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État employeur en dernier ressort : au-delà de l'audace, la bêtise

Publié le 19 janvier 2013 par Copeau @Contrepoints

L'État employeur en dernier ressort, une idée audacieuse. Stupide, mais audacieuse.

Par Baptiste Créteur.

État employeur en dernier ressort : au-delà de l'audace, la bêtise"Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée !" De l'audace, Cédric Durand et Dany Lang, Université Paris-XIII, en ont, au point d'affirmer que l’État doit "prendre les chômeurs tels qu'ils sont et [...] adapter les emplois publics à leurs compétences". Puisque l'audace est à la mode, ils exposent cette idée dont tout semble indiquer qu'elle ne sauvera en rien la France – au contraire – mais plaira au gouvernement.

Ils ne sont pas les premiers à affirmer que l'État employeur est la solution au chômage, mais alors que d'autres se limitent à vouloir embaucher des chômeurs, eux affirment qu'il faut embaucher tous les chômeurs, et se cachent pour cela derrière un économiste comme on les aime, Hyman Minsky. Sa théorie, c'est qu'il faut encadrer la finance pour empêcher les investisseurs de chercher trop de rentabilité, nécessairement synonyme de trop de risques et donc de déséquilibres du système que le marché ne serait pas assez grand pour corriger tout seul – il reconnaît que la baisse des prix sur les marchés est une correction, mais plutôt que laisser les investisseurs se faire corriger, il préfère qu'ils soient encadrés par de vaillantes et vigilantes autorités.

Du budget 2013 à "la trahison" de Florange, le gouvernement Ayrault reproduit des choix qu'il faut expliciter. Le premier, le plus débattu, est celui de l'austérité. La stratégie déflationniste de sortie de crise voulue par les élites européennes ne peut que conduire à une longue et douloureuse récession. Au lendemain d'une crise financière, les agents privés sont contraints de se désendetter ; si l’État vient en sus contracter ses dépenses, la spirale dépressive ne peut que s'aggraver. Depuis quatre ans, les prévisions de la "troïka" (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) ont été systématiquement invalidées par les faits, en raison précisément du refus de considérer ce mécanisme élémentaire de la macroéconomie. Une récente étude du FMI vient d'ailleurs de le reconnaître. Alors que l'austérité se généralise sur le continent, il n'y a donc pas la moindre chance que les promesses de François Hollande sur le retournement de la courbe du chômage en 2013 soient tenues. Est-ce une fatalité ? Certainement pas.

L'austérité ne peut que conduire à une récession, puisque les agents privés sont contraints de se désendetter ; si l’État le fait aussi, c'est la spirale infernale. Au lieu de cela, il faudrait que l’État relance en période de crise pour en atténuer les effets ; sinon, la spirale dépressive s'installe, et la période d'euphorie pendant laquelle tout le monde s'endettait à foison laisse la place à une gueule de bois difficile à surmonter. Difficile à surmonter certes, mais nécessaire pour repartir sur des bases saines – on ne peut pas s'endetter à foison, et il est irresponsable de demander au secteur privé de se désendetter pour lui faire ensuite payer le prix de l'endettement de l’État.

Hyman Minsky identifie deux stratégies de lutte contre le chômage riches d'enseignements pour aujourd'hui. Dans la première, "la croissance économique est considérée comme souhaitable et le taux de croissance est déterminé par le rythme de l'investissement privé, ce qui conduit à mettre l'accent sur l'investissement privé comme moyen privilégié pour atteindre le plein-emploi". La politique de relance a ainsi pour but de retourner les anticipations de profits des investisseurs afin de permettre à l'accumulation de repartir. Cela passe par des déductions fiscales sur les investissements, des commandes publiques – typiquement dans l'armement ou le BTP, des subventions pour les secteurs de la construction ou pour la recherche & développement. À ses yeux, cette stratégie a de nombreux défauts : elle conduit à accroître la part du capital dans le revenu global, nourrit des relations financières instables, contribue à l'accroissement des inégalités de salaires et à la diffusion du consumérisme, et peut, en outre, provoquer de l'inflation. Aujourd'hui, ces politiques buttent sur les limites de la croissance capitaliste : l'épuisement de la dynamique industrielle dans les pays riches, la hausse de la demande pour les services de production de l'homme par l'homme (santé, loisir, éducation...) et la dégradation des conditions écologiques s'ajoutent à la tendance séculaire au ralentissement de la productivité, et imposent de repenser fondamentalement ce que pourrait être, à l'avenir, la dynamique économique.

La première stratégie de sortie de crise passe par l'investissement privé – ou plutôt, laisse le marché agir – et nécessite donc une stratégie de relance ad hoc. Le raisonnement est fallacieux : nos deux amis économistes n'envisagent la sortie de crise que par une relance étatique. La meilleure stratégie de sortie de crise est de laisser faire le marché, point final – l’État s'abstient d'intervenir dans l'économie, élimine les distorsions du marché qu'il a consciencieusement instaurées depuis des décennies dans tous les secteurs et les individus jouissent d'une liberté qu'ils ont depuis longtemps oubliée. C'est la voie qu'ils n'évoquent pas, prisonniers de leur dogme keynésien.

Ils évoquent en revanche des limites imaginaires du marché, qu'ils jugent sur la base de leur idéologie en dénonçant inégalités de salaires et diffusion du consumérisme d'une part, et sur la base de limites de la croissance capitaliste qui demeurent à prouver et dont la formulation révèle les implication socialistes de leur pensée keynésienne ("l'épuisement de la dynamique industrielle dans les pays riches, la hausse de la demande pour les services de production de l'homme par l'homme (santé, loisir, éducation...)"). La "tendance séculaire au ralentissement de la productivité" est à l'opposé des faits, le capitalisme est le meilleur moyen de protéger les "conditions écologiques", et peu de doutes subsistent quant à leur volonté de "repenser fondamentalement ce que pourrait être, à l'avenir, la dynamique économique."

Ils ont en revanche raison sur ce point : une stratégie de sortie de crise par la relance est vouée à l'échec. Ils proposent donc une alternative, à l'opposé de celle que proposent Contrepoints et les libéraux.

L'autre stratégie de lutte contre le chômage qui a la préférence de Hyman Minsky passe par l'emploi public. Son principe central est celui de l’État comme "employeur en dernier ressort", c'est-à-dire que l’État (ou les collectivités locales) s'engage à fournir un emploi à tous ceux qui sont prêts à travailler au salaire de base du secteur public, et éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés. Il s'agit de "prendre les chômeurs tels qu'ils sont et d'adapter les emplois publics à leurs compétences". Les emplois se situent dans des services intensifs en travail qui génèrent des effets utiles immédiatement perceptibles pour la collectivité dans des domaines comme l'aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades, l'amélioration de la vie urbaine (espaces verts, médiation sociale, restauration de bâtiments...), l'environnement, l'animation en milieu scolaire, les activités artistiques, etc. Ces activités ont toutes pour particularité d'être non productives, dans le sens où elles ne génèrent pas ou peu de gains de productivité.

Les contribuables devraient donc financer un emploi pour tous ceux qui en veulent un et à qui personne n'a voulu en proposer. S'il fallait illustrer l'absence de logique de cette proposition, elle est assez facilement résumée : les activités auxquelles on emploierait ces anciens chômeurs ont pour particularité d'être non productives, mais génèrent des effets utiles immédiatement perceptibles. L'économie sociale et solidaire a de beaux jours devant elle.

Comme le résume Hyman Minsky, l'objectif est "une meilleure utilisation des capacités existantes plutôt que leur accroissement". Des impôts fortement redistributifs et les économies réalisées sur les prestations chômage permettraient de financer ces emplois. Une telle stratégie conduirait, en outre, à "une euthanasie des rentiers relativement rapide". En effet, comme "elle n'implique pas de stimuler l'investissement privé (...), une imposition véritablement progressive et effective de l'héritage" est possible, de même qu'une "imposition des bénéfices qui ne se soucie pas de protéger les marges des entreprises". Cela s'impose d'autant plus que, depuis trois décennies, l'essentiel des profits n'est pas réinvesti mais distribué aux actionnaires. Face à l'immense gâchis humain et social que représente le chômage, qu'est-ce qui empêche les gouvernements d'adopter une telle politique ? La réponse est bien sûr que l'agenda de la compétitivité, censé relancer les incitations à investir, a la préférence des milieux d'affaires. À l'inverse, la stratégie de l’État comme "employeur en dernier ressort" oriente le travail disponible en fonction des besoins sociaux.

Il faut bien entendu financer ces emplois publics non productifs, et c'est évidemment par l'impôt fortement redistributif qu'on pourra le faire – sans compter les économies réalisées en n'ayant plus à financer des chômeurs. C'est logique : si on paie des chômeurs pour travailler, on n'aura plus à les payer quand ils ne travaillent pas, et cela représente une économie.

Mais il ne faudrait pas en rester là. Si on résout le problème du chômage en embauchant systématiquement tous les chômeurs, les conséquences sur le chômage d'une destruction de l'investissement privé ne sont plus à craindre ; on peut donc allégrement procéder à l'"euthanasie" des investisseurs et des entreprises en mettant en place une "imposition des bénéfices qui ne se soucie pas de protéger les marges des entreprises". Ce sont les milieux d'affaire qui en auraient jusque-là empêché les hommes politiques, eux qui sont si soucieux du bien-être des entrepreneurs.

Combinée à d'autres politiques ambitieuses tel un grand programme de reconversion écologique, elle permettrait de supprimer l'armée de réserve des chômeurs et de réduire les inégalités en rééquilibrant le partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires. Elle est de ce fait clairement défavorable aux détenteurs du capital. Mais n'est-ce pas par ce type d'audace que pourrait se signaler une politique de gauche ?

Monsieur Durand, monsieur Lang, vous proposez de détruire l'économie privée sans le dire vraiment, de mettre fin au marché libre sans oser l'affirmer. En détruisant le secteur privé, vous mettrez tous les Français au chômage pour mieux les faire employer par l’État ; la fiscalité fortement redistributive n'est jamais qu'une destruction de la propriété privée – je trouve que vous manquez d'audace, et sans doute même de courage. Ayez le courage de ne pas vous cacher derrière les raisonnements fallacieux développés par d'autres pour énoncer votre pensée, et ayez le courage d'en évoquer les principes. Ayez le courage de dire "Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État" et de vous déclarer fascistes ; ayez le courage de dire que vous êtes contre la propriété privée, fondement du capitalisme ; ayez le courage de vous déclarer contre le libre choix des individus – ayez le courage de vous lever contre la liberté.


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