La Birmanie nous fait son cinéma! Enquête sur l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes engagés et sans frontières. Moteur, action!

Publié le 05 janvier 2013 par Pierremartial
Elles sont seulement 71 dans tout le pays, et 4 uniquement dans le centre de Rangoun(1) : les salles de cinéma en Birmanie sont rares, et la plupart sont en fait des salles de théâtre aménagées pour l'occasion, où l'on diffuse des films d'action américains ou chinois avec de vieux projecteurs. Si dans les années 60 l'industrie cinématographique birmane se composait de quelques films musicaux, la censure imposée par la junte pendant près d'un demi-siècle avait réduit le cinéma à de simples documentaires, bien souvent à la gloire du pays. Filmer était suspect, et passible d’emprisonnement. "Avant 2011, tenir une caméra en main était considéré comme un acte politique! La police venait immédiatement vous questionner. Mais celà a changé" constate le cinéaste Midi Z. En moins de 2 ans en effet, dans un pays où les DVD piratés sont monnaie courante, le cinéma, jusque là réduit au silence, fait son entrée en scène. Moteur, action !
Un nouveau cinéma made in Birmanie Fondé par la réalisatrice Thu Thu Shein en septembre 2011, le Festival du Film Wathann à Rangoun est le premier festival de film indépendant (2). Ce festival, qui a eu lieu cette année du 5 au 9 septembre, projette des films documentaires, des courts-métrages et des films d’art et essai made in Birmanie, et un jury y décerne des prix selon ces 3 catégories. Il s'agit d'un cinéma complètement nouveau, libre de tout formatage, bien loin des séries TV et des films d’Hollywood diffusés sur le petit écran. L'objectif de ce festival est de diffuser le plus largement possible ces œuvres cinématographiques, d'abord et surtout à l'intérieur du pays. Les cinéastes peuvent enfin exprimer leur art librement et y faire passer leurs messages, tout comme le film documentaire "When Time Stops Breathing" ("Quand le temps s’arrête de respirer"), diffusé cette année, qui dénonce les ravages du cyclone Nargis et le refus par le gouvernement de l’aide humanitaire.
Des films très engagés Dans la même lignée, l’Art of Freedom Film Festival a vu le jour le 1er janvier 2012. A l’initiative d’Aung San Suu Kyi, du comédien Zarganar, et de quelques autres réalisateurs engagés, ce festival annuel diffuse des courts-métrages et des documentaires en compétition durant quatre jours. La cérémonie de clôture a lieu le 4 Janvier, Jour de l'Indépendance, et les prix sont remis par Aung San Suu Kyi elle-même. "Le thème principal est l'idée que l'art ne peut exister sans liberté" indique Zarganar, qui y avait présenté son propre film sur Thiri Thudhamma Khin Kyi, la mère de l'opposante birmane. Un court-métrage signé du réalisateur Zaw Win Naing avait aussi particulièrement attiré l'attention : "Ban this scene" ("Coupez cette scène") y dénonçait directement le Bureau de la censure cinématographique. Les sujets abordés dans ces films sont très engagés, à l'instar de leurs réalisateurs.
Le tout premier documentaire birman sur Aung San Suu Kyi Parmi les fondateurs de ce festival, le metteur en scène Min Htin Ko Ko Gyi a entrepris de réaliser le tout premier documentaire birman sur Aung San Suu Kyi. La figure de la résistance non violente inspire les réalisateurs : après The Lady, le biopic réalisé par Luc Besson en 2011, c'est un birman qui retrace la vie de la Dame de Rangoun, la suivant dans ses déplacements lors de sa campagne électorale en mars 2012 ainsi qu'à Oslo en juin 2012 lorsqu'elle reçoit le Prix Nobel de la Paix. "Daw Aung San Suu Kyi n'est pas seulement une icône pour sa quête de la démocratie et des droits de l'homme au Myanmar, elle est une icône dans le monde entier", nous confie le réalisateur, dont l'inspiration principale n'est autre que le désir de soutenir le combat inlassable de l'opposante birmane. Ce premier documentaire birman sur la vie de la Dame devrait voir le jour en 2014.
Midi Z., caméra au poing Quand la Birmanie fait son cinéma, elle se fait connaître aussi à l'international. Tel est le cas de Midi Z., un jeune réalisateur birman d'à peine 30 ans. Contraint de s'exiler à Taïwan pour apprendre son art, il pressent les changements qui sont en train de s'opérer dans son pays et rentre en Birmanie au moment où Aung San Suu Kyi est libérée pour y tourner son premier long métrage. Alors qu'il est très difficile d'obtenir les autorisations et de trouver du matériel et une équipe, il met en scène le retour au pays d’un émigré birman : “Return To Burma” est sélectionné au Festival international du film de Pusan, en Corée du Sud. C'est la première fois qu'un long-métrage birman est présenté dans un festival international, tandis que Luc Besson y présente The Lady. La Birmanie est donc à l'honneur, et le film de Midi Z. passe en compétition officielle au Festival international de Rotterdam en 2012.
Quand le cinéma birman s'invite au Festival de Cannes! Peu de temps après, le jeune cinéaste est invité au Festival de Cannes. Il est l'un des dix réalisateurs sélectionnés par le Pavillon des Cinémas du Monde, pour présenter son nouveau projet de long-métrage en quête de financement (3) : “Liang Qing, A Burmese Girl”, ou l’histoire d’une jeune fille birmane qui immigre illégalement en Thaïlande en quête d’une vie meilleure. Le film obtient la subvention d'aide du Festival du film de Pusan, l'Asian Cinema Founds. Mais Midi Z. ne chôme pas : un deuxième long-métrage a vu le jour en septembre 2012. “Poor Folk”, intégralement produit par sa propre société de production (4) est déjà sélectionné par 4 Festivals internationaux : à Pusan, Bombay, Rotterdam et Vancouver. Tandis que son premier film peut désormais s'acheter en DVD import sur Amazon... Pas de doute : en Birmanie le 7e art est en pleine ébullition.

Jeanne Perrin

Jeanne PERRIN, membre de France Aung San Suu Kyi et diplomée de l'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) est chargée, au sein de la rédaction, des questions de géopolitique et de l'émergence des initiatives démocratiques en Birmanie)


1. Ambassade de France en Birmanie, chiffres 2011.
2. Page Facebook du Festival: www.facebook.com/wathannfilmfest et site Internet: www.wathannfilmfest.net
3. Le budget du film est estimé à 650 000 euros.
4. La société Seashore Image Production fondée par Midi Z. et quelques autres réalisateurs birmans, est implantée en Birmanie et à Taïwan.




Aung San Suu Kyi, site français d'information et de soutien à Aung San Suu Kyi et à la Birmanie / Myanmar