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On a dansé sur la lune ! (1/2) Dabke on the moon ندبك عل قمر

Publié le 08 janvier 2013 par Gonzo

On a dansé sur la lune ! (1/2) Dabke on the moon ندبك عل قمر

La vague d’enthousiasme soulevée par le « Printemps arabe » n’est plus que faibles clapotis et les rappeurs d’outre-Méditerranée, un temps à l’honneur dans les médias célébrant les nouvelles voix de la révolution, sont bel et bien oubliés. Il est vrai que cela ne change pas grand chose pour ceux qui, de toute façon, n’ont jamais vraiment intéressés les grands canaux d’information parce qu’ils n’avaient pas leur place dans le récit trop lisse des soulèvements.

Cela concerne, entre autres musiciens, ceux du groupe Dam, défricheurs à la fin des années 1990 du rap palestinien, lui-même pionnier (avec ses équivalents au Maroc, en Tunisie et au Liban) du rap arabe – on a déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de parler d’eux (ici par exemple, il y a un peu plus de 6 ans !) et de leur formidable morceau Qui est le terroriste ? Trop « politiques », trop « engagés », pas assez conformes aux catégories toutes faites (bons garçons laïcs vs vilains barbus) et trop dérangeants avec leur statut complexe d’« Arabes israéliens »… En tout cas, pas au bon endroit du « Printemps arabe » car il n’était pas prévu au programme que la grande geste de la libération concerne également les quelque cinq millions de Palestiniens vivant sur le territoire de la Palestine historique.

Le groupe phare de la scène rap palestinienne a donc sorti un titre remarquable, à plus d’un titre, mais on n’en a guère parlé. Deux trois références sur Google News en remontant jusqu’en décembre pour la requête « Dam + Rap » alors que le groupe a sorti, cinq ans après le précédent, son second album. Cinq ans, c’est un délai étonnant pour des musiciens dont certains titres – Born Here ou Who’s the terrorist? par exemple – ont été visionnés sur YouTube plus d’un million de fois. Cela est dû en grande partie à la volonté du groupe d’être fidèle à ses convictions en se tenant en marge de l’industrie du disque, qu’il s’agisse des sociétés de production israéliennes ou des majors de l’entertainment business arabe du type Rotana. Pour contourner l’obstacle, les trois musiciens ont eu l’idée, il y a quelques mois, de s’autoproduire en lançant une souscription (avec une petite vidéo plutôt sympa) sur le site de financement participatif (crowd funding) Indiegogo. Cela n’a pas tout à fait aussi bien fonctionné que prévu mais la moitié de la somme attendue a tout de même été réunie.

On a dansé sur la lune ! (1/2) Dabke on the moon ندبك عل قمر
Remarquable, le nouvel album l’est surtout artistiquement. Le titre, déjà, tranche avec le ton presque toujours très engagé et rarement comique du groupe. Nadbuk 3al qamar – Dabke on the moon –, la tonalité est nettement plus légère qu’à l’habitude. Musicalement aussi, le ton a changé, avec, pour une fois une chanson à la fois en anglais et comique, voire sarcastique : Mama I’ fell in love with a Jew! « She was going up, I was going down » rappelle tout de même le refrain de ce titre racontant l’improbable rencontre d’un Palestinien et d’une Israélienne dans un ascenseur en panne… Déjà pratiqué également, avec la chanteuse Abeer al-Zinati alias Sabreena Da Witch pour le titre Born here par exemple, le recours à des contributions extérieures au trio passe par la participation de chanteuses comme Mouna Hawa ou Amal Murkus, mais également d’invités moins attendus. Les frères Jubran, bien connus en France, et au piano Bachar Khalifé, le fils du célèbre chanteur et joueur de oud libanais, interviennent ainsi sur Lettre de prison (risâla min zinâna) un titre sorti un peu avant les autres morceaux, pour accompagner, en mai 2012, la longue grève de la faim, en définitive victorieuse, de quelque 1550 détenus palestiniens en Israël.

Cinq années ont passé depuis le précédent disque (Ihdâ’), et nul doute que le groupe Dam a vieilli. Il a mûri, plutôt, car sa révolte, intacte, est plus maîtrisée, moins spontanée peut-être mais plus construite. A l’image des paroles de Lettre de prison que le groupe a écrites en travaillant avec Addameer, la principale organisation palestinienne de soutien aux prisonniers, qui a communiqué lettres et documents sur lesquels sont basés les trois « récits » des personnages de la chanson. (A noter que les textes, en arabe et en anglais, sont disponibles sur le site du groupe.)

Publié sur le site Jadaliyya, un entretien donne la parole à un des interprètes, Tamer Nafar, qui explique ainsi que cette Lettre de prison qui évoque, au-delà des seuls prisonniers, la situation de tous les Palestiniens, occupés dans leur propre pays. Une prison devenue plus insupportable encore à vivre au temps des soulèvements arabes. Une dabké sur la lune, c’est une manière d’exprimer cette envie terrible de décoller, quitte à jeter par-dessus bord les vieux dictateurs qui empêchent le vaisseau spatial de décoller. We are trying to fly a spaceship, but it doesn’t fly because it is overweight. So we have to throw out all the leaders and dictatorships. As soon as we throw them over we can fly and reach the moon and dabke.

Dabke on the moon, c’est aussi le manifeste de ceux qui se sont mis à croire en eux-mêmes et à se dire qu’au lieu de creuser des tunnels à Gaza ils pouvaient aussi rêver d’atteindre la lune… They [the US] are responsible for that because if the US didn’t sponsor Israel, then Israel would not have money to build walls and put Gaza under siege, and maybe we would have the chance to reach the moon instead of digging tunnels. So we fantasized about it and suddenly the Arab Spring came and we said “fuck it,” we can change things, and we want go to the moon. Armstrong went to the moon and he put up the flag. We don’t really like flags and patriotism… we are artists, so we decided to go to the moon and dabke.

(La suite la semaine prochaine…)

mais tout de suite, une très belle vidéo, sortie un peu avant Dabke on the moon, en hommage au metteur en scène Julian Mer Khamis, assassiné devant son théâtre, dans le camp de Jénine, le 4 avril 2011 (jour anniversaire de la mort de Martin Luther King en 1968). C’est lui qui avait réalisé la vidéo de Born Here en 2004, et c’est lui qu’on voit sur le clip, ainsi que les enfants de son théâtre filmés lors de son enterrement. Comme ils le disent dans cet article, Juliano’s way est un très bel hommage des artistes du groupe Dam à quelqu’un qui pensait que son foyer se trouvait là où vivent ceux qui subissent l’oppression.

Photo en haut du billet : une œuvre, à juste titre très célèbre, de Larissa Sansour, artiste palestinienne à qui il arrive d’être censurée en Europe…


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