Mais t'as pas peur de traumatiser les gamins?

Par Clementinebeauvais @blueclementine

'Ce livre devrait être interdit aux chatons de moins de six semaines'


Depuis qu'est sorti La pouilleuse, j'ai répondu à plusieurs interviews (comme ici, ici, ici et ici, et deux autres à venir sur le blog d'A l'Ombre du Grand Arbre et de Dimensions Ados) qui souvent reviennent sur le thème du possible choc ou traumatisme consécutif à la lecture du bouquin. Je précise tout de suite qu'en aucun cas je ne m'en plains: au contraire, je suis absolument ravie que le livre déclenche de telles questionnements. Mais je me suis dit que j'allais ouvrir une petite 'FAQ' de La pouilleuse, que je vais aussi mettre sur la page FAQ de mon site, afin de faire une petite synthèse de ce genre de questions et de faire passer mon point de vue de manière plus 'regroupée'.
Allons-y donc: La pouilleuse, Foire Aux Questions: 
Q.: Comment vous est venue cette idée? La pouilleuse est-il inspiré d'un fait réel?
Oui et non. L'idée a peut-être été déclenchée par le fait divers sordide du 'gang des barbares', mais les idées en tant que telles tournaient dans ma tête depuis un certain temps. Quand j'étais au lycée dans ce qu'on appelle les 'beaux quartiers' de Paris, j'entendais souvent le genre de discussions que je rapporte, parfois quasi inchangées, dans La pouilleuse: des discussions qui témoignaient d'un préjugé de classe et d'un racisme latents, mais pas agressifs en tant que tels - simplement intégrés au tissu idéologique de la vie de tous les jours pour moi et pour les autres lycéens.
C'est seulement en prépa que ce genre de discours a commencé à me frapper, à m'interpeler: c'est là que je me suis aperçue qu'il n'y avait que quelques pas à franchir entre des préjugés et des actes. Le 'gang des barbares', qui a agi (en partie) en fonction de préjugés antisémites, a peut-être été un catalyseur pour La pouilleuse: il m'a semblé qu'il n'y avait aucune raison pour que ce genre de fait divers n'arrive pas dans les 'beaux quartiers'.
Q. Vous êtes-vous mis des limites en écrivant ce livre? Jusqu'où peut-on aller dans la violence?
Oui, je me suis mis des limites en écrivant ce livre, mais pour des raisons littéraires et non morales. Ou plutôt, j'ai une conception de la littérature qui est une sorte de synthèse entre le littéraire et la morale: j'appelle cela l'écriture éthique. Une écriture éthique, c'est une écriture qui ne cède pas à la facilité dans la présentation de thèmes potentiellement racoleurs (sexe, violence en particulier): c'est-à-dire une écriture qui rend difficile pour le lecteur de se placer dans une position complaisante, de voyeurisme, ou d'attraction par rapport à cette violence.
Il y a beaucoup de livres pour adolescents qui me déplaisent profondément parce qu'ils font semblant de condamner une violence qu'ils rendent en réalité ardemment attirante. Par exemple, Hunger Games, qui sous prétexte de dénoncer une société dystopique et à la dérive nous délecte du spectacle de la mort d'enfants et d'adolescents et nous fait vite oublier la mort des personnages secondaires pour mieux mettre en exergue celles de ceux qui 'comptent' vraiment. Autre exemple, Twilight, qui glorifie et rend glamour le suicide, la violence conjugale, et j'en passe et des meilleures.
La pouilleuse (je l'espère!) ne rentre pas dans cette culture de la violence comme 'show'. L'intrigue et le point de vue narratif ont été pensés pour que le lecteur soit potentiellement hypnotisé mais aussi extrêmement mal à l'aise par rapport aux événements décrits. Une ellipse temporelle, très importante dans la scénographie du roman, garantit l'escamotage du passage le plus graphiquement violent: tout se passe donc, a priori, dans l'imagination.
Pour moi, une écriture éthique de la violence est absolument possible, mais elle doit exiger du lecteur une participation entière à sa représentation: elle doit s'adresser au lecteur comme complice d'un malaise, surtout pas divertir, voire amuser, un spectateur conçu comme détaché de l'acte de violence.
Q. La pouilleuse est-il vraiment un livre pour adolescents? A partir de quel âge?
Je n'en sais rien - pas plus que si on me demandait 'A partir de quel âge peut-on porter un T-shirt de taille 38?'. Si je me réfère à ma propre expérience, je serais bien en peine de répondre à cette question. A 14 ans, je lisais Lolita sans problème, mais par contre L'éclipse de Robert Cormier (un livre pour adolescents) m'avait profondément choquée. Impossible de regarder Orange Mécanique, par contre j'avais déjà revu dix fois Shining. Et il y a un J'aime Lire que je n'ai jamais fini parce qu'au chapitre 2 le héros se fait... vacciner! Comment prévoir ce qui va se passer dans la tête d'un lecteur de 7, 9, 13, 14, 19 ans? Vous savez, vous, comment va réagir votre oncle de 49 ans à la lecture des Bienveillantes?

oui oui, de l'UNIVERS

Tout livre est un risque. Comme dit ce cher Jean-Paul S., tant que le bouquin est posé sur la table, il n'a rien à voir avec moi: mais ça y est, je le prends, je l'ouvre, et (attention hyperbole sartrienne numéro 9405335) voilà que l'auteur et moi portons la responsabilité de l'univers sur nos épaules. Les questions d'âge n'ont rien à voir avec ça. Le cousin de 9 ans de mon amie a lu La pouilleuse et il n'est pas en psychothérapie, alors que plusieurs de mes proches (adultes) ont eu du mal à s'en remettre.
Les enfants et les ados ne sont pas plus idiots que les adultes: si un livre les choque jusqu'à la moelle, s'il est douloureux, s'il est trop dur, s'il n'est pas-pour-maintenant, ils ne vont pas se forcer à le lire, surtout maintenant que l'iPad brille sur un coin de table. S'ils le lisent, c'est qu'ils en sont capables. S'ils en sont capables, et qu'ils le finissent, c'est que c'est important pour eux, quelque part, peut-être sans qu'ils s'en aperçoivent, de lire ce livre.
Q. La littérature jeunesse n'est-elle pas plutôt faite pour amuser? Pourquoi écrire des livres aussi sombres? 

C'est vrai qu'en regardant ma bibliographie, c'est pas la marrade généralisée, à part mes Petites filles top-modèles et ma série des Sesame Seade à venir. Mais déjà, explication numéro 1 qui n'est peut-être pas celle que vous attendez: j'ai écrit plein de trucs marrants ou aventureux, mais... ils ne trouvent pas preneur! Donc soit je suis nulle en rigolade et forte en trucs qui font réfléchir à des choses graves de l'existence (quiconque qui me connaît personnellement a officiellement le droit de hurler de rire en lisant ces mots), soit il y a un véritable appel d'air dans l'édition jeunesse pour des livres durs, des livres forts, des livres avec une portée sociopolitique ouvertement déclarée.

Lui ça va comme pirate

J'ai dit quelque part que je préfère un livre controversé à un livre insignifiant. Les rayons de littérature jeunesse sont pleins comme des oeufs. Une bonne grosse vaste majorité de la production concerne les lapins, les pirates et les princesses. Je n'ai rien contre les premiers, qui sont très bons en ragoût, ni contre les deuxièmes, surtout quand ils ressemblent à Johnny Depp, ni contre les troisièmes, qui photographiées à vingt kilomètres de distance les roberts à l'air préservent des milliers d'emplois dans la presse people. Toutefois, cependant et néanmoins, il reste une petite place sur les rayons pour les livres intelligents et de qualité, qui se divisent en deux catégories: 1) drôles et spirituels, 2) sombres et sérieux. Petite, j'avoue, je préférais les premiers, et je considère que mes Sesame Seade en font partie. C'est un peu au hasard des envois et des écritures que je me retrouve plutôt occupée à défendre mon entrée dans la deuxième catégorie.
Voili-voilo, on va dire que ça suffit pour l'instant. Des bises à ceux qui sont arrivés au bout.
Clem