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Manuel de survie en zone de tempête

Par Gerard

 

Manuel de survie en zone de tempête

Pour Yaset

« Ce qui vient au monde pour ne rien bouleverser
ne mérite ni égard ni patience ». (René Char)


Lorsque Yaset, pour le Quetton nouveau, m’a demandé mes « recettes pour résister », j’avoue que je suis resté un peu perplexe. C’était m’accorder là une confiance que je me garderais bien de m’octroyer moi-même.

Cependant le verbe « Résister » a suscité immédiatement des noms, des visages, des images : Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela, l’inconnu qui arrêta la colonne de chars sur la Place Tien An Men, Bobby Sands, le chanteur chilien Victor Jara, plus près de nous les trois filles des Pussy Riot…

Je songeai aussi à ces deux vieux agriculteurs qu’on voit dans le film « Le Chagrin et la Pitié » : buvant le vin au cul de la barrique, claquant la langue et parlant tranquillement de la façon dont ils avaient organisé le maquis local durant l’Occupation. A la Libération ils n’avaient demandé ni poste ni distinction. Ils s’étaient contentés de reprendre leurs labours là où ils les avaient laissés.

Des hommes.

De quoi, au moment de mourir, se sentir fier quand même d’avoir appartenu pour un temps à cette étrange espèce humaine. Résister : on ne peut décemment vivre qu’à cette hauteur-là.

Alors, afin d’honorer la demande de l’ami, et pour ceux que ça pourrait intéresser, je me suis mis à griffonner quelques indications possibles.

*

1.   La résistance n’est que la conséquence et la preuve de l’esprit de révolte. L’esprit de révolte la preuve et la conséquence de l’imagination.

2.   Que ta révolte ne soit rien comparée aux hauteurs de ce qui la rend nécessaire.

3.   Résister, c’est restaurer l’intégrité d’un monde possible.

4.   Renverser la limite pour la transformer en possible.

5.   Que la résistance soit d’abord la marque de ce qui en toi avance, confronté aux forces de l’immobilité et de l’inertie.

6.   L’insurgé est pareil à l’artiste véritable : il est le premier d’une espèce qui n’existe pas encore. La solitude est le plus souvent son lot.

7.   A force de faire place à ce que nous refusons nous finirions par ne plus voir le monde qu’au travers de l’image incomplète et maussade d’un miroir fêlé.

8.   Soit athée, avec le sens du sacré.

9.   Ni Dieu ni Maître. Mais des maîtres, au sens chinois du terme.

10. Fais de toi-même le premier objet de ta révolte.

11. Entier dans l’action, avec le sens du tout.

12. Vis sans posséder : tu n’es qu’un passant, un passeur. Voyage léger.

13. Evite toute situation qui t’imposerait la recherche des honneurs et de la reconnaissance.

14. Le seul qui doive te reconnaître, c’est toi-même.

15. Apprend chaque jour à tenir droit.

16. Sache voir l’inconstant sous la permanence et la permanence sous l’inconstant.

17. Toute révolte qui ne naît pas d’abord d’un élan de générosité n’est qu’une herbe frelatée. Une défaillance.

18. L’esprit entièrement pacifique, les mains expertes en armes de toutes sortes.

19. Sois fidèle aux principes, sois fidèle aux changements.

20. Un acte n’est rien s’il ne se réfère au contexte large dans lequel il s’inscrit. Rien ne porte en soi de signification.

21. Une vérité vagabonde, jamais fixée.

22. La révolte est comme la créativité artistique, elle doit répondre à une nécessité intérieure. Ni pose ni calcul. La seule évidence. Let’s roll.

23. Si tu n’es pas satisfait de la place qu’on t’a donné, ne rapproche pas la chaise, tire la table vers toi.

24. La subversion ne se décrète pas a priori, elle se constate après coup.

25. Ne perd pas ton temps à te révolter contre la mort, la nature, le sort. Concentre tes attaques sur ce qui dépend directement de ton action.

26. Evite d’avoir commerce avec ceux que tu méprises. Garde ta confiance dans ce peu que tu chéri.

27. Médite longuement afin de purger ton esprit des concepts et des idées. Puis agis promptement.

28. Soi libre de tout, et plus encore de toi-même.

29. La résistance ni la révolte ne sont une fin en soi. Ils ne sont que ta réponse devant le manque d’imagination et de magnanimité.

30. Conserve jalousement tes ferveurs premières. Ne t’éloigne jamais suffisamment de leur source vive au point de ne plus pouvoir les montrer du doigt.

31. Préserve-toi de l’épuisement et de la résignation.

32. N’affronte pas la tempête. Deviens la tempête.

33. La révolte est cette violence disruptive propre à tout ce qui est occupé à naître.

34. Si le monde est en ordre tu peux y participer. Si le monde est en désordre, fais-toi oublier en attendant le moment propice.

35. Nous sommes tous les membres oubliés d’un réseau dormant qui attend d’être réactivé.

36. La propagande est à la démocratie ce que la violence est à la tyrannie. Ne garde ton attention que pour ce que l’on ne voulait pas te montrer.

37. La politique n’est pas toute la question, elle ne porte seulement que sur les conditions d’énonciation de la question.

38. Ne t’enferme pas dans un rôle, fut-ce celui de l’insurgé.

39. Soi toujours en avance d’un temps, d’une ferveur, sur la chose politique.

40. La première chose qu’il te faut conquérir est ton entièreté, la première à défendre ton intégrité.

41. Nourri un projet insensé et sans limites.

42. Tiens-toi aux avant-postes.

43. La résistance n’est pas la haine. Chéri ce qui fait de toi un insurgé, car cela t’a peut-être révélé à toi-même.

44. Sache combien dans un combat il est facile de passer à l’ennemi.

45. Résiste à l’orgueil de te savoir résistant.

46. Il s’agit avant tout de dégager le terrain.

47. Un jugement ne vaut que par la hauteur d’où l’on considère ce qu’il nous faut juger. L’erreur vient de là : le manque de hauteur.

48. Sache reconnaître le camarade au premier coup d’œil.

49. Le Maître a pouvoir sur tout, excepté sur sa propre puissance.

50. Que ta révolte gonfle ses voiles aux vents de la diversité.

51. On n’est jamais assez révolté. Si tu crois être suffisamment révolté, agrandi ton sens de la révolte.

52. Rebelle, insurgé, révolté, résistant. Homme, en somme.

53. Résister, c’est éconduire un présent dépassé pour lui substituer l’immédiat de nos ferveurs nouvelles.

54. C’est le grand crime des années 80 que d’avoir voulu faire croire qu’on pouvait assimiler la résistance à la réaction. Nous mettrons encore bien des années à nous laver de cette supercherie.

55. Un marché, c’est l’organisation de la pénurie. La pénurie c’est la coercition. Nous croyons en un monde au-delà de toute coercition et nous disons simplement : il est temps.

56. L’insurrection est la preuve tangible du vivant.

57. J’aime les vieux révoltés, ceux dont on ne peut réduire l’élan insurrectionnel à une simple fougue passagère, une excitation printanière, un débordement juvénile.

58. Que ta révolte ne trahisse jamais ton sens du paradoxe, de la complexité, du contradictoire. Qu’elle se nourrisse d’eux.

59. Pas de dévoilement ultime. Tout est chemin. Nos errances sont obscures. La pleine lumière de la révélation n’existe qu’au fond des cerveaux malades.

60. Que dirait-on d’un monde où la rafle du Vel d’Hiv ne soulèverait ni indignation ni révolte ?  

61. De qui, de quoi suis-je le mur et la limite ? Dites-le moi, que j’aille chercher une masse pour m’abattre moi-même !

62. Il faut pour se placer en dehors de l’ordre établi une probité, un désintéressement qui confinent à la candeur. Bien peu y parviennent.

63. La clôture est l’invention la plus folle de l’ordre établi, puisqu’elle montre à tous ce qui doit être franchi. Méfiance, donc, lorsque l’ordre établi dissimule ses clôtures. Plus ardue devient alors la tâche.

64. A l’origine de la résistance, le doute. Ne cesse jamais de douter. C’est le premier principe par lequel Descartes chassa les religieux et éclaira l’esprit.

65. Adhérer à une religion, à une idéologie, c’est régresser au stade où le nourrisson bouffe sa propre merde.

66. Résiste là où tu es. Tous les moyens sont bons.

67. De la révolte à l’humilité du sage.

68. Faute de savoir comment complexifier le sens de leur révolte, ils ont complexifié les raisons de leur renoncement pour mieux se le cacher à eux-mêmes.

69. L’humour n’est pas indispensable, mais il aide à ne pas trop s’attacher à ses propres pensées.

70. Dernière règle, la plus importante : c’est à toi de l’écrire.

Gérard Larnac


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