances intéressantes entre les deux univers, bien que celui de Barker donne dans les couleurs glaciales. Néanmoins, cette part sombre de l’univers de Silent Hill puise plus directement dans une autre source cinématographique, à la fois plus discrète et plus essentielle dans la mesure où les créateurs du jeu la revendiquent explicitement.

L’étroite relation

Un des points de rencontre entre l’Echelle de Jacob et Silent Hill : la station de métro Bergen Street.

Un des points de rencontre entre l’Echelle de Jacob et Silent Hill : la station de métro Bergen Street.

Certains cinéphiles avertis se souviendront peut-être de l’excellent et étouffant L’Echelle de Jacob sorti en 1990, un film qui n’a rien perdu de sa superbe aujourd’hui. Silent Hill joue beaucoup avec les références et les clins d’oeils, on le sait. L’exemple généralement cité est la liste des médecins dans l’hôpital qui s’avère être en fait les noms des membres de Sonic Youth (dont j’étais très fan à l’époque, malgré leur revirement « pop »), mais que ce soient les lieux, les noms de rues, les stations de métro, tout a un sens en forme de clin d’oeil, de citation, voire d’hommage. Mais venons en à ce qui nous intéresse ici, le lien entre Silent Hill et le film d’Adrian Lyne. Dans le troisième épisode, une partie de l’action se déroule dans le métro, station Bergen Street. On retrouvera cette station de métro dans l’Echelle de Jacob. Tant dans la structure de la station que dans certains moments de l’action qui s’y déroule, les jeux de résonances entre les deux oeuvres sont flagrants. Hommage appuyé, les liens entre la série de jeux et le film ne se limitent pas à cette scène isolée, mais à quelque chose de bien plus essentiel. Ceux qui ont vu le film se souviennent forcément de la scène de l’hôpital, scène majeure de ce film magistral – qui est devenu étrangement confidentiel de nos jours, alors qu’à l’époque de sa sortie, en 1991, on pouvait voir des extraits chocs le dimanche après-midi chez Jacques Martin (c’est dire s’il faisait partie du domaine populaire!). Pendant tout le film, Jacob, interprété par un Tim Robbins magistral (et démesurément grand) (sérieux, je n’avais jamais remarqué à quel point il était grand avant de voir ce film…), vétéran du Vietnam un poil traumatisé par une nuit dont il n’a que des flashes violents, des échardes  mémorielles plantées à la lisière de la conscience qui le hantent continuellement, oscille continuellement entre réalité glacée et hallucinations cauchemardesques. Au fil des dérives et des fuites en avant, sa santé est souvent en danger, et arrive donc un moment où il se retrouve à l’hôpital, accompagné par sa douce et tendre complètement paniquée, allongé sur un lit-brancard poussé sans ménagement par des infirmiers.

Au fur et à mesure que défilent les couloirs blafards, la réalité cède place au cauchemar, le décor se désagrège, se fait de plus en plus délabré, des amas de chair et traces de sang apparaissent au sol et sur les murs, des bâches abritent des horreurs innommables aperçues du coin de l’oeil, une cellule capitonnée nous laisse entrevoir la texture d’un cauchemar en passant, une créature dont les convulsions ont de quoi vous hanter à vie, la dérive s’achevant dans une salle d’opération avec des outils rouillés… Dans Silent Hill, les basculements du monde réel vers cette dimension cauchemardesque sur fond de sirène constituent un des évènements vidéoludiques majeurs comme on en rencontre peu dans une vie de gamer, une sensation aussi prenante, aussi intense. L’Echelle de Jacob peut se targuer d’en être une des principales sources d’inspiration. Pas mal, en terme de postérité… On pourrait continuer à identifier les maintes influences qui ont mené la Team Silent à concevoir leur chef d’oeuvre, entre la présence flagrante de Shining, ou la maîtrise et le sens de l’économie du mainte fois mentionné The Haunting, notamment dans les scènes impliquant des objets communs comme le téléphone (une des scènes les plus efficaces du jeu se résume à une simple sonnerie de téléphone retentissant dans une pièce vide ; Mason décroche pour entendre la voix terrifiée de Cheryl noyée dans des bruits agencés de main de maître par Yamaoka, et se rend compte par la suite que le téléphone n’est branché à rien…) ou la télévision. Silent Hill cristallise l’essence d’un genre, est une ville où maintes routes se croisent, de la littérature au cinéma. Si on prolonge ces routes, où celà nous mène-t-il ?

Silent Hill + Cinéma = Amour

Une créature simple et dérangeante, parfaitement dans la gamme de perversion de la série vidéoludique…

Une créature simple et dérangeante, parfaitement dans la gamme de perversion de la série vidéoludique…

Silent Hill est une déclaration d’amour au cinéma d’épouvante, et ce dernier le lui rend bien. Notamment via une adaptation pleine de bonnes intentions (contrairement au triste traitement que subit Resident Evil sur le grand écran…), réalisée par un véritable fan assumé du jeu, mais qui sera accueillie pour le moins tièdement par la majeure partie des fans. Pourtant, Christopher Gans déclare son admiration sans borne pour la série, en poussant le respect de l’oeuvre originelle jusqu’à la transposition de nombreux plans, cadrages, parfois scènes complètes tirées du jeu. A travers un jeu de miroirs et de transpositions, mise en abîme du processus de rêve au sein d’un rêve (une des mécaniques centrales de la trilogie originelle), on rencontre une famille dont la fille adoptée, Sharon (oui, ça sonne un peu comme Cheryl, vous ne trouvez pas ?), rêve de Silent Hill. Ses crises de somnambulisme la mettant de plus en plus en danger, Rose, la mère (qui ressemble à Heather Mason du troisième volet) décide malgré les tentatives de dissuasion de son mari (sosie du héros du second Silent Hill), d’emmener Sharon à Silent Hill, dans l’espoir que cette dernière puisse guérir et se souvenir. Les cartes sont vaguement mélangées, mais on reconnait clairement les personnages transposés, voire échappés du premier épisode, la trame principale ainsi que de nombreuses scènes empruntée à ce même Silent Hill origine. On a ainsi droit à une arrivée en ville se soldant par un accident, version remaniée de la cinématique d’introduction de cet épisode, mais aussi la terrifiante scène d’introduction mentionnée plus haut, où Rose (au lieu de Mason) court après sa fille, en s’enfonçant dans les ruelles de Silent Hill, certains fragment savamment choisis de ce périple étant transposé au mouvement de caméra près, les failles coupant les routes…etc. Le second épisode n’est pas en reste, puisqu’un terrifiant Pyramid Head sévit à travers le film, traînant son légendaire couteau derrière lui. On compte ainsi de nombreux emprunts plus ou moins importants de chacun des trois chapitres, importé dans le respect de l’oeuvre originale, mais le premier volet tient la part belle. Gans a même droit à la participation d’Akira Yamaoka pour la bande-son, élément déterminant de l’univers de la série.

Clins d’oeils et hommages fourmillent, mais il se doit de réécrire un scénario afin de coller les fragments de jeu entre eux et propose un jeu de plans d’existence parallèles plutôt bien amené, et résultant en une (in)justice poétique finale un peu maladroite et clichée, mais assez émouvante. Les signes de faiblesse du film se manifestent néanmoins dans les passages ajoutés, dès que l’on sort de la transposition pour basculer dans l’adaptation. Sont-ce les libertés que Gans s’est accordé qui ont posé problème, les fans étant trop exigeants et désirant une adaptation à l’identique du jeu ? Ou leur réaction est-elle plutôt due au fait que le film ne réussit pas à faire peur (un comble pour l’adaptation d’un des jeux les plus flippant de l’histoire vidéoludique), centrant trop sur la mélancolie et l’amour destructeur, thèmes pourtant très présents dans la série ? Toujours est-il que le réalisateur offre une vision réussie de la ville fantôme, et une relecture respectueuse de l’univers (merde, il a même réintégré les enfants-fantômes remplacés en France par des espèces de nounours aux grosses griffes, si c’est pas du fan-service, ça!!). Mais ce qui frappe le plus durant le visionnage du film, c’est le nombre de scènes simplement transposées, de pouvoir admirer leur beauté, leur essence, leur efficacité strictement cinématographique. Le long-métrage permet de constater à quel point le jeu est magistralement réalisé, à quel point il appartient autant au jeu vidéo qu’au cinéma.

A retenir

Notre génération est marquée par le jeu vidéo, que nous soyons devenu cinéphiles, gamers, musiciens, réalisateurs, ou encore rédacteurs à LSR…  Un évènement de la magnitude de Silent Hill laisse des traces indélébiles, qui ne seront peut-être pas conscientes, revendiquées comme influences, mais qui seront néanmoins là. La structure d’un film comme Saw est clairement celle d’un jeu vidéo avec son enchainement d’énigmes, ses pièges, son cadre. Les films d’horreur prenant place dans des lieux en friche sont légion et semblent tous imprégnés indirectement de Silent Hill. Mais le fait est que le jeu vidéo, malgré l’évolution des mentalités, n’a pas encore su s’imposer en tant qu’art dans les milieux culturels, et revendiquer un jeu comme influence lorsqu’on fait du cinéma est encore considéré comme avilissant. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, le cinéma dans son ensemble, mis à part les films « intellos » comme ceux de Tarkovski, Bergman, Eisenstein…etc, était considéré comme un simple divertissement, indigne de figurer dans le panthéon de l’Art avec un « a » majuscule. C’est encore le cas aujourd’hui dans certains milieu, même si les mentalités ont heureusement évolué. Peut-être que dans un avenir plus ou moins proche, les langues se délierons et l’on avouera avoir puisé son inspiration dans le folklore vidéoludique. Un jour, peut être…

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Par toma überwenig


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