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"Le mineur et le canari" de Catherine Safonoff

Publié le 30 décembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

mineur canariQuel drôle de titre, ne trouvez-vous pas? L'auteur en convient. Mais ce n'est pas son idée. Certainement celle de son éditrice chérie.

D'où ce titre vient-il? D'un passage du Journal de Virginia Woolf à la date du 27 janvier 1935. Cette dernière se rend à une soirée, chez les Andrews. Quelque chose ne va pas. Quoi donc se demande-t-elle?

"Ce qui ne va pas, c'est encore le nez du plombier, le canari du mineur."

Une explication de texte s'impose. Catherine Safonoff la donne bien volontiers:

"Le plombier éclaire le canari. Tous deux détectent les fuites de gaz. On descend l'oiseau dans la mine, et vu ses poumons minuscules, il meurt dès que l'oxygène manque. Ce qui ne va pas, c'est que les Andrews ne sont pas très spirituels."

Qu'est-ce qui ne va pas chez Catherine, jeune septuagénaire? Elle a une addiction pour les petits appuis chimiques et, pour s'en débarrasser, va voir un psy addictologue, dont elle s'amourache. Mais les amours sont interdites lors d'une prise en charge psychiatrique intégrée [sic].

Les séances chez le psy, un bel homme, au crâne d'oeuf comme Michel Foucault, dure près de deux ans. Du 9 juin 2010 au 19 mars 2012. Elles sont le fil conducteur de ce récit autobiographique. Ce fil est rompu quand le filon est épuisé, comme l'écrivain.

A plusieurs reprises, à la fin d'une séance, Catherine a eu envie d'embrasser son psy, de se blottir dans ses bras. Elle l'a même maté à un endroit précis que rigoureusement ma mère m'aurait interdit de nommer ici, et à un autre endroit tout aussi viril et poilu, dans l'échancrure du col de ses chemises.

Est-ce qu'elle le note aussitôt après la séance? En tout cas, à chaque fois, Catherine est capable de décrire, des pieds à la tête, dans le moindre détail, l'habillement de son psy, le Docteur Ursus, comme elle l'appelle.

C'est un trait très féminin... que d'être capable de décrire une personne de pied en cap. C'est d'ailleurs pour elle les deux parties qui ressortent du corps, ces deux extrêmités, le visage et les pieds...

Comme se décrit-elle?

"La patiente vivait seule. Parents décédés, dernier compagnon décédé, bonnes relations avec ses enfants. Elle désirait écrire. Elle était venue au dispensaire pour un problème de médicaments. Depuis dix ans, en doses quotidiennes massives, elle prenait une substance toxique. La calme petite ville suisse avait son défilé d'âmes mortes."

L'écriture est, pour Catherine, tout ce qu'elle "possède vraiment", une drogue, un élixir de jeunesse:

"Rouler à vélo, me faire teindre les cheveux, écrire c'est dans la même perspective de repousser la véritable mort qu'est le vieillissement."

Ce qui ne l'empêche pas de s'en abstraire pour vivre mieux encore:

"N'importe quelle conversation humaine, n'importe quelle chaleur des corps rapprochés valent toute page d'écriture. D'ailleurs les livres ne parlent que de cette chaleur perdue."

Elle parle donc de son montagnard de père, aux éclats coléreux, suicidé, ou de sa grammairienne de mère, qui parlait à demi-mots, du bout des lèvres:

"Ma mère avait son corps, mon père, sa paye. C'est mon père qui a commencé une guerre d'usure. Il a resserré, réduit, disputé, calculé au centime près. Ma mère a réagi, en se refusant. Tout le monde a perdu."

Elle parle donc des leçons qu'elle donne au petit Arnaud, de ses amours avec H., ce taiseux de quinze ans plus jeune qu'elle - alors que, pour elle, "l'acte amoureux ne se pouvait qu'enrobé de langage"-, de ses lectures, de ses rencontres, de ses réflexions, de cette idée qui lui revient par moment que "la maladie est l'indice d'une faute".

Ce qui fait que le lecteur ou la lectrice reçoivent sans scrupules ses confidences en ayant l'impression d'être devenus des intimes de l'auteur, c'est qu'elle les transmet avec beaucoup de chaleur humaine retrouvée, même quand elles pointent la faille, ce qui ne va pas.

Arrivée au bout de ces séances avec son psy, Catherine sort de la mine:

"Maintenant, le plombier ouvre les fenêtres, ferme l'arrivée du gaz, mastique la fuite, et le mineur décroche la cage et remonte à l'air libre avec l'oiseau vivant."

La septuagénaire sort rajeunie de l'aventure. Ce n'est pas fini, loin de là. Elle n'est plus vieille, finie, comme elle se lamentait de l'être.

Francis Richard

Le mineur et le canari, Catherine Safonoff, 192 pages, Editions Zoé


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