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Chômage: tout revoir, mais pour qui ?

Publié le 25 janvier 2013 par Juan
Chômage: tout revoir, mais pour qui ? Il paraît que le rapport était choquant. Tour à tour, notre presse nationale et même radiophonique ou audiovisuelle s'est emparée des dernières révélations de la Cour des Comptes sur l'assurance chômage.
Régulièrement, une certaine presse s'affole. Plutôt libérale ou franchement ultraconservatrice, elle s'effarouche régulièrement quant à la dépense publique fut-elle sociale. Elle traite de . En octobre dernier, un (apprenti) éditocrate du JDD est péremptoire: « Chaque mois, 30.000 Français basculent dans le chômage. Et notre système est généreux. » Il osait même la comparaison rapide des maxima d'indemnités d'un pays à l'autre (6.160 € par mois en France contre 2.215 euros en Allemagne, 1.422 euros en Belgique, 1.119 euros en Italie), sans rappeler qu'en France, l'indemnité moyenne en France est en fait de 1.100 euros. Et les chômeurs concernés par cet heureux plafond de plus de 6.000 euros n'étaient que deux milliers.
L'assurance sociale est un objet de fixation. Déficits, assistanat, les mots sont vite lâchés. Cette fois-ci pourtant, le rapport de la Cour des Comptes ne traite pas seulement de l'indemnisation des chômeurs. Mais c'est ce sujet-là qui déboule en pleine page ou en couverture de nos quotidiens nationaux (Le Figaro, Les Echos, Le Monde).
Il fallait donc lire le dit rapport pour comprendre que la Cour avait d'autres conclusions, et que certaines de ces révélations n'en étaient pas. L'étude couvrait certes l’indemnisation du chômage, mais aussi les dispositifs visant à l’incitation ou à la création d’emplois et la formation professionnelle continue.
1. La Cour rappelle que l'ensemble des politiques de l'emploi coûtent 50 milliards d'euros par an. Elle souligne, sans surprise, combien la crise a aggravé le marché du travail en France. Seulement, en France, et l’évolution du chômage depuis 2008 a été « plus défavorable que dans plusieurs pays européens ». Plus intéressant, elle relève deux tendances bien connues et sous-traitées par nos médias habituels, deux« spécificités françaises ».
2. Les employeurs ont préféré la flexibilité externe (i.e. le licenciement) à la flexibilité interne (i.e. la réduction du nombre d’heures travaillées via, par exemple, le chômage partiel): « la quasi-totalité de la baisse du nombre total d’heures travaillées a été absorbée par la baisse de l’emploi, le nombre d’heures travaillées par salarié étant resté relativement constant pendant la période observée. » En d'autres termes, les entreprises ne souffrent pas d'un handicap de flexibilité à licencier, elles l'ont fait massivement depuis 2008. Mais, a contrario, le manque de flexibilité interne est un vrai sujet.
3. Autre constat de la Cour, quasiment occulté, « la dégradation de la situation des salariés les plus précaires ». Ce sont les personnes les plus fragilisées de la population active qui apparaissent comme « les principales victimes de la crise »: les sorties d'emplois, toutes causes confondues, ont respectivement bondi de 28% et 17% pour les ouvriers et les employés entre 2008 et 2009, alors que ce nombre restait stable pour les autres catégories. La Cour a identifié les victimes, les salariés en emploi précaire « qui voient se succéder des séquences d’activité courtes entrecoupées de périodes de chômage », les chômeurs qui, « après une rupture professionnelle ne parviennent pas à retrouver un emploi en raison de l’obsolescence de leurs qualifications.»En conséquence, le « dualisme du marché du travail » s'est également aggravé, entre, d’une part, des « travailleurs relativement protégés à l’emploi plutôt stable et, d’autre part, des travailleurs plus exposés, à l’emploi temporaire et aux mobilités fréquentes et non volontaires.» En d'autres termes, la France connaît la même précarisation croissante des travailleurs qu'Outre-Rhin. L'emploi temporaire représente 15% des actifs en France, comme en Allemagne (contre 12% en moyenne dans l'OCDE). La DARES estime qu’en 2009, environ 1,7 million de personnes ont été intérimaires un jour au moins dans l’année.
4. Cette précarisation des chômeurs se détecte aussi dans les « ruptures » dans l'indemnisation subies par les mêmes chômeurs les plus précaires. Indemnité chômage, RSA ou RMI, ces prestations sont « attribuées selon des paramètres et des logiques différents, alors qu’elles sont susceptibles de concerner les mêmes populations au cours du temps.» Du coup, souligne la Cour, ce système conduit à des « ruptures dans la prise en charge des demandeurs d’emploi, l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ne prenant pas systématiquement le relais de l’assurance chômage et la prise en charge par le revenu de solidarité active n’étant ni automatique ni toujours possible.»
5. Pour les chômeurs, l'indemnisation est plus généreuse qu'ailleurs... quand elle existe. Mais la Cour est précise: le régime est plus protecteur parce qu'il se déclenche avec peu de cotisations (depuis 2009, 4 mois dans les 28 derniers mois); ses extrémités (indemnités minimale et maximales sont plus élevées; la durée d'indemnisation est plus longue qu'ailleurs en Europe (mais sauf en Allemagne, en Espagne, et au Danemark). Pour mémoire, comme nous le rappelions en octobre dernier, le taux d'indemnisation est en France dans la moyenne européenne:  1.121 euros. Et 50% des indemnisés reçoivent moins 980 euros mensuels bruts. 
6. De moins en moins de chômeurs sont indemnisés. Ils sont moins de la moitié à touché quelque chose de l'UNDEIC: « le régime a perdu de son efficacité en termes de couverture des demandeurs d’emplois. Le nombre de personnes indemnisées rapporté aux demandeurs d’emplois (44,8 % en 2011) s’est réduit, en raison notamment de l’arrivée en fin de droits d’un part élevée de chômeurs. »
7. Le financement du système n'est pas tenable en cas de crise longue, ce que nous connaissons: 19 milliards d'euros de déficit sont attendus pour 2013 ! En d'autres termes, on ne collecte pas assez pour soutenir les versements exigibles aux bénéficiaires, qui eux-même sont déjà de moins en moins nombreux !
8. Le soutien au chômage partiel déclenché en 2009 par Nicolas Sarkozy a échoué car le gouvernement Sarkozy a agi trop tard: la « faible mobilisation du chômage partiel s’explique par une modernisation trop tardive du dispositif au regard de la conjoncture, par sa complexité et par son caractère financièrement peu attractif pour les entreprises.» La Cour rappelle la séquence passée.
Alors que la crise a démarré aux Etats-Unis, le gouvernement de l'époque empile les mesures qui favorisent le licenciement (loi du 25 juin 2008 qui créé la rupture conventionnelle du contrat de travail), désorganise les agences de l'emploi (loi du 13 février 2008 pour créer de Pôle emploi), et fragilise les chômeurs (loi du 1er août 2008 relative aux droits et devoirs des demandeurs d’emploi avec l'introduction de la notion d’ « offre raisonnable » d’emploi). En parallèle, le gouvernement a réduit la part des aides à la création directe d'emploi (0,21% du PIB en 2007 à 0,15% du PIB en 2008)
Il faut attendre le sommet social du 18 février 2009 pour l'annonce de mesures « en faveur des principales victimes » de la crise économique: prime de 500 € aux chômeurs; augmentation de l’indemnisation du chômage partiel ; ciblage de la formation professionnelle, augmentation du nombre de contrats aidés, etc.) qui enchaîne avec un accord du 19 février 2009 relatif à la convention d’assurance chômage 2009-2011, un « plan d’urgence pour l’emploi des jeunes » en avril 2009, et un décret du 29 avril 2009 relatif à la création de l’activité partielle de longue durée (nouveau dispositif de chômage partiel).
9. La Cour des Comptes s'annonce sceptique sur l'efficacité et l'équité des contrats aidés - une autre spécificité française - en matière d'insertion durable dans l'emploi. En cause, « ces résultats médiocres tiennent à un ciblage défaillant, des durées de contrat trop courtes et un accompagnement insuffisant des bénéficiaires». En particulier,  ces contrats aidés, comme les contrats de professionnalisation (contrats de travail prévoyant une formation en alternance), « ont été trop peu orientés vers les moins diplômés, en contradiction avec les objectifs poursuivis.» Les nouveaux contrats d'avenir éviteront-ils l'écueil ?
10. La Cour  recommande que les CSP soient élargis au bénéfice de « certains salariés arrivant en fin de contrat à durée déterminée ou de mission d’intérim devraient avoir accès au CSP ou à un accompagnement comparable.»
11. La formation professionnelle - 31 milliards d'euros par an sur le total de 50 identifié pour l'ensemble des politiques de l'emploi - est trop concentrée sur les « salariés déjà les mieux formés. » Pire, la Cour dénonce: « L’effort de formation des demandeurs d’emploi est particulièrement insuffisant.»
12. La Cour pointe, sans surprise, le régime des intermittents du spectacle (200 millions d'euros de cotisations collectées, pour un milliard d'euros de déficit annuel et structurel). Sans surprise également, une certaine presse se jette donc sur cette prétendue infâme subvention de la culture. Fallait-il laisser BFM ou Atlantico traiter de culture ?
A suivre


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