L’Élysée a choisi d'envoyer les troupes française au Mali sur un prétexte fantaisiste.
Par Stéphane Montabert.
Depuis le 11 janvier, la France est en guerre au Mali. Et chacun s'interroge sur le sens à donner à cette guerre.
Le nord désertique du Mali est en proie à une guérilla depuis des années, émergeant à la face du monde au printemps dernier principalement à cause d'une vacance du pouvoir de Bamako. Au mois de mars, le président Amadou Toumani Touré fut destitué par des militaires l'accusant d'incompétence dans la lutte contre la rébellion touarègue et les groupes islamistes dans le Nord (accusations qui, rétrospectivement, ne manquent pas de sel). Les militaires avaient peut-être raison mais ils n'en tirèrent aucune légitimité pour autant. La crise politique se résolut temporairement le 6 avril avec un accord-cadre mettant en place un gouvernement de transition sous l'égide d'un nouveau président, Dioncounda Traoré, lequel fut agressé et dut se rendre à Paris pour recevoir des soins...
Loin des jeux de cour de Bamako, divers groupes rebelles profitèrent de la confusion pour progresser au Nord : le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), le groupe islamiste Ansar Dine, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, groupe rebelle touareg) et enfin des combattants liés à Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) passèrent à l'offensive. Ils se battirent et se battent encore presque autant entre eux que contre l'armée régulière, mais celle-ci recula sans discontinuer. Le 30 mars, les rebelles prirent Kidal, le lendemain Gao ; Tombouctou tomba le premier avril, puis Ansongo, Aguelhok, Douentza, et enfin Konna le 10 janvier, menaçant directement Mopti et le sud du pays.
Le président Traoré demanda dès septembre une intervention des forces militaires d’Afrique de l’Ouest pour reconquérir le Nord. Plusieurs réunions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se tinrent pour la préparer mais tardèrent à se concrétiser. Le Conseil de sécurité de l'ONU approuva le 20 décembre la résolution 2085 autorisant le déploiement par étapes d'une force internationale de soutien au Mali, baptisée Misma, réclamée par le Mali et approuvée par la Cedeao.
C'est dans ce contexte qu'à la surprise générale, la France choisit mercredi dernier de s'impliquer directement dans le conflit.
L'action militaire française a quelque chose d'étonnant. Dans ce qui avait tout d'une guérilla régionale entre des factions divisées, elle a réussi le tour de force d'unir et de cristalliser les mouvements rebelles contre elle et contre l'Occident tout entier.
La France n'a pas d'intérêts économiques particuliers au Mali, affirme François Hollande : si c'est vrai, c'en est encore plus malheureux. Le cynisme traditionnel de la Françafrique pouvait choquer mais avait au moins le mérite de correspondre à des objectifs géostratégiques. Ici, l’Élysée aurait choisi d'envoyer la troupe sur un prétexte fantaisiste.
En effet, pour le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il n'était pas possible de laisser se développer "un État terroriste aux portes de l'Europe", motif cousu de fil blanc. Depuis quand les États terroristes aux portes de l'Europe seraient-ils devenus un problème pour l’État français ? Y a-t-il eu revirement des autorités sur le printemps arabes et ce qu'elles sont en train de produire ? L'excuse est d'autant plus faible que la France a elle-même directement contribué à créer un "État terroriste aux portes de l'Europe", la Libye. En faisant chuter le régime de Kadhafi, armes à la main, la France a ouvert un boulevard aux milices islamistes qui règnent désormais sur ce bout de désert avec bien peu de gratitude.
Une paix relative s'est installée en Libye. Les armes ne se sont pas tues pour autant. Elles se sont retrouvées à travers les réseaux du Sahel entre les mains des islamistes maliens, ajoutées à celles promptement pillés dans les arsenaux du dictateur déchu, fournies elles aussi par les Européens. Si bien qu'aujourd'hui, la France se bat au Mali contre des islamistes équipés d'armes françaises.
Prenons cette énième ironie de l'histoire comme une marque de respect : la qualité du produit convainc même nos ennemis ! Arnaud Montebourg devrait penser à faire une nouvelle campagne de publicité là-dessus.
Si les autorités françaises avaient eu à cœur de "lutter contre le terrorisme", elles auraient mieux fait de commencer par s'attaquer aux dangers intérieurs. Les caches d'armes et réseaux de l'islamo-banditisme prolifèrent dans des banlieues françaises. Elles n'ont jamais été pacifiées, à peine apaisées. En fait, cette menace-là est si crédible que le gouvernement français a carrément été obligé de décider de mesures de sécurité supplémentaires sur le sol national.
C'est vrai, le Mali est moins loin que l'Afghanistan, on y parle français. Plus convivial, en quelque sorte. Pourtant, quitte à lutter contre le terrorisme, des descentes dans les caves des zones de non-droit émaillant le territoire français auraient sans doute plus contribué à la sécurité du pays, sans risquer d'embraser la moitié du continent africain...
Bien sûr, selon un schéma maintes fois éprouvé, le déploiement de l'armée française est "limité" en effectif et dans le temps, et devra dans les plus brefs délais "donner la main" à une force militaire malienne qui reste encore à inventer. Mais dans les faits, la France pourra-t-elle seulement décider du scénario ?
Comme le dit l'adage, on sait de quelle façon commence une guerre, jamais comment elle se termine. La France n'a ni les moyens logistiques, ni les moyens humains, ni les moyens financiers de s'engager sur la durée. Cette évidence donne un écho d'autant plus étrange à l'intervention sur France Inter du socialiste Michel Rocard qui, tout en saluant la décision du président, annonça avec une certaine clairvoyance "qu'on est dans une bagarre d'une dizaine d'années" et qu'il n'y aurait rien de simple :
Tout cela est très difficile, pas gagné d'avance, nous perdrons des hommes, il y aura des drames, il y aura des contreparties sur le territoire national, tout cela va être assez effrayant.
L'ancien Premier ministre ne croyait pas si bien dire, à la veille de la prise d'otage tournant à la boucherie sur un site gazier au sud de l'Algérie (avec "la brigade de Mokhtar Belmokhtar", un nouveau groupe islamique à la clef). Ce n'est pas gagné d'avance, en effet.
La France perdra des hommes.
Il y aura des drames.
Et la guerre n'est commencée que depuis une semaine.
Peut-être la France avait-elle besoin de se lancer au Mali pour prouver au monde qu'à l'instar de n'importe quelle grande puissance, elle avait droit à son bourbier ?
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