Dimanche le 2 décembre 2012, à 14 h, une manifestation de soutien à Philipe Béha a été annoncée devant le Renaud-Bray de la rue Saint-Denis, à Montréal.
Il faut dire que le patron de Renaud-Bray est un phénomène en la matière. Allez, pour le plaisir, apprenons à le découvrir grâce à cet extrait d’un article signé par Robert Lévesque :
« Le saint homme [Pierre Renaud, co-fondateur de la chaine de librairie Renaud-Bray] s’est en effet confié à La Presse, dimanche dernier. Écoutons-le : “Pour devenir un coup de cœur, un livre doit être vendable; c’est sûr qu’un livre qu’on pense vendre à huit exemplaires ne recevra pas un coup de cœur. Vous savez, en littérature comme partout, il y a des losers et des winners. Moi, j’aime mieux encourager les gens qui vendent”. Imparable!
On est loin de ces libraires d’antan, ces losers qui, tel celui imaginé d’après modèle de Jean Renoir dans Boudu sauvé des eaux, prêtaient un livre qu’ils aimaient à un jeune homme sans le sou, se fichant bien de rater ainsi une vente; vous vous souvenez de monsieur Lestingois? Ses coups de cœur étaient moins nombreux et sa caisse plus tranquille, ce qui lui laissait le temps de peloter la bonne dans son arrière-boutique; mais vendre huit exemplaires d’Alcools d’un dénommé Apollinaire représentait-il une si mauvaise affaire dans ces années 1915, 1916?
L’entraide aux winners
Aujourd’hui, avec notre homme Renaud et son système d’entraide aux winners, le coeur n’est qu’à la caisse et c’en est fini de l’amour désintéressé des livres, comme du libertinage derrière les rayons, d’ailleurs, l’époque est triste et correcte, et la librairie est une surface de vente où le lecteur le plus important est celui du code-barres …” (Source : R. Lévesque, L’Allié de personne, page 314).
Quant à l’affaire Renaud-Béha, tout a débuté lors du Salon du livre de Montréal, où l’illustrateur a reçu un prix pour son ouvrage intitulé : “Le monde de Théo” (Hurtubise). Extrait d’un article de Daniel Lemay :
Après les remerciements d’usage, Philippe Béha a repris le micro pour «donner une petite tape sur les doigts ou un coup de pied quelque part» à ce qu’il a d’abord appelé «les Éditions Renaud-Bray». «Je suis entré dans cette librairie pour voir les livres jeunesse, a dit l’illustrateur, et j’ai vu un rack où il était écrit «Québec-Canada« avec quatre ou cinq livres d’ici, des livres de Toronto et pleins de Walt Disney…»
Or il se trouve que Blaise Renaud, le jeune et fougueux patron de la chaîne de librairies, était à l’arrière de la Grande Place, et peu content quand La Presse lui a demandé ses réactions. «C’est une attaque un peu pathétique, de la part d’un jaloux ou d’un frustré qui n’a pas trouvé son livre chez nous un dimanche matin. Je connais les chiffres de nos ventes jeunesse…»
Après la cérémonie, M. Renaud a voulu se faire présenter M. Béha, ce qui fut fait, et dignitaires, visiteurs et simples voyeurs ont pu assister, hors du cadre protocolaire, à un échange vigoureux entre ces deux membres de la belle grande chaîne du livre. «J’ai dit tout haut ce que plusieurs éditeurs jeunesse pensent tout bas», nous a pour sa part expliqué Philippe Béha, que plusieurs sont venus féliciter pour son «franc parler». D’autres exprimaient certaines craintes quant au placement stratégique des prochains albums de Philippe Béha dans les rayons de Renaud-Bray… (Source : Daniel Lemay, 14 novembre 2012, La Presse)
Quelques jours plus tard, le même journaliste rapporte que Renaud-Bray a retourné les titres de Philippe Béha, prétextant : «Je ne donnerai pas d’espace privilégié, qui me coûte le gros prix au pied carré, à quelqu’un qui me discrédite publiquement.»
Extrait :
M. Renaud appréhende-t-il la réaction du milieu de la littérature jeunesse?
«Ce n’est pas quelque chose qui importe. Renaud-Bray n’est ni un organisme public ni la propriété de M. Béha. Comme tous les libraires et tous les éditeurs, nous avons le droit de faire des choix, de décider quels titres, parmi des centaines de milliers, nous voulons mettre en évidence.» (Source : Source : Daniel Lemay, 29 novembre 2012, La Presse)
C’est ainsi qu’une manifestation de support est organisée à l’invitation de l’auteur Claude Champagne. L’Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ), Illustration Québec et l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse (AEQJ) ont tour à tour dénoncé la décision de Renaud.
Renaud-Bray, c’est 27 succursales dont 11 à Montréal, 1000 employés, 125 millions de revenus annuels. Mais ce n’est pas rose au cœur de cette chaîne. Les employés, syndiqués, se sont souvent plaints du mauvais climat de travail. À ce sujet, lire cet article du Devoir publié à l’été 2011.
Heureusement que les amateurs de livres sont très bien servis par les librairies indépendantes du Québec. Autrement, toute cette histoire pourrait être triste.