Délits d’Opinion : Quelle a été la tendance forte qui vous a marqué en 2012 ?
Bernard Sananès : « En 2012 s’installe et se propage dans l’opinion le sentiment d’angoisse par rapport à la situation de l’emploi. Bien sur le couple emploi-pouvoir d’achat est au centre des préoccupations des Français depuis plusieurs années, et a été central dans la campagne électorale. Mais la dureté et la fréquence des annonces de plans sociaux depuis le printemps, le fait qu’ils touchent au-delà de l’industrie le secteur des services, au-delà des PME les très grandes entreprises a fait d’une inquiétude lointaine et diffuse une angoisse omni présente et généralisée.
La peur du chômage a franchi les digues et impacte toutes les catégories socioprofessionnelles, en atteignant les cadres jusqu’à présent moins fortement touchés par cette préoccupation. De leur coté les jeunes redoutent leur entrée dans la vie active aujourd’hui course d’obstacles. Cette angoisse sourde est la cause de la dégradation du moral des Français. Le niveau d’optimisme pour la société française est tombé à 29 % (-9 points depuis l’été), et pour son avenir personnel à 54 % (-7 sur la même période) Cette tendance est aussi un enjeu majeur pour les entreprises et les dirigeants dans la mesure où elle influe sur les comportements, qu’il s’agisse d’épargne, de consommation ou d’investissement. Enfin, la conséquence majeure de cette crainte c’est la perte de dynamisme du fait de l’impossibilité, pour tous les acteurs économiques, de se projeter vers l’avenir et de l’envisager avec sérénité et confiance ».
Délits d’Opinion : Quelle personnalité et quel sujet ont particulièrement marqué l’année 2012 ?
Bernard Sananès : « Manuel Valls termine l’année 2012 au sommet. Sur le plan de la popularité, le Ministre de l’Intérieur est crédité de 57% d’opinions positives (sondage CSA/Les Echos), loin devant Laurent Fabius (43%), deuxième ministre de ce classement. Après avoir joué un rôle clé de la campagne victorieuse de François Hollande, le nouveau locataire de la Place Beauvau a su imposer son style.
En effet, en moins de six mois il s’est installé comme un ministre volontariste, actif et donc populaire ; un tour de force dans le contexte actuel. Son succès est également du à sa capacité à faire de la question – très marquée politiquement – de la sécurité, un sujet de rassemblement et non de clivage se démarquant ainsi d’un de ces illustres prédécesseurs Nicolas Sarkozy.
Ministre plein de promesses qui recueille à la fois un fort soutien dans l’électorat de gauche -ce que l’on a tendance à passer sous silence- et un soutien relativement fort à droite, Valls a en 2013 un nouveau rendez vous , plus difficile celui là avec les Français : le rendez-vous des résultats ».
Délits d’Opinion : Quelle est selon vous la thématique qui va cristalliser les débats en 2013 ?
Bernard Sananès : « Plus personne ne se risque à un pronostic ou à un calendrier sur la situation économique. On ne demande plus si la France va s’en sortir, ou quand la France va s’en sortir. La question est devenue : la France peut elle s’en sortir ? La crise va-t-elle nous laisser durablement à la traine ? Ce pays a-t-il encore un avenir ou n’a-t-il le que le déclin comme horizon ?
Ce débat peut recouper plusieurs formes, révéler plusieurs oppositions :
- D’un côté, les « inclus » ceux qui pensent que la mondialisation est un acquis, que l’Europe est plus une force qu’une contrainte, de l’autre les « inquiets » qui pensent que la mondialisation est synonyme de chômage et de perte de l’identité nationale, que l’Europe ne protège de rien.
- D’un coté par exemple ceux qui parlent anglais et se sentent armés pour les défis de la mondialisation et ceux qui au contraire n’ont pas cet atout en main.
- D’un côté ceux qui sont convaincus qu’on aura toujours besoin de leur métier dans dix ans, de l’autre ceux qui redoutent que leur métier soit « foutu ».
- D’un coté les urbains, les cadres, de l’autre le péri urbain les milieux populaires ou le sentiment d’injustice sociale et géographique est le plus fort.
Ce débat peut devenir une ligne de fracture entre deux mondes qui ne se parlent ni ne se croisent plus. Les « inclus » peuvent en avoir marre du pessimisme, de la déprime d’une partie de la population qu’ils ne comprennent pas et qu’ils ignorent. Les « inquiets » peuvent être exaspérés par le volontarisme et l’optimisme de ceux qui vivent dans un autre monde qui n’est plus le leur.
Ce débat peut avoir une traduction politique pour l’exécutif. Faut-il profiter de 2013 année sans élection pour réformer, au risque de déstabiliser une partie de la société, et donc chercher à rassembler une majorité réformatrice ? Ou faut il choisir d’adapter le modèle, au risque alors au risque d’accumuler du retard dans la compétition internationale, en voulant concilier les électorats du second tour qui ont porté François Hollande à l’Elysée .
Pour les politiques en général, la question qui est posée en 2013 devient simplement et fortement : « pouvez vous nous donner des raisons d’espérer ? »