On connaissait les médecins sans frontières et les reporters sans frontières. Ils devront bientôt compter avec un nouveau professionnel sans frontières : le percepteur.
Par Baptiste Créteur.
L'OCDE lance un projet pilote visant à mieux traquer la fraude fiscale. Toute coïncidence avec la volonté récente du gouvernement de taxer les Français où qu'ils soient est bien entendu fortuite.
Mettre à disposition des inspecteurs des impôts sans frontières pour traquer l'évasion fiscale. Cet arsenal inédit, lancé par l'OCDE et dédié au départ aux pays en développement entre dans sa phase opérationnelle. L'Organisation internationale lance l'étude, financée par la France en partenariat avec la Norvège. L'objectif est que la «task force» des inspecteurs soit opérationnelle dès cette année. «Il y a plusieurs points juridiques à résoudre, notamment le statut de l'entité - association, organisation gouvernementale… - et le régime juridique qui se heurte notamment au principe de souveraineté, règle de base en matière fiscale», explique Pascal Canfin, ministre délégué chargé du Développement.
Rassurons-nous, cet "arsenal inédit" est dédié au départ aux pays en développement. Rien n'est dit pour la suite, et on peut espérer que l'habileté gouvernementale en matière juridique soit la source de nombreux retard, mais l'objectif est clair : des inspecteurs permettront de traquer les citoyens d'un pays pour les forcer à régulariser leur situation fiscale. Si les règles d'imposition en France venaient à changer, par exemple pour taxer désormais les Français sur la base de leur nationalité, cet outil tomberait à point nommé pour faire coopérer les plus récalcitrants d'entre eux, et permettrait de déployer une fiscalité sans limites sans possibilité pour quiconque d'y échapper.
Il ne s'agit pas seulement d'échange d'information et d'expertise mais de répondre à des demandes précises des pays du Sud, souvent mal armés pour effectuer des contrôles fiscaux. Ces agents internationaux - qui pourraient être des inspecteurs des impôts en retraite comme cela se pratique en Allemagne - décrypteront tel ou tel montage sophistiqué opéré par une multinationale. La finalité étant d'aider ces pays à augmenter leurs ressources propres, à lever l'impôt de manière plus juste et plus équitable. Les Nations unies ont fixé un seuil minimum de prélèvements obligatoires - 17 % du PIB - permettant de mener une politique publique digne de ce nom. De nombreux États d'Afrique se situent très en deçà, contre une moyenne OCDE de 33,8% et 45% en France. «Les flux financiers échappant aux États du Sud, pour cause d'optimisation légale ou d'évasion fiscale, sont évalués à dix fois le montant de l'aide publique au développement mondiale», insiste le ministre. En 2011, l'aide au développement représentait un peu plus de 13 milliards de dollars.
L'ONU a fixé un seuil minimum de prélèvements obligatoires pour mener une politique publique digne de ce nom, sans doute sur la base de calculs sophistiqués et de principes simples et acceptés de tous. L'OCDE est au-dessus, et la France encore bien au-dessus de l'OCDE – l’État, quand il comprend que ses citoyens prospèrent, a du mal à ne pas grossir. D'ailleurs, pour permettre à l’État de grossir, on peut assimiler des notions différentes, comme l'optimisation légale et l'évasion fiscale : tant que le contribuable ne paie pas le maximum de ce qu'il pourrait être amené à payer, l’État n'est pas rassasié.
Non seulement, cet organisme mettra en place des échanges d'informations entre États, mais il répondra aussi à des demandes précises – toujours des pays du Sud, au départ. C'est on ne peut plus rassurant, compte tenu de la confiance aveugle que nous pouvons tous placer dans l’État et les organismes internationaux pour faire bon usage de cette information et respecter les libertés fondamentales des individus qu'ils sont censés garantir.
L'enjeu est d'autant plus crucial que les budgets consacrés au développement font les frais de la crise. Les ONG ne cessent de le dénoncer: l'objectif de consacrer 0,7% du PIB au développement d'ici à 2015 ne sera jamais atteint. Dans ce contexte contraint, Pascal Canfin plaide pour plus de transparence. C'est ce message qu'il porte à Bruxelles, en poussant l'adoption de la directive sur la transparence des industries extractives: pétrolières, minières, gazières et forestières. Le ministre espère un accord de principe dans les prochaines semaines. Il s'agirait d'imposer aux entreprises un détail de leurs activités pays par pays, ce qui donnera plus de visibilité sur l'exploitation des ressources tirées du pays, sur le modèle de la directive adoptée aux États-Unis. «Cela permettra d'ouvrir la boîte noire, de lutter contre la corruption et l'optimisation fiscale agressive», assure Pascal Canfin.
L'objectif est bien entendu de financer le développement des pays en difficulté, de lutter contre la corruption et l'optimisation fiscale agressive. Il est en effet insupportable que certains citoyens puissent se soustraire à l'impôt dans un manque total de transparence ; il serait encore plus insupportable que ces individus malsains qui ne contribuent pas à l'effort national soient des hommes politiques des pays du Sud ; il serait inimaginable que ces individus soient des hommes politiques des pays du Nord.
De façon toujours plus patente, les collectivistes de tout poil et de toute nationalité cherchent à empêcher le départ des citoyens qui auraient une autre idée de la façon dont ils veulent mener leur vie. Si un illustre exilé fiscal avait l'idée de partir s'installer sur une autre planète, nul doute que serait annoncée, dans les semaines suivantes, la construction d'un arsenal de destructions d'objets planétaires – au départ, pour protéger la Terre de potentiels astéroïdes néfastes. Rien, en revanche, n'est prévu pour lutter contre une politique fiscale agressive, pour paraphraser le ministre délégué en charge du développement, pour protéger les citoyens contre un État qui aurait oublié son rôle de garant des droits imprescriptibles des individus et serait entré dans une rage confiscatoire débridée. Dans ce cas de figure, il ne faudrait pas compter sur un État qui aurait échoué à garantir liberté, propriété privée et sûreté, mais sur les citoyens pour résister à une oppression qui ne dirait pas son nom. Encore faut-il que les citoyens comprennent que ce qui est au départ handicapant devient rapidement invivable.