AVENTURE – Ausangate, trek au sommet des Andes

Par Misericordia @Misericordia__

Au sud-ouest du Pérou, Ausangate, quatrième plus haute montagne du pays et dix-septième des Andes, forme un grand massif, dont le pic principal culmine à 6372 mètres au-dessus du niveau des mers. Elle domine ainsi de toute part la Cordillère de Vilcanota, région particulièrement sauvage de l’Amérique latine. La région aux alentours offre un paysage impressionnant de montagnes, glaciers, lagunes et ruisseaux.

Ce splendide sommet veille sur des étendues constellées de lacs turquoises et peuplées d’Alpagas et Vicunas. Ses lagons, ses vastes plateaux et  forêts de pierre, font  de cet espace un paradis totalement isolé de la modernité. Il est impossible de ne pas tomber sous le charme de la beauté des couchers de soleil sur les neiges éternelles.

Les nuits sont froides lors de ce trek. Voici un petit texte écrit à -15°c sous la tente :

Je suis dans le duvet, il fait un froid glacial. À 4715m, on vient d’établir le mini camp. Il est 19h11, la nuit est noire. C’est faux, elle est brillante, des milliers d’étoiles regardent la terre. Et je suis un point paumé dans l’un des plus beaux endroits du monde. Haut perché dans la Cordillère des Andes, accolé au mont Ausangate dont je fais le tour pendant 4 jours. Aujourd’hui, j’entamais la deuxième étape avec un seul passage de col à 4700. Je suis parti des petites maisons où vivent les éleveurs d’Alpagas, pour toucher la montagne et la contourner par la droite. Peu à peu, le paysage s’ouvre sur des vallées merveilleuses d’où s’envolent des aigles et une multitude d’oiseaux caressant le territoire des Vicunas, qui peuplent les montagnes. Avec leur petite tronche de peluche, ils dévorent les herbes d’altitude, surveillés par les rares éleveurs vêtus de costumes traditionnels. La terre est ocre, sombre, rousse, sable, rocailleuse, piquante, sèche. Elle entoure le manteau blanc de l’Ausangate qui me dévisage à chaque pas.

Je m’enfonce dans les tremblements qui remuent tout mon corps. Mais je lutte car je veux fermer les yeux le plus tard possible, pour écourter cette phase de congélation radicale.
La nuit dernière, j’ai dormi chez « l’arriero » qui m’accompagne, où j’ai choisi la paille et les crottes de lapin pour poser ma tente. C’était la première nuit, celle où tu grelottes car tu as oublié toutes les précautions à prendre. Cette fois-ci, j’ai super bien monté ma tente, tendue comme une peau de cul. Elles sont loin les erreurs du novice de Patagonie, qui avait laissé sa maison de toile aux mains du vent, qui me joua sa meilleure symphonie glaciale, transformant mon enveloppe en tambour.
Cette première nuit, c’est celle où tu te demandes ce que tu fous là. Tu cherches dans le noir l’espoir de tenir cette petite torture initiatique qui commence sous les plumes du duvet. Je me suis réveillé en pleine nuit, pensant qu’il était l’aube car une lumière illuminait toute ma tente. En ouvrant la fermeture éclair de la tente, je me retrouvai nez à nez avec la lune irradiant le champ de foin.
La nuit allait être très longue au milieu des frissons.
Ce soir, je vais lutter plus fort. J’ai avec moi, des livres piratés de Garcia Marquez, et je vais tester la poésie contre les températures négatives. C’est la seconde fois que j’affronte de longues nuits obscures, car mes treks précédents étaient aux extrémités du monde en Islande et en Patagonie. Là-bas, j’expérimentais des journées entières de marche avant que les couchers du soleil éternel laissent place à la nuit froide. Ici, les plages de lumière dédiées à la marche sont réduites et il faut s’arrêter suffisamment tôt pour trouver un endroit acceptable pour camper. Aujourd’hui, j’ai défini le site entre d’immenses rochers pour s’abriter du vent. Je suis assez fier, c’est plat et mon matelas est posé sur quelques herbes formant un tapis idéal. Alberto s’est installé à quelques mètres collé à une pierre de 4 mètres contre laquelle il fait la bouffe. Une soupe chinoise et des pâtes à la tomate ont rempli nos ventres dans le noir total sous 15 couches de vêtement. Il m’avait épaté en arrivant, un filet d’huile dans la casserole, et les grains de maïs ont explosé en un pop-corn magique à l’altitude du Mont blanc.


Je savais que deux défis m’attendaient sur ce trek : l’altitude et le froid. Mon petit cœur réagit super bien. Après 2 jours d’acclimatation à Cusco, où j’ai dormi sans relâche, je suis bien, je passe les paliers et les cols sans soucis, je convaincu que je peux aller encore beaucoup plus loin pour les prochaines destinations, de belles perspectives s’ouvrent dans mon cerveau. Je regarde cette montagne si proche de moi, mais que je ne peux gravir car mon inexpérience est totale. C’est une question de temps car l’envie est là.
Mon cœur ne s’affole pas et accompagne ma marche, en faisant gicler le sang dans tous les sens car tous les organes consomment à fond l’oxygène si rare.
Tout à l’heure, j’ai fait le con en courant sur 100 mètres en montée. J’ai vite été fouetté par toutes mes forces qui m’abandonnaient pour dix longues minutes. Une leçon pour le novice.
En ce moment, un papillon de nuit marche sur la maille interne transparente de ma tente, attiré par ma lampe frontale. Alberto écoute à fond son poste radio et la Cumbia qui ne le quitte pas un instant.

Je voulais faire cette marche seul mais les forums conseillaient d’être accompagné car certains randonneurs se sont fait volé, il y a quelques années. Et puis tous mettaient en garde contre le mal des montagnes. Cette fois-ci, j’avais peu de temps de préparation et je suis arrivé épuisé par le stress du boulot, donc pas de risque inutile. Et cette fois-ci je veux revenir en un seul morceau car j’ai ma première ascension de sommet qui m’attend dans 3 semaines (le Mont Blanc). Ce trek sublime s’inscrit dans une série de grandes claques dans ma tronche, et je veux continuer à tendre la joue.

J’avoue, je suis un lâche, car nous sommes trois sur les chemins, un cheval est avec nous, et il porte mon sac. Alberto me l’a proposé car il le fait avec tous ces clients, et j’ai abandonné tous mes principes. Mon sac ne me manque pas, mes pas ne sont plus si lourds, je vole comme un cabri en prenant les devants. C’est une marche libre sans bâtons, le regard haut dévorant les horizons.
Mais je suis séparé de mon eau, l’essence de mon corps. J’ai du supplié Alberto de me préparer ma réserve pour demain. Car aujourd’hui j’ai dû me jeter sur de l’eau non potable, mon urine était jaune fluo, signe imparable de déshydratation imminente. Ici, je suis entouré de sources d’eau coulant des montagnes, mais elles sont contaminées par tous les Alpagas, ânes, agneaux, lapins sauvages, chiens qui sont éparpillés sur tous les flancs. Les lagunes sont turquoises mais leur eau doit être bouillie. Alberto se charge de tout cela pendant que je lutte contre le froid, car ma tête explose, non pas à cause de l’altitude mais du froid. Il vous donne envie de tout abandonner, mais au matin quand on ouvre son nid pas suffisamment douillet, les premiers rayons du soleil vous brûlent la peau. Le thé coule dans la gorge et là, ma motivation pète tout sur son passage. Sans aucune pitié, je ficelle le paquetage et c’est parti.

Ce soir, j ai mis 15 couches sur moi et la nuit va être bonne. Les chiens hurlent dans la nuit et j’entends leur écho dans les montagnes. Ils défendent leur troupeau de bêtes contre les prédateurs nocturnes. Dans les troupeaux, il y a parfois de très jeunes bêtes qui tiennent à peine sur leurs quatre pattes.

Marcher et regarder le sublime.