Magazine Journal intime

Babette danse avec moi

Par Eric Mccomber
Je résume, parce que la position assise me fatigue.
Je suis malade. Chers amis, si je prends une éternité à vous répondre, c'est que je savoure votre présence dans ma boîte de réception. Et que je passe peu de temps à tripoter le clavier ces jours-ci.
C'est quoi ? C'est quoi ? Oh par pitié, que puis-je dire. J'ai le corps qui sort ses vieilles factures. Cent bagarres sanglantes à Montréal-Nord. Autant sur les glaces de Brossard et de Pointe-Claire. Un grave accident de vélo à douze ans. Plein de cabossages en voiture. Une overdose en 1990. Eh oui. Que voulez-vous. On passe à table. Des compagnies de disque qui m'ont crossé. Des petits voleurs de poules qui m'ont volé trente sous ici et deux-cent-trente-mille là. Plusieurs milliers de bouteilles de Scotch whisky. Deux erreurs à la vodka. Quelques psychodrames avec des nanas. Quelques miracles, aussi, toujours avec des nanas (souvent les mêmes !). Une grande et épique rupture. Quelques déménagements en catastrophe. Un gros accident de bagnole en 2001. Un matraquage asphyxiant, toujours en 2001. Une attaque de stachybotrys chartarum, qui m'a fait perdre mon petit nid d'aigle sur Messier.
Une gonzesse, que j'ai aimé en secret et de loin pendant huit ans avant de me retrouver dans ses bras puis de la voir se dissoudre comme dans un mauvais film des frères Shaw dont le Wong Fey Hung aurait été Rosie, grâce à laquelle je me suis sauvé, dans tous les sens du terme. Des déconnages avec des éditeurs, en veux-tu, en vlà. D'autres niaisages avec des copinettes. Même parfois des trucs bien. Un semblant de renaissance de tout à l'hiver 2010. Puis le déraillement de train, puis tout, tout, tout qui se barre en coquillette. Tout sauf ce qui reste, aujourd'hui. Quelques potes, la guitare, la minette, mon splendide village. Mais comme y a pas de sundae bloody gâteau sans une crise au sommet, j'ai cru bon d'ajouter un genre de chapelle sixtine de l'ivrognerie, qui s'est conclu dans une apothéose absurde tout nu dans une salle très froide entre les mains des monsieurs en blouses blanches et des madames en blouses bleu-poudre, alors que j'ai dû les entendre et les voir tandis qu'ils déployaient leur technique pour me raboter des trucs dans le cœur, pour de vrai, en live, pas pour de faux, non. Avec leurs doigts et leurs petits machins achetés sur le marché de la technosanté. Ensuite, après le succès de leur farfouillage (succès facile à démontrer, puisque je suis là pour taper ce grumeau), pilules, cachets, injections… c'est pour vivre, c'est pour la vie, c'est à perpète. Même sans crime, y a toujours un jugement, une condamnation. Les bons papas de la société technique nous brandissent l'index et nous feront la leçon même après notre mort, avant d'actionner le dernier bouton, l'ultime levier, le final clic-droit. Pfrrrt. Out.
Depuis, mais est-ce trop tard ?, vie saine de chez saine. Bio, léger, dodo, calme. Simple. Simplet. Réduit. Plus d'alcool. Pas du reste non plus, même si j'avais effectivement largué tout ça il y a 23 ans. Parfois un petit café. Mais alors, petit. Je prends une sorte d'opium légal ultra-moderne, qui me permet de supporter les douleurs. Les douleurs ? Ah oui, les douleurs. C'est que les monsieurs en blanc ont suivi un checklist. Leur vie est une vie de checklists. Et comme dans ma checklist, il y avait la réduction du cholestérol (âge, lieu, nom de la condition), ils m'ont filé un machin qui détruit, qui explose, qui hiroshimise le cholestérol. Ça a bien fonctionné, dans mon cas. Seul souci, mon taux à moi, ne cadrait pas dans le checklist. Mon cholestérol était limite. Très bas. Normal, compte tenu de ce que je mangeais, mais bon. Il aurait fallu que quelqu'un quelque part fasse de l'anti-checklist. Qu'un petit rebelle se rebiffe contre la checklist. Mais non.
Alors cette espèce de einsatzgruppen chimique s'est mis en quête de débusquer le cholestérol que je n'avais pas dans mon système sanguin. N'en trouvant nulle part dans les cafés, traînant sur les rues, roupillant dans les cinoches, les membres de l'escadron des Statines (pour ne pas les nommer) se sont rabattus sur le cholestérol qui occupait des postes utiles dans la société du corps d'Éric. Ces postes ? Eh bien, il s'avère que le cholestérol constitue une sorte de gaine, de couche de protection, de rempart qui protège le système nerveux. On appelle ça la myéline. Et quand le cholestérol est arraché à la myéline et éliminé par les Statines, les nerfs deviennent, partout dans le corps… à vif. Lorsque j'ai été à nouveau hospitalisé (mais à un hôpital différent jouissant d'une meilleure réputation), de la myéline, je n'en avais plus. Ou presque. Alors tout mon système nerveux était à vif. Une gestapo sous forme de pilule. On arrête pas le progrès. J'ai identifié trois principaux niveaux de torture. Partout sur le corps, mais en particulier autour des organes, des milliers d'aiguilles étaient plantées en permanence dans ma peau. Des aiguilles d'un centimètre. Au deuxième niveau, il y avait constamment des poignards qui me farfouillaient dans les membres et dans le ventre, des lames d'environ vingt centimètres. Et au troisième niveau, deux ou trois fois par heure, j'étais transpercé par une lance, empalé vivant dans mon lit ou sur la rue. La pointe entrait généralement autour du genou ou dans le mollet et montait à une vitesse fulgurante au travers de mes chairs, déchirant tout au passage, pour ressortir vers l'épaule, à travers un bras, ou creusait tout bonnement un tunnel dans mon cerveau pour m'éclater le crâne par l'intérieur. C'était, comment dire, pas chouette.
J'ai beaucoup joué au hockey dans ma vie (dont plusieurs saisons avec des côtes fêlées). Je me suis battu, j'ai connu des fractures, des hémorragies, deux ponctions lombaires, une méningite, trois nuits avec Kasia de Krakow… bref, j'ai connu la souffrance et j'ai à peu près toujours su la gérer et éviter qu'elle ne me pourrisse la vie. Mais le jour où je me suis présenté aux urgences de neurologie, la douleur m'a jeté deux fois au sol et je gisais là parmi les badauds et les employés blasés, sanglotant comme un chaton aveugle, incapable de mettre un pied devant l'autre, de trouver la force de pousser mon corps sous moi pour me relever. Ma pote Cécile, heureusement, était là avec moi pour alerter les ramollis et me trouver de l'aide. Le verdict a été assez simple à élaborer. Le bilan, c'est qu'il est parfois possible de reconstruire cette couche de myéline. Que ça peut prendre des années. Qu'en attendant, il y a des rechutes, des effondrements, des affaiblissements, du découragement, des coûts faramineux, des pertes de temps, de revenus, d'amis, d'espoir, d'énergie, de plaisir, de joie, de jouissance… et de désir. C'est ainsi. Je divise mon temps entre sommeil, hébétude, guitare et travail.
C'est pourquoi il m'arrive de ne pas répondre aux courriels, aux messages, aux lettres, aux pokes, aux smileys, aux commentaires, aux mots, billets, blogs, photos, blagues, gags, quolibets, derniers ragots, développements politiques, engueulades, guerres de clochettes, assassinats en Syrie, en série, en scierie, en chierie, en chéris, surenchéris, rends chéri, Pondichéri, bondis chéri, bon, bon, bon… vous avez le topo. Voici un message que je préfère ne pas voir repris à gauche et à droite. Depuis le début de ma convalescence, mon lectorat s'est réduit comme peau de chagrin et c'est tant mieux. Je peux ainsi m'adresser à vous en quasi totale intimité.
Je dois répéter encore et encore que chaque mot, chaque expression de votre amitié, de soutien, d'amour, de tendresse, de gratitude, y cætéra, tout me fait du bien. Tout participe à mon interminable guérison. Bientôt un an. Presque 300 jours alité. Ça fait une belle césure, comme un point de narration en plein cœur d'un récit. Un pivot, quoi. Passez toutes et tous une bonne année. J'ai envie rester ici, sur ce plan d'existence. De participer à la construction de petits trucs sympa. De continuer à apprendre la guitare. De gribouiller encore quelques bouquins. Disons que je me donne encore une cinquantaine d'années pour mettre tout ça sur pied. Ensuite, je verrai si j'ai envie de continuer plus longtemps, si je ne me suis pas trop fait chier.
© Éric McComber

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