Le système d’assurance chômage des intermittents du spectacle cause des dysfonctionnements majeurs du marché du travail dans cet industrie, dont le coût – 16 milliards d’euros sur ces 20 dernières années, pour sa seule partie visible – est à la charge du reste de l’économie.
Par Acrithène.
En 2008, 440 000 personnes ont déclaré un emploi salarié dans le monde du spectacle. Parmi elles, on peut distinguer un sous-groupe d’environ 300 000 personnes pour qui cette activité est de loin la principale, tant en termes d’heures travaillées que de rémunération. C’est à ce sous-groupe que je limite mon analyse.
Ce petit monde semble dirigé par des ayatollahs du partage du temps de travail pour qui même les 35 heures hebdomadaires paraissent une hérésie. En effet, moins d’un quart d’entre eux ont déclaré une moyenne sur l’année de 35 heures par semaine dédiées à leur emploi dans le spectacle ; et un autre quart a déclaré une moyenne inférieure à 2 heures hebdomadaires.
De tels horaires semblent tellement déconnectés du dur monde du capitalisme néolibéral, sauvage et violent, dans lequel 60% des salariés travaillent plus de 35 heures, qu’on se dit spontanément que ces gens ont certainement un autre emploi, en complément. Il n’en est rien, vu que 83% de ces travailleurs du spectacle déclaraient y consacrer l’intégralité de leur temps de travail, et seules 5% indiquaient qu’il en représentait moins de 75%.
Peut-être y-a-t-il une forme de saisonnalité dans cette activité, mais justifie-t-elle une main d’œuvre trois fois supérieure à celle nécessaire ? La réponse se trouve aussi dans le régime bien spécial des intermittents.
Dans son dernier rapport sur le sujet, la Cour des Comptes illustrait ce régime d’assurance par un exemple frappant. Un intermittent avec un salaire brut mensuel de 1 500€ et travaillant 35h, peut se retrouver au chômage au bout d’un peu plus de trois mois et toucher 9 000€ d’allocations étalées sur 243 jours.
Dans son rapport de 2006, la Cour proposait aussi un exemple de comment un système si généreux peut profondément affecter l’organisation de l’industrie concernée. Doit-on recourir à un CDD court ou à un CDI lorsque l’on recrute un chef monteur ? Le tableau suivant compare les gains et coûts respectifs du chef monteur et de son employeur pour chacune des options.
Source : Cour des Comptes, Rapport 2006.
Ainsi, du point de vue de l’employeur, pour une même personne au même poste, le CDD coûte 1 830€ par mois et par poste, et le CDI 4 270€. Le salarié accepte cette force décote de salaire grâce à la subvention de l’assurance chômage. En effet, en net, le CDI lui rapporte 3 200€ par mois, à condition qu’il travaille sur la base de 35h toute l’année. En revanche, le CDD combiné au régime spécial d’assurance chômage lui rapporte 2 900€ par mois, mais la perte de 300€ est compensée par 8 mois de congés payés.
Il n’y a donc pas mystère, dans un tel cas, qu’un employeur puisse s’amuser à faire tourner trois CDD sur un seul poste. Sur une base mensuelle, l’employeur verse 1 830€ au salarié occupé, et le contribuable 1 250€ à chacun des deux salariés mis en réserve. Dans cet exemple, le coût total d’un mois de main d’œuvre est donc de 4 330€, dont pas loin de 60% pour l’assurance chômage.
Si la plupart des travailleurs du spectacle n’abusent probablement pas de ce système, il n’est guère surprenant que 18% d’entre eux reçoivent plus de la moitié de leurs revenus sous forme des seules allocations chômage, contre seulement 3% dans l’ensemble de la population salariée française.
La conséquence d’un système qui marche autant sur la tête est l’accumulation de déficits. Plus de 100 000 personnes profitent chaque année du régime spécial des intermittents, pour une allocation moyenne d’environ 12 000€ par tête.
D’un peu plus de 200 millions au début des années 1990, le déficit du régime des intermittents s’est stabilisé autour du milliard d’euros par an.
En capitalisant ces déficits des années 1991-2010 à un taux de 2%, on arrive à un trou d’une valeur actuelle de 16 milliards d’euros.
À ce trou se rajoute le manque à gagner de l’économie et donc des finances publiques au fait que ces gens sont la plupart du temps inoccupés, ce qui constitue à l’évidence un gâchis de ressources.
En préparant ce billet, je suis tombé sur cet argument absolu selon lequel la culture n’est pas un produit marchand. C’est assez curieux, car dans ce cas pourquoi a-t-elle besoin d’argent ? Voilà des gens qui ne trouvent aucune contradiction à prétendre que leur travail n’a pas de prix et à pourtant en exiger le paiement. Ils semblent admettre que le travail des autres contribuables à un prix marchand, mais pas le leur. Est-ce à dire que l’effort des contribuables peut-être réquisitionné par les « artistes », serviteurs autoproclamés d’une cause supérieure aux intentions vulgaires qui motivent le travail des payeurs d’impôts ?Une règle qui semble immuable, est que ces choses dont on dit couramment qu’elles n’ont pas de prix coûtent généralement très cher à ceux qui doivent néanmoins les payer. Au fond, il ne s’agit que d’un biais de sélection, dérivant de ce qu’il n’est utile de vous proclamer au-dessus du marchandage que dès lors que vous n’obtenez pas du libre consentement d’autrui la part de son revenu que vous souhaitez lui soudoyer.
Mais quand bien même on admettrait l’argument, on ne verrait toujours pas en quoi ce déficit d’un milliard d’euros est d’un quelconque intérêt culturel. Une personne à plein temps produit autant que trois personnes à tiers temps.
Mais 16 milliards, que cela représente-t-il ? Avec un salaire net moyen de 2 080€ par mois, cela représente les revenus annuels moyens de 640 000 salariés !
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Sur le web.
Sources :