On néglige le Pacifique, On néglige aussi le rôle de la France dans le Pacifique.Alors pourtant que c'est le plus vaste océan, chose non négligeable à l'heure de la maritimisation. Et alors que la bascule américaine se fait de l'Atlantique vers le Pacifique. Réfléchir à la place de la France dans le Pacifique, c'est l'objet de ce billet, proposé par Helène Gpoiran, qui réside en Nouvelle Calédonie. Merci à elle.
O. Kempf
Le nouveau contexte stratégique se caractérise notamment par la maritimisation des enjeux et le déplacement du centre de gravité du monde vers le Pacifique.
Le récent rapport du Sénat, « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans », rappelle que la mondialisation a accru l’importance stratégique des enjeux maritimes (routes maritimes et ressources marines et sous-marines) ; la maritimisation des enjeux économiques implique un rôle et une concurrence accrus des Etats en mer. La souveraineté sur les espaces maritimes est donc un élément fondamental de la puissance d’un Etat. La France dispose du deuxième espace maritime du monde et peut donc tirer profit de la maritimisation si elle conserve les moyens de sécuriser ses activités maritimes.
Le centre de gravité économique et financier du monde est dans le Pacifique : le G2 sino-américain s’y fait face, Washington y renforce sa présence et annonce le déploiement prochain de 60% de sa marine de guerre, la Russie y développe sa flotte et intensifie sa diplomatie…
Dans ce cadre, les terres françaises d’Océanie et leurs ZEE constituent des atouts stratégiques, diplomatiques, économiques, scientifiques, culturels, etc.
Plus de la moitié de l’espace maritime français est dans le Pacifique, avec les zones économiques exclusives de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de Wallis et Futuna et de Clipperton. Ces îles confèrent à la France un statut de puissance du Pacifique, avec les opportunités et les responsabilités qui y sont associées. Les communautés françaises du Pacifique (résidents d’outre-mer, expatriés, diplomates) sont autant de relais de l’action et de l’influence de notre pays à proximité du nouveau centre de gravité du monde.
Dans un environnement où « le renseignement est un enjeu vital, au cœur de notre stratégie de défense » (comme l’a indiqué le ministre le 15 octobre) la possibilité de disposer de moyens de renseignement technique dans tous les océans est incontestablement un avantage.
La présence française, longtemps contestée, y est maintenant souhaitée, comme l’illustre, entre autres, l’intensification de la coopération militaire avec les puissances régionales et les petits Etats océaniens.
La France a longtemps été en butte à la contestation, voire l’hostilité des puissances régionales et des petits Etats océaniens (Essais nucléaires, revendications indépendantistes…).
Elle est désormais non seulement admise mais appréciée, en particulier dans le domaine de la défense et de la sécurité.
C’est ce qu’illustre, par exemple, l’ampleur sans précédent de l’édition 2012 de l’exercice interarmées multinational Croix du Sud, organisé par les forces armées de la Nouvelle-Calédonie : les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Grande-Bretagne, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Vanuatu et les Tonga y engagent des hommes et des moyens. Le Japon y envoie des observateurs.
Le Quadrilateral Defence Coordination Group (Australie, France, Nouvelle-Zélande, USA), qui coordonne l’action de ses membres en faveur des Etats insulaires du Pacifique, en particulier pour la surveillance de leurs ZEE, c'est-à-dire la protection de leurs principales ressources. Le « Quad » symbolise le rapprochement entre Washington, Canberra, Wellington et Paris (via Nouméa). Le 4 juillet 2011, c’est en Nouvelle-Calédonie que l’USS Blue Ridge, bâtiment amiral de la 7e Flotte, a célébré la fête nationale des Etats-Unis.
Sur la vision étasunienne de la place et du rôle de la France dans le Pacifique, on lira avec intérêt l'analyse publiée mi-décembre 2012 par le Center for Strategic & International Studies : "France, the Other Pacific Powe.
Les Forces armées de la Nouvelle-Calédonie, positionnées au cœur de la Mélanésie et à proximité immédiate de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, et celles de la Polynésie française, constituent des plate formes et des relais essentiels pour la défense et la sécurité nationale dans une zone dont l’intérêt est désormais avéré.
Les FANC et les FAPF permettent à l’armée française d’être à la fois sur son territoire et aux antipodes de ses bases métropolitaines. Ainsi proche de ses alliés australiens, néo-zélandais (partenaires de l’OTAN) et américains, elle y développe l’interopérabilité indispensable sur tous les théâtres où elle est engagée avec eux. Les FANC et les FAPF sont des leviers régionaux de la coopération militaire bilatérale et multilatérale de la France. Elles contribuent aussi à la protection des ressources et à l’intégration régionale des collectivités françaises d’Océanie.
Dans le Pacifique comme dans l’Atlantique et l’océan Indien, l’armée française dispose, avec ses bases de défense ultramarines, de structures permanentes excentrées : par leur localisation même, les forces de souveraineté constituent des éléments déterminants d’offensive, de défensive, de riposte et de résilience, garantes d’une meilleure capacité de réaction et d’adaptation aux surprises stratégiques.
La France est, grâce à la Nouvelle-Calédonie, au troisième rang mondial pour les réserves de minerai de nickel : il s’agit là d’un approvisionnement stratégique. Les autres îles françaises du Pacifique pourraient prochainement en assurer d’autres : les campagnes de recherches de l’IFREMER ont confirmé l’intérêt des gisements minéraux sous-marins de Wallis et Futuna et de Clipperton.
Les Etats et territoires océaniens, longtemps pauvres et isolés, deviennent riches de potentialités (poids diplomatique, intérêt stratégique, ressources halieutiques, minérales et énergétiques de leurs ZEE). Ils sont des acteurs de plus en plus importants de la géopolitique mondiale.
Les évolutions géopolitiques actuelles confirment que de petits Etats (comme le Qatar ou les Emirats arabes unis…) peuvent avoir un rôle dépassant largement ce que leur poids réel (économique, démographique, militaire) devrait logiquement leur conférer.
Ainsi les Fidji, poussées par les sanctions imposées par leurs partenaires traditionnels après le coup d’Etat du Commodore Bainimarama à rechercher d’autres coopérations, ont développé et réussi une offensive diplomatique tous azimuts : elles ont été élues par acclamation à la présidence du « G77 et la Chine » pour l’année 2013, dialoguent aussi bien avec Washington et Abou Dhabi aussi bien qu’avec Moscou et Pyongyang, leurs casques bleus constituent la totalité de la Guard Unit de la mission onusienne en Irak, elles président et renforcent le Groupe Fer de lance mélanésien, etc.
Chine, Russie Japon et Corée(s), riverains du Pacifique Nord, y développent leur influence. La France, qui est géographiquement proche d’eux par ses collectivités d'Océanie, est appréciée pour ses valeurs, ses compétences et l’assistance qu’elle apporte (humanitaire, militaire, scientifique…). Elle est un partenaire privilégié.
Les forces armées de la Nouvelle-Calédonie opèrent dans une zone où leurs capacités sont indispensables non seulement aux Français de Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna mais aussi aux populations des petits Etats amis, très vulnérables aux catastrophes naturelles : l’édition 2012 du World Risk Report des Nations Unies, publié il y a quelques jours, place de nouveau le Vanuatu au premier rang mondial ; quatre autres Etats de la ZRP du ComSup FANC figurent parmi les quinze pays les plus exposés aux risques. Les moyens français sont régulièrement sollicités dans le cadre de l’Accord FRANZ (France/Australie-Nouvelle-Zélande) pour apporter une assistance.
La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis et Futuna sont les seuls PTOM significatifs de l’UE dans le Pacifique: dans un contexte stratégique mouvant, ils sont une chance pour la France et pour l’Europe (« smart defence »). Ils leur confèrent des avantages, réalisés et potentiels, qui sont et seront des éléments déterminants de leur puissance.
Les bases de défense françaises du Pacifique intéressent ou pourraient intéresser les alliés de la France (Union Européenne, OTAN, etc.). Plus généralement, la coopération et la mutualisation des moyens (« smart defence ») sont des éléments indispensables au maintien des capacités dans un contexte de réduction des ressources.
Nouméa et Papeete, positionnées au cœur du Pacifique, travaillent aux mêmes heures que Shanghai, Tokyo et San Francisco et Sydney, pendant que l’Europe dort. Pour les entreprises françaises, les instituts de recherche, les organisations gouvernementales, les administrations, c’est une opportunité à saisir.
En maintenant les capacités de défense et de sécurité dont elle dispose dans le Pacifique, la France préserverait ses intérêts, satisferait ses alliés et contribuerait à la sécurisation du monde.
Hélène Goiran, (docteure en histoire, auditrice de l'IHEDN, Nouméa)