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L'austérité, vrai problème de l'Europe ?

Publié le 11 janvier 2013 par Copeau @Contrepoints

Une réponse autrichienne au débat sur l'austérité par l'auteur de The Tragedy of the Euro, traduit en français ce mois-ci aux éditions de l'Harmattan. 

Par Philipp Bagus.
Article publié en collaboration avec l'Institut Turgot (traduit du Mises Institute).

L'austérité, vrai problème de l'Europe ?
Bien des politiques et des commentateurs, comme Paul Krugman, prétendent que l'austérité budgétaire est aujourd'hui le problème de l'Europe, c'est à dire que les dépenses publiques y seraient insuffisantes.

L'argument communément exposé est le suivant : du fait de la réduction des dépenses publiques, la demande à l'intérieur de l'économie est insuffisante, ce qui provoque du chômage. Le chômage aggrave encore la situation dans la mesure où la demande agrégée baisse davantage, ce qui entraîne une baisse des recettes fiscales ainsi qu'une augmentation du déficit. Les gouvernements européens, sous la pression de l'Allemagne (qui n'aurait rien appris des politiques supposées fatales du chancelier Heinrich Brüning[[1. Brüning fut nommé chancelier en Allemagne par Hindenbourg en mars 1930 (il fut démis de ses fonctions le 30 mai 1932) et mena une politique déflationniste impopulaire. Certains pensent que ce fut sa politique qui causa la venue d'Adolf Hitler au pouvoir (NdT)]]), réduisent alors encore plus leurs dépenses publiques, diminuant la demande en licenciant des fonctionnaires et en coupant dans les transferts sociaux. Cela réduit toujours plus la demande, dans une spirale de misère sans fin.

Que peut-on faire pour briser cette spirale ? La réponse que donnent les commentateurs est tout simplement : mettre un terme à l'austérité, donner un coup d'accélérateur aux dépenses publiques et à la demande globale. Paul Krugman préconise même de se préparer à combattre une invasion d'extra-terrestres, ce qui permettrait à l'Etat d'augmenter ses dépenses. C'est ce qu'il raconte. Mais est-ce vraiment la bonne solution ?

Tout d'abord, y a-t-il vraiment austérité dans la zone euro ? On pourrait penser qu'une personne est austère lorsqu'elle épargne, c'est à dire dépense moins que ce qu'elle gagne. Eh bien, de ce  point de vue, il n'y a pas un seul pays de la zone euro qui pratique l'austérité ! Ils dépensent, tous, plus qu'ils ne perçoivent en recettes fiscales.

De fait, les déficits publics sont extrêmement élevés, à des niveaux insoutenables, comme nous pouvons le voir dans le diagramme ci-dessous, qui présente les déficits en pourcentage du PIB. A noter que les chiffres pour 2012 correspondent aux objectifs des gouvernements.

L'austérité, vrai problème de l'Europe ?
Les chiffres en valeur absolue des déficits sont encore plus impressionnants.
L'austérité, vrai problème de l'Europe ?

On peut aussi bien visualiser « l'austérité » en comparant les dépenses publiques et les recettes (le pourcentage des dépenses en sus des recettes).
L'austérité, vrai problème de l'Europe ?

Imaginez que l'une de vos connaissances dépense 12 % de plus que son revenu, en 2008, 31 % de plus l'année suivante, 25 % de plus en 2010 et 26 % en 2011. Diriez-vous de cette personne qu'elle pratique l'austérité ? C'est pourtant là ce que le gouvernement espagnol a fait. Il se montre incapable de changer son orientation. De façon perverse, cette soi-disante « austérité » est rendue responsable de la contraction de l'économie espagnole et de son chômage massif.

L'austérité budgétaire est, malheureusement, la condition nécessaire d'une reprise en Espagne, dans la zone euro, ou ailleurs. La réduction des dépenses publiques rend disponibles pour le secteur privé des ressources réelles auparavant absorbées par l'Etat. Réduire les dépenses publiques permet de rendre profitable de nouveaux projets d'investissement privés, et de sauver d'anciens projets de la faillite.

Prenons l'exemple très simplifié suivant : Gérard veut ouvrir un restaurant. Il fait ses calculs : les revenus du restaurant sont estimés à 10.000 euros par mois ; les coûts attendus s'élèvent à 4.000 euros pour le loyer, 1.000 euros pour l'eau, le gaz, l'électricité, 2.000 euros pour la nourriture et 4.000 euros de salaires. Avec des revenus estimés à 10.000 euros et des coûts évalués à 11.000 euros, Gérard n'ouvrira pas son commerce.

Prenons maintenant pour acquis que l'Etat décide de faire des économies et réduise ses dépenses. Disons qu'il décide de fermer toute une série d'agences gouvernementales (comme celle qui est en charge de la protection des consommateurs) et mette en vente sur le marché les bâtiments qui les abritaient. L'apparition de cette offre supplémentaire sur le marché de l'immobilier va avoir pour effet d'accentuer la tendance à la baisse des prix et des loyers immobiliers. Il en va de même pour les salaires. Les fonctionnaires licenciés vont chercher de nouveaux emplois, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les taux de salaires. De plus, les agences n'auront plus besoin d'eau, de gaz, ni d'électricité, ce qui là aussi devrait peser sur l'évolution des tarifs. Gérard pourra désormais trouver un local pour son restaurant (par exemple dans l'un des anciens immeubles utilisés par les services de l'Etat qui viennent d'être fermés) à louer pour seulement 3.000 euros, les loyers ayant baissé. Sa facture anticipée pour l'eau et l'électricité tombera à 500 euros, et l'embauche d'anciens fonctionnaires  pour faire la plonge et le service réduira ses dépenses salariales à 3.000 euros. Maintenant, pour un revenu anticipé de 10.000 euros et des coûts à 8.500 euros, les bénéfices espérés s'élèveront à 1.500 euros; Gérard pourra ouvrir son commerce.

Dans la mesure où l'Etat aura réduit ses dépenses il pourrait même songer à diminuer les impôts, ce qui augmenterait les bénéfices après impôts de Gérard. Grâce à sa politique d'austérité budgétaire, le gouvernement pourra également réduire son déficit. Les fonds préalablement utilisés pour financer le déficit public seront disponibles pour être prêtés à Gérard et l'aider à financer son investissement (par exemple pour adapter les anciens locaux administratifs à leur nouvel emploi commercial). En effet, l'un des problèmes principaux des pays comme l'Espagne, ces derniers temps, est que l'épargne réelle de la population est siphonnée par, et dirigée vers l'Etat via le système bancaire. L'épargne est pratiquement indisponible pour les entreprises privées parce que les banques utilisent leurs fonds en priorité pour acheter les obligations d'Etat qui financent les déficits publics.

Finalement, la question revient à ceci : qui détermine ce qui est produit, et comment ? L'Etat, qui pompe des ressources pour assurer la réalisation de ses objectifs propres (comme la mise en place de nouvelles agences administratives pour assurer la protection de ceci ou de cela, l'organisation de transferts au profit de telles ou telles populations, de telles ou telles profession, ou encore faire la guerre) ? ou les entrepreneurs par un processus concurrentiel dans le cadre duquel ils tentent de satisfaire les besoins des consommateurs en mettant à leur disposition des produits toujours plus évolués et, toutes choses égales, moins chers (comme Gérard, par exemple, qui, grâce aux ressources ainsi libérées par la fermeture de certaines activités publiques dont les conséquences économiques étaient contreproductives, va enfin permettre aux habitants de sa ville d'expérimenter une nouvelle forme de gastronomie). Si vous pensez que la seconde option est la meilleure, l'austérité budgétaire est alors la seule politique à suivre.

Un PIB plus faible ?

Mais l'austérité ne réduit-elle pas, au moins à court terme, le PIB, et n'amène-t-elle pas un déclin cumulatif de l'activité économique, comme une spirale vers le bas ?

Le PIB est, malheureusement, un indicateur trompeur. Le PIB est défini comme la valeur marchande de tous les biens et services finaux produits dans un pays au cours d'une période donnée.

Il y a deux raisons pour lesquelles voir baisser le PIB n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle.

La première tient au traitement des dépenses publiques. Imaginons un fonctionnaire de l'Etat dont le rôle est d'octroyer les licences nécessaires pour exercer une profession commerciale. Lorsqu'il refuse une licence pour un projet d'investissement, qui ne verra donc jamais le jour, quelle perte de richesse en résultera-t-il ? Faut-il l'évaluer sur la base du montant des revenus attendus, ou  celui des profits espérés ? Qu'en est-il si le bureaucrate empêche, sans s'en rendre compte, une innovation qui ferait économiser chaque année des milliards d'euros à l'économie ? Il est difficile de savoir quelle quantité de richesses le fonctionnaire aura détruite. On pourrait tout simplement prendre arbitrairement son salaire de 50.000 euros annuels et le soustraire du total de la production. Le chiffre du PIB sera plus faible.

Maintenant, retenez votre souffle. Dans la pratique, c'est le contraire qui se fait ! Les dépenses publiques comptent positivement dans le calcul du PIB. En réalité, selon cette convention, l'activité destructrice de richesse de ce fonctionnaire augmente comptablement le PIB de 50.000 euros. Ce qui implique que si son département responsable de l'octroi des licences est supprimé et s'il est lui-même licencié, l'effet immédiat de cette décision sera de faire baisser le PIB de 50.000 euros. Mais cette baisse est plutôt un bon signe pour la santé du secteur privé et ses perspectives d'activité, ainsi que pour la satisfaction des désirs des consommateurs.

Deuxièmement, si l'équilibre des structures de production se trouve compromis par les effets d'un boom artificiel, le processus de rééquilibrage s'accompagnera nécessairement d'une baisse temporaire du PIB. En effet, on ne peut maintenir le PIB que si la production demeure inchangée. Si l'Espagne ou les Etats-Unis avaient maintenu leur structure de la production en l'état issu du boom, ces pays auraient continué à construire autant d'immeubles qu'en 2007. La restructuration nécessite une contraction du secteur du bâtiment, c'est à dire une réduction de la quantité de facteurs utilisés dans ce secteur. Les facteurs de production ainsi dégagés doivent être transférés vers d'autres secteurs pour contribuer à la production de davantage de biens qui eux  sont demandés avec plus d'urgence par les consommateurs. La restructuration n'est pas instantanée, mais elle est organisée par les entrepreneurs au cours d'un processus concurrentiel lourd qui prend du temps. Durant cette période de transition, alors que des emplois sont ainsi détruits dans les secteurs dont l'activité avait été artificiellement encouragée par le boom, le PIB tend à baisser. Cette chute du PIB indique simplement que la restructuration indispensable est en cours. L'alternative serait de produire la même quantité de bâtiments qu'en 2007. Si le PIB ne chute pas, ce serait le signe que le boom destructeur de richesse continue comme auparavant.

Conclusion

L'austérité budgétaire est une condition nécessaire pour que le secteur privé puisse s'épanouir et que se déclenche une reprise rapide. Le problème de l'Europe (et des Etats-Unis) n'est pas trop, mais trop peu d'austérité – voir son absence complète. La chute du PIB peut être l'indice qu'une restructuration saine et indispensable de l'économie est en fait en cours.

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