L'engagement français au Mali, qui rappelle la guerre contre le terrorisme, devrait être réfléchi plus longuement pour ne pas connaître le même destin.
Par Marc Crapez.
La France devrait repenser son discours et son schéma de guerre contre le terrorisme au Mali.
Au Mali, un hélico a été touché. En Somalie, AQMI a fait plusieurs morts. On pourrait s’interroger sur la fascination des gouvernements socialistes pour la chose militaire. Plus sérieusement, se pose la question du discours et du schéma de la « war against terrorism ». Contre un ennemi que François Hollande, depuis le sol des Émirats Arabes Unis ce qui ne manque pas de sel, promet de « détruire ».
Au Mali, les combattants plus ou moins affiliées à AQMI ne commettent pas d’attentats. Ce sont des fanatiques, bien sûr, mais aussi des soldats qui « se battent à découvert, à la loyale », selon la formule de Jean-Dominique Merchet. Mais, alors qu’ils sont vaillants et acceptent le sacrifice suprême, ils se trouvent niés dans leur dignité de fiers guerriers.« On ne peut tout de même pas laisser ces terroristes appliquer la charia », entend-on. Tyrannie des sentiments et démagogie du bon sens se conjuguent : la guerre s’impose comme l’évidence même. Il n’y a pas d’autre option sur la table. On considère l’ennemi comme un mal à éradiquer et non comme quelqu’un avec qui il faudra bien, un jour, finir par dialoguer. Il faudrait au contraire admettre que l’interlocuteur relève des lois de la guerre et traiter avec lui (ce qui n’empêche pas la guerre de l’ombre).
La France ne dispose pas des moyens de ses ambitions
Le Figaro nous apprend qu’à Alger, la duplicité des négociateurs du groupe Ansar Dine avait « eu le don d’agacer au plus haut point les diplomates français ». Comme s’il y avait eu matière à s’offusquer. L’Occident est desservi par l’ignorance et la susceptibilité de certains diplomates et généraux. En Afghanistan, des propositions de redditions négociées conformes aux coutumes locales, c’est-à-dire la paix des braves, émanant successivement des talibans puis d’Al Qaïda, furent repoussées vers 2003.
A l’époque, Bush s’émerveillait : « Nous redéfinissons la guerre selon nos propres termes. Dans cette nouvelle ère de la guerre, nous pouvons cibler un régime, et non une nation ». Bien sûr, mieux vaut ne pas accepter les termes de l’ennemi. Mais il faut comprendre comment il fonctionne et ne pas sous-estimer sa capacité de résilience. Or, les manœuvres aéroterrestres de haute intensité décapitant l’ennemi au moyen de technologies de précision n’apportent que des victoires à la Pyrrhus.
La France ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Administrer une « raclée technologique » par un déluge de bombes ne consolide pas une victoire sur le terrain. En second lieu, en abusant de la guerre électronique pour ne pas se voir infliger des pertes insupportables, un belligérant se retrouve sous le regard du spectateur impartial. Le sens commun et les opinions publiques mondiales portent un jugement.
D’abord, le survol de l’espace aérien algérien par les chasseurs français constitue un affront pour une partie de l’opinion publique arabo-musulmane. Ensuite, il n’y a rien à filmer hormis la reprise de Tombouctou, terre d’islam où ne devront pénétrer que des soldats maliens. Enfin, cette expédition punitive ressemble à une guerre de reconquête au profit d’un pouvoir fantoche. La France s’est laissée entraîner dans une posture justicière par des États africains qui se défaussent de leurs responsabilités et jouent sur le mécanisme de la solidarité entre États face aux revendications autonomistes. Il suffit de visualiser la carte du Mali pour douter de l’existence d’un État-nation.
Au Mali, les autorités françaises ont cru conjurer un scénario à la somalienne, lorsque jadis les édifices publics et avions de la compagnie aérienne nationale étaient tombés aux mains des seigneurs de la guerre. Les contraintes économiques et géopolitiques recommandaient plutôt de la retenue dans l’usage de la force, afin de n’en user que pour une victoire éclair, en dernier recours et parcimonieusement sans « brûler ses vaisseaux ».
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