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Thomas lélu : « aux états-unis, ils ont will ferrell et ricky gervais, on a gad elmaleh »

Par Blended @blendedph

Quand on regarde le CV de Thomas Lélu, on se dit qu’on a des chances de rencontrer l’homme le plus sophistiqué, le plus branchouille, un représentant du parisianisme exacerbé. Sauf qu’il vous donne rendez-vous au téléphone un samedi matin et qu’il passe une demie-heure à parler de sa fille, de ses premiers mots, du sens d’être père, du rapport homme/femme et de l’évolution des genres. Alors, on est frappé par deux vérités : d’abord, que Thomas Lélu est d’une simplicité réconfortante. Ensuite, qu’on aurait du prendre des notes, parce que la conversation mériterait d’être publiée.
Mais, nous ne sommes pas là pour palabrer sur la sociologie et les couches, Thomas Lélu est écrivain, artiste plasticien, réalisateur, photographe… et tout ça à seulement 37 ans. Et comme Thomas, de toute évidence, aime échanger, il vaut mieux commencer nos questions maintenant.

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Commençons par éclaircir un point. On a lu dans une interview que Lélu n’était pas ton vrai nom.
C’est faux. En fait, comme on critique souvent mon travail, j’ai répondu avec ironie que ma meilleure création, c’était mon nom. C’était une plaisanterie. De toute façon, avec un nom comme ça, on est prédestiné. C’est un leitmotiv de ma vie. A l’école, tu te fais chambrer dès le premier appel. Dans la vie. je dis même que je m’appelle Leulu quand je vais à La Poste. Ça évite les réflexions. Si tu t’appelles Lélu, t’es obligé d’assumer quelque chose. Tu ne sais pas quoi, mais t’es obligé.

Ton wikipédia te définit comme artiste plasticien, photographe et romancier. Il faut aussi ajouter réalisateur. T’as une carte de visite format A4 ?
(rire) La question que je redoute le plus dans un dîner c’est « et toi, tu fais quoi ? »
Dans le boulot, je dis que je suis Directeur Artistique. Dans la vie, je dis artiste écrivain. De toute façon, aujourd’hui, les gens ont tous 15 métiers. Il y a quelques temps, j’avais fait une carte de visite avec juste écrit « Thomas » et mes coordonnées.

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Manuel de la photo ratée, Récréations, Je m’appelle Jeanne Mass. Toujours des contre-pieds. Dirais-tu que tu es ou étais un punk, un activiste, un original ou simplement un p’tit con ?
Comme disait Coluche, « J’ai jamais été grand. J’ai d’abord été petit et j’ai tout de suite étais gros. »
Punk, oui, c’est sûr. Je n’aime pas le consensus, j’aime la provocation, l’esprit, l’humour et l’ironie. Mon père était prof de Lettre. J’ai aimé la littérature avec Alice aux pays des merveilles. Avec Le Horla. Boris Vian ou plutôt Vernon Sullivan d’ailleurs. Mes parents sont des soixante-huitards, donc la beat generation aussi. John Fante, Harrison avant Kerouac et Ginsberg. C’est une littérature de l’action
Je ne me suis jamais réveillé un matin en me disant « je vais devenir écrivain. » D’ailleurs, aujourd’hui encore, je ne me considère pas comme un vrai écrivain. J’ai écrit mon premier roman parce que mon éditeur après le succès du Manuel m’a dit de faire un roman. Avec un tel feu vert, je n’ai pris que du plaisir. Mon idée, c’était de faire le livre que je voulais acheter. Donc, une liberté totale.

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Mais tu y prends goût quand même ?
En fait, j’ai surtout pris goût à l’enthousiasme des autres. C’est le besoin d’être aimé. Ça se ressent d’ailleurs dans une oeuvre ce besoin, c’est une forme de générosité. Jeanne Mass, je l’ai fait pour me faire plaisir à moi, puis le plaisir vient des autres. Pour le second roman, il faut retrouver l’état d’innocence original. C’est comme faire l’amour avec quelqu’un, si tu ne te fais pas plaisir, tu ne fais pas plaisir à l’autre. C’est la fusion qui est intéressante.
L’écriture, pour moi, est très liée à la musique. Il faut trouver un rythme que va ressentir le lecteur. Comme un jazzman. Miles Davis disait à ses musiciens de ne jamais inviter leurs femmes dans leurs concerts, parce que sinon ils seraient incapables de faire rêver les femmes dans la salle.
Je me conditionne avant d’écrire. Avec de la musique. Si je veux de la nervosité, j’écoute du Wu Tang par exemple. Pour une scène de voiture, du rock. Pour moi, écrire s’apparente au sport. Je peux faire des pompes avant de me mettre à écrire.
Pour la musicalité de l’écriture, je relis mes manuscrits à voix haute, d’une traite. Pour voir s’il y a un essoufflement.

De tel quel écrivain admire-tu la musique ?
Olivier Cadiot que j’admire vraiment. Jean-Charles Massera. Valérie Mrejen. Souvent des gens liés à l’art plastique. Mais par rapport à eux, je suis moins lettré, je suis plus pop arty. Bon, chez les Américains, il y a Jonathan Foer, Bret Easton Ellis ou McInerney. Aux Etats-Unis ce style d’écrivains est moins marginal.

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Tu penses qu’on a du retard ? Un héritage un peu figeant du Siècle des Lumières ?
Ce n’est pas qu’on soit très en retard, on est plus en décalage. Ce n’est pas la même culture, c’est tout. En fait, j’ai peur que le pays ne se meurt. De vieillesse. Par manque d’humour. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, ils connaissent l’idiotie. Ils savent être idiots. Ils ont Will Ferrell et Ricky Gervais, on a Gad Elmaleh.
Chez nous, les gens sont en noirs, ils font la gueule. Une tristesse française. L’élégance de la tristesse parisienne. Il y a beaucoup de prétention là-dedans.

Donc, tu es plus Montana que Flore.
Ni l’un, ni l’autre. Pas plus qu’un supermarché breton (Thomas Lélu a grandit en Bretagne, Ndlr). Je ne suis pas démago. Quand tu écris, t’es seul devant ton ordinateur. On s’en fout où tu sors.

Revenons sur une ligne de ton CV. Tu as tenu les rênes du magazine PlayBoy France.
Pendant un an et demi. C’est assez sympa. Ça te donne un pouvoir comme rarement. Tous tes potes se découvrent des talents de photographe. Tes copines veulent toutes poser nues. Il y a une érotisation générale. Mais l’excitation retombe vite. Par exemple, toutes ces nanas qui te disent vouloir poser, n’avoir aucun soucis avec la nudité. La moitié annule le shooting la veille. Et l’autre moitié se découvrent avoir leurs menstruations au moment d’enlever leur culotte.
Mais c’est certain que tu dégages une aura. En soirée, systématiquement, les 15 plus belles filles te sautent dessus. C’était un cauchemar pour ma copine.
Mais on a fait des trucs bien. Des couv avec Kate Moss. Notre première couv avec Vahina Giocante, on a aussi eu Juliette Binoche. Madonna nous commandait des exemplaires quand elle était à Paris. Des contributions de Frédéric Beigbéder, de François Bégaudeau, Christophe Honoré ou Douglas Gordon.
Je me suis retrouvé là parce que je bossais à Citizen K, puis à la galerie Perrotin. Et quand on te propose ce genre de truc, tu ne peux pas décemment refuser. Ça s’est arrêté finalement, parce qu’on n’était pas sur la même longueur d’onde avec l’éditeur. Sur nos choix artistiques.

Galerie, livres, films… pourquoi ce besoin de multiplier les médias ?
Ce n’est pas un besoin, ce sont des occasions. J’étais DA à Citizen K quand je publie le Manuel qui est un projet de fin d’études. Comme il marche bien, on me propose de faire un roman. Ma première exposition, c’est Jean-Max Colard, des Inrocks, qui me met sur le Prix Ricard. Ça marche bien, une galerie est intéressée, ce qui m’oblige à produire des œuvres pour faire une expo. Mon travail est présenté à la FIAC et ça crée un buzz. Les choses se font comme ça.
Bon, aujourd’hui, même si je continue à faire quelques expositions, je me dirige plutôt vers la littérature et le cinéma.
Et puis, il faut bien le dire, si je ne bossais pas autant, ça m’obligerait à devenir salarié.
Le problème de l’art, en France, c’est qu’il y a un parcours préétabli pour les artistes. Du coup, ils sont tous formatés. Il y a des artistes comme Pierre Bismuth, Cyprien Gaillard ou Neil Beloufa qui sortent du lot parce qu’ils ont une culture nomade, une culture du mouvement.
Pourtant, il y a une génération intéressante dans l’art, plus créative qu’en littérature en tout cas. Dans le domaine artistique, on peut toujours avoir des fulgurances. La peinture est une littérature de l’urgence.

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Tes œuvres artistiques jouent sur les mots. Les livres. Même ton film Nuts est l’histoire d’un monde sans mot. D’où te vient cette obsession du mot ?
Je n’y avais jamais réfléchis. Je suis avant tout un observateur. En société, je ne suis pas d’une grande spontanéité. Je regarde les choses plus que je ne les vis. D’où mon décalage certainement. Je ne sais pas si c’est une timidité ou une volonté de se mettre en marge.
Je suis un rêveur. j’ai toujours aimé la pensée. Mon cerveau a des idées en permanence, que je note sur des petits bouts de papier. Parfois, dans un dîner, je m’efface d’un coup. Mes copains ne comprennent pas. Mais c’est juste parce qu’une phrase m’a fait partir sur un chemin de pensée. Parfois, tu en souffres. De ne pas être dans l’instant. Mais je préfère une souffrance de temps en temps, et un apaisement sur le long terme d’accepter sa condition.
C’est certainement ce qui m’a permis de développer mon propre langage. Comme disait Deleuze, « il faut bégayer son propre langage. »
Ermite, j’ai essayé, mais je ne peux pas. Je ne peux pas créer seul de toute façon, j’ai besoin que les autres vivent autour de moi.

Si je te dis Au commencement était le verbe, tu es d’accord ?
Ma mère est une psy lacanienne, elle te dirait qu’on est des êtres de langage. Mais pour moi, avant le mot, il y a la musique. De la musique né le langage. La Terre est un gros vinyle. La musique a une telle force, que même quand elle n’est pas là, ce n’est pas du silence, mais de l’absence de musique.
La musique rapproche de l’émotion. Sans musique, l’être humain est capable d’avoir très très peu d’émotion. La musique, c’est le chemin direct du cœur.

On te présente souvent comme un artiste branché. Est-ce que ça te plaît ou est-ce que tu t’en moques ? Parce que tu es provincial à la base.
Oui, je suis ch’ti de naissance, mais j’ai grandit en Bretagne.
Franchement, je m’en fout complètement. Sauf quand ça me bloque sur certains projets. L’image du Parisien n’est pas terrible. Dès que tu sors de Paris, on ne t’aime pas bien. C’est encore pire quand t’es un Parisien branché. Mais moi, par rapport à mon approche pop, Paris est tout simplement la ville où il se passe des choses. Paris reste le lieu d’observation le plus intéressant du monde. Le côté branché, il m’est juste tombé dessus.


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