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La notion de martyre est assez relative

Publié le 11 janvier 2013 par Corboland78

Ma récente sortie au cirque m’a mis face à une vieille douleur que je pensais ensevelie sous le poids et la masse de mes souvenirs d’enfance. Erreur, rien ne se perd jamais dans notre cerveau, un peu comme nos données personnelles sur Internet.

Parmi les différents artistes évoluant sur la piste ce jour-là, une jeune femme se livrait à un numéro gracieux axé autour d’une corde lisse suspendue aux cintres. Elle se jouait du filin avec maestria et son numéro paraissait d’une telle facilité pour elle, qu’un esprit un peu court pouvait se demander quel en était l’intérêt si c’était aussi fastoche. Et c’est justement cela qui m’a fait mal.

Ca m’a fait mal car je me suis revu plus jeune de cinquante ans, pendant le cours d’éducation physique à l’école. Chaque heure de sport chaque semaine, offrait joies ou peines selon son programme. Quand il y avait football ou handball – c'est-à-dire quand le prof nous donnait quartiers libres – c’était du bonheur total ; par contre, quand il y avait gymnastique, mon cœur se serrait de douleur anticipée.

Si la discipline n’avait fait que m’ennuyer, je l’aurais supportée. Mais elle me mettait au supplice. Je passe sur les mouvements effectués sur les tapis en mousse, éventuellement j’oublie le cheval d’arçon mais le grimper à la corde ! Ah, les suées quand entrant dans le gymnase j’apercevais la corde déjà installée et pendant du plafond. Le condamné au gibet ne devait pas en mener moins large que moi.

La cause de ma terreur tient en un seul mot, surpoids. Gamin, j’étais gros, vingt beaux kilos de trop au compteur de la balance. Vous commencez à comprendre. Même la corde à nœuds n’était pas mon amie, alors la corde lisse… Effrayé autant qu’humilié devant mes petits camarades, je n’ai jamais compris la technique à employer, la manière dont on doit placer la corde entre les pieds de façon à s’y appuyer pour mieux se hisser le long du cordage. Ne pouvant compter sur cette aide naturelle, il ne me restait que mes bras, mais quand on est gros et gras il est rare qu’on soit musclé. Sans force dans les biceps, sans l’appui des pieds sur la corde, comment vouliez-vous que j’élève mon gros cul au-dessus du sol ?

Rouge de honte, rouge de sueurs vaines, les unes entrainant l’autre et vice-versa, devant supporter les réprimandes peu amènes d’un professeur d’éducation physique pas très charitable et les rires moqueurs de quelques camarades plus souples, j’ai pris la corde en grippe. Et elle me l’a bien rendue. Jamais je n’ai réussi à atteindre le haut de ce mât de cocagne, pas même la moitié du parcours.

Quand au cours de gymnastique succédait le cours d’histoire et que le professeur évoquait les suppliciés de l’Inquisition ou les prisonniers des geôles de Louis XI devant les yeux terrifiés de mes camarades de classes, je n’y voyais pas là souffrances excessives par rapport à ce que j’avais enduré quelques instants plus tôt. Comme quoi, la notion de martyre est assez relative. 


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