Je suis derrière ma fenêtre, je n'ai pas mis du pain sur mon balcon, mais j'ai déposé sur la petite table en bois du jardinet, des graines de tournesol. Cinq kilos de folie, un cadeau pour les oiseaux, pour ceux qui piaillent, qui chantent devant la lumière de mon salon, de l'autre côté des vitres, 'jaime observer ce ballet gravieux et cadencé des mésanges, des autres passereaux.
Il y a une hiérarchie, les moineaux de plus en plus rares ne savent pas, mais apprennent vite, ils se glissent entre deux mésanges charbonnières, d'autres bleues, puis des nonettes et parfois, plus rarement des huppées. Je regarde les accenteurs, les chardonnerets, les sitelles, c'est un festival incessant sur la table. Ils se posent, picorent, repartent sur une branche pour casser la coque, manger la graine grasse intérieure. Ils reviennent, suivent les allers et retours des autres. Ils me remercient au passage. Je suis une vieille femme, et c'est ma guirlande de Noël animée de couleurs et de vie. J'ai un petit sapin à l'intérieur mais je n'aurai pas la visite de mes enfants ou de mes petits-enfants, ils seront à la montagne pour les fêtes.
Mais j'ai mes autres enfants, les jeunes filles, fort jolies qui habitent l'ancienne réserve de menuiserie des années 60-70, devenu un loft depuis quelques années. Elles sont plusieurs à se loger dans ce cocon au fond de la cour, passant le matin dans le jardinet, devant ma fenêtre. Je les connais, j'aime leur vitalité, oui la jeunesse que je n'ai plus, j'aime leur énergie. Nous échangeons des petits mots, elles me surprennent avec des fleurs, des petites gourmandises qu'elles partagent avec moi, parfois autour d'un thé. Elles sont mes filles par substitution, je suis la grand-mère de substitution. Elles viennent de province, pour des études, pour être modèle, pour vivre la mode à Paris, elles viennent parfois de l'étranger. Je reste un point de repère humain dans la foule, celle de la rue. Elles passent, se délassent, parfois suivant les saisons, prennent le soleil dans le jardin. Parfois elles posent avec leurs nouvelles tenues.
J'ai un trésor, que je distille avec le temps, deux chambres maintenant silencieuses qui restent des réserves de vêtements devenus vintage. Parfois je prête un sac à main, un vieux cuir, un vrai croco, elles le nettoie avec des sourires, la ramènent en sachant qu'elles pourront trouver d'autres merveilles dans ma caverne d'ali-baba de mode. C'est notre lien.
J'aime ces oiseaux de plume, ces belles de mode qui s'envolent le matin, rentrent tard en riant.
Nylonement