Certaines rencontres en disent plus long sur notre société que n’importe quel rapport ou discours politique. C’est le cas de ma rencontre avec Paul, un garçon de 22 ans avec qui j’ai petit-déjeuné ce matin.
Par Martin Mignot.
Certaines rencontres en disent plus long sur notre société que n’importe quel rapport ou discours politique.C’est le cas de ma rencontre avec Paul, un garçon de 22 ans avec qui j’ai petit-déjeuné ce matin.
Le fils du forgeron
Originaire d’une famille modeste, père forgeron et mère au foyer, il ne brille pas par ses résultats scolaires. Un bac (moyen) en poche, il décide de suivre des études de “Media Management”, un cursus généraliste censé lui apprendre des notions de gestion et des connaissances sur l’industrie des médias. Se rendant vite compte que ce qu’on lui enseigne ne sera jamais de la moindre utilité à quelque employeur que ce soit, il ne termine pas sa première année, et se retrouve, comme tant de gens de notre génération, sans emploi, sans expérience professionnelle, et sans diplôme sérieux.
Et pourtant, ce matin, trois ans après l’arrêt de ses études, ce n’est pas dans la file d’attente du Job Center que j’ai rencontré Paul, mais bien à la table d’un des cafés branchés de Shoreditch à Londres. Et s’il m’a demandé de petit déjeuner avec lui, ce n’est pas pour que je l’aide à trouver un boulot, mais pour que je lui donne mon avis sur lequel refuser.
En effet, Paul hésite aujourd’hui entre 5 startups établies qui lui offrent des salaires supérieurs à £40k par an, ainsi que de généreuses stock-options, représentant potentiellement plusieurs centaines de milliers de £ (voire de millions, s’il a la chance et le flair de rejoindre le prochain Facebook). Mais l’argent ne faisant pas tout, il veut trouver le meilleur environnement de travail et un produit qui le passionne vraiment. Car il a le luxe inouï de pouvoir choisir.
Chômage? Quel chômage?
Quel est donc le secret de Paul? De quel pouvoir magique est-il le détenteur pour ensorceler tant de potentiels employeurs? La réponse tient en un mot, qui n’a rien d’ésotérique: Paul est front-end développer. Il maitrise plusieurs langages web essentiels: HTML, CSS, Javascript, JQuery. Comment les a-t-il appris? Ses parents lui ont-ils payé des écoles spécialisées hors de prix? Non. Il est tombé dedans à 16 ans, en essayant de customiser son profile MySpace pour impressionner les filles. Et il a tout appris par lui-même, en faisant, et en utilisant les milliers de ressources gratuites disponibles sur Internet.
Le secteur dans lequel je travaille, les startups Internet, ne connait pas le chômage: il connait la pénurie de talents. Si Paul a cinq offres d’emploi c’est que nos startups n’arrivent pas à trouver suffisamment de gens motivés qui possèdent ses compétences. Et si, dans le même temps, des millions de gens ne trouvent pas de boulot, ce n’est pas simplement qu’il n’y en a pas assez pour eux, mais aussi qu’ils n’ont pas les compétences dont les entreprises ont besoin. C’est une évidence, mais on la mentionne rarement. Les boites avec lesquelles je bosse se foutent pas mal que leurs employés aient Bac+10 ou, comme Paul, Bac+0. Elles veulent juste qu’ils soient capables de faire ce qu’elles leur demandent. De créer une sublime Web application par exemple.
L’ascenseur social est en panne…: J’ai pris mon clavier!
C’est en cela que le mythe des études secondaires et du diplôme est fondamentalement pervers. Faire croire à des millions de jeunes qu’il leur suffit d’additionner le plus grand nombre de chiffres derrière leur bac pour avoir le boulot de leur rêve est au mieux inconscient, au pire criminel. Dans la vraie vie, celle des entreprises privées qui paient des impôts et doivent être profitables pour exister, on ne recrute pas des années d’études, on recrute des compétences.
Et c’est grâce à cela que des gens comme Paul, qui n’ont pas fait d’études, qui n’ont pas de capital de départ - ni culturel, ni social, ni financier - peuvent trouver le boulot de leurs rêves. Un boulot qu’ils aiment et qui les rémunère suffisamment pour vivre bien, voire même pour les mettre à l’abri du besoin pour le restant de leurs jours. Il n’a eu besoin ni de pistons, ni de contrats aidés. Il s’est fait tout seul, dans sa chambre, grâce à son travail et son intelligence. Et grâce à Internet.
Car Internet est le grand égalisateur. Tout le monde est égal derrière son ordinateur. Tout le monde a accès aux mêmes ressources et aux mêmes outils. Il n’y a ni âge, ni genre, ni race, ni religion, ni classe. Les matheux peuvent coder, les artistes peuvent designer, les littéraires peuvent écrire. Et les pauvres peuvent devenir riches. Par leur travail et leur intelligence.
Ça ressemble à ça un ascenseur social.
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