Le caractère de cette semaine est une réponse au jeu d’écriture proposé par Leiloona : écrire à partir de la photographie présentée ci-dessous.
La vie c’est comme
Texte : Benjamin Billiet
Photo : Romaric Cazaux
La vie c’est comme un bain d’eau de mer : au début c’est agréable, puis tu t’assieds sur le sable pour te reposer, et alors tu sèches, et ça gratte. Le problème, c’est que les démangeaisons, quand on y touche trop, ça fait des croûtes… et moi les croûtes, je finis toujours par les arracher.
Qu’est ce qui leur prend tant de temps ? C’est pourtant pas long d’acheter un bouquet ! De toute façon, je suis certain que les fleurs sont interdites dans les hôpitaux. Mais comme toujours, elles n’écoutent personne. Des fleurs… quelle idée ! Ça sent trop. Ça s’arrête jamais de sentir. Avec le temps, l’odeur devient terreuse, elle exhale la moisissure. Question pourrissement, il n’a vraiment pas besoin de ça, le pauvre Claude. Son cancer lui suffit. On aurait dû lui ramener des chocolats. Au moins, on en aurait tous bouffé.
La vie c’est comme une boîte de chocolat qu’il disait l’autre con du film, avec ses guiboles en ferraille. Pour ça je suis d’accord. Et je trouve qu’il a raison : on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Seulement moi, j’ajoute qu’on trouve bien plus souvent des boules pralinées de chez Lidl que des chocolats Pierre Hermé. Là-dessus, ma vie est un cas d’école ! Ce vieux sénile d’Albert, par exemple, « l’ami » que je me coltine depuis soixante ans et qui se prend pour un trader alors qu’il perd cinq mille euros en bourse chaque semaine… on ne peut pas dire que ce soit une confiserie de qualité ! Boule Lidl c’est encore un compliment dans son cas. Lis ton journal, va, ça te fera pas progresser, mais au moins ça m’évite ta conversation. Quant à Barbara… J’en parle même pas, tiens ! ça me file des aigreurs rien que de l’évoquer.
J’croyais avoir pensé à tous les inconvénients de la vieillesse… Mes pires peurs, c’était de ne plus pouvoir marcher, de plus avoir toute ma tête, et de perdre mes cheveux… J’avais rien compris. La vérité, c’est que quand tu prends de l’âge, le pire qui t’arrive, c’est que ta femme est vieille. Oh, bien sûr, y en a qui ramassent une jeunette. Avec le fric que j’ai, ça pourrait être mon cas. Mais m’endormir tous les soirs avec une fille dont le regard me dit « bon tu crèves quand ? », je sens que ça m’aiderait pas à me détendre.
Ah ça bouge, elles sortent. Eh bien elles sont jolies nos femmes, avec leurs petites robes d’été qui les boudinent. On en fait une belle équipe de grabataires. Sûr qu’ils vont vouloir nous donner un dortoir, à l’hôpital. Ils croiront pas qu’on est juste en visite.
Pourtant elle était belle quand je l’ai rencontrée. Rien que son prénom me faisait rêver. Barbara. Tout un programme. Ça promettait des étincelles au lit, de la barbarie d’amour. Elle souriait à longueur de journée, comme dans la chanson… ruisselante, ravie, épanouie. Oh, c’est vrai que moi aussi j’étais mieux à cette époque, mais ça n’excuse pas. C’est pas parce que mes cheveux blanchissent que ses seins doivent tomber !
Tiens, la vie c’est comme un boomerang, en fait. Tu penses que tu l’as lancée bien loin, mais elle te revient fissa dans la gueule, et s’écrase par terre.