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Appel des économistes atterrés aux économistes satisfaits

Publié le 26 janvier 2013 par Eldon

Les Economistes Atterrés, groupement d’économistes qui ne prêchent pas l’orthodoxie économique médiatique, lancent un nouvel appel contre les politiques économiques menées dans les Etats Européens au moment où les gourous de l’économie mondiale vont se réunir pour la grande messe de Davos.

Une voix hélas, trop rarement entendue.

« Coup sur coup les grandes institutions, FMI en tête, qui ont imposé une austérité brutale en Europe, reconnaissent leur erreur « technique » : les multiplicateurs keynésiens sont largement supérieurs à 1. En clair, l’austérité est un remède bien pire que le mal. On pourrait applaudir cette nouvelle clairvoyance.

Mais rappelons que des milliers d’économistes à travers le monde -dont les économistes atterrés ne sont que l’illustration française- s’étaient dès 2010 immédiatement mobilisés pour dénoncer l’erreur évidente : soigner une crise née de la folie de la finance par une saignée des budgets publics et sociaux, menée simultanément dans tous les pays en Europe, ne peut que prolonger la récession et générer de terrifiants dégâts sociaux tout en détériorant les finances publiques. De fait, l’immense majorité des économistes savaient les risques de l’austérité, y compris ceux du FMI, de la BCE ou de la Commission Européenne.

Mais l’objectif que poursuivaient ces institutions était différent. Et c’est sans doute pourquoi ils se sont tus. Une crise accentuée par l’austérité n’était-elle pas le meilleur levier pour imposer durablement en Europe l’agenda idéologique de réformes néolibérales que par ailleurs elles préconisaient inlassablement depuis vingt ans ?

Le changement récent de position des grandes institutions est alors à interpréter comme une simple manœuvre pour conserver un minimum de crédibilité. Il est devenu impossible aujourd’hui de nier que l’austérité tue la croissance et appelle encore plus d’austérité. Le discours évolue donc, on reconnaît qu’on a été un peu trop brutal, que l’austérité demeure certes incontournable mais à des doses un peu plus faibles. L’objectif essentiel ne change pas : il faut toujours plus de flexibilité sur le marché du travail et moins d’Etat social. Cette « autocritique » permet aux économistes en chef de conserver leurs postes alors qu’ils sont coresponsables de millions de chômeurs et de pauvres et ont contribué au retour en force de l’extrême droite dans certains pays.

Pourtant, vous, conseillers du Prince ou académiques prestigieux, cette évolution vous satisfait. Lorsque nous nous sommes rassemblés pour dénoncer ces politiques d’austérité « atterrantes », vous n’avez pas souhaité sauf exceptions nous rejoindre. Pour certains d’entre vous, il s’agissait de ne pas mêler sa signature à celles d’économistes pas forcément orthodoxes. Mais pour la plupart c’était surtout la méthode que vous jugiez déraisonnable. La dénonciation publique de l’absurdité, l’appel aux citoyens, pensiez-vous, seraient moins efficaces qu’une stratégie d’intervention feutrée au sein de la communauté des économistes et des décideurs, reposant sur l’approbation mesurée de l’inévitable austérité mais d’une austérité temporaire, une austérité juste, sociale etc.

Aujourd’hui, vous voyez dans le mea culpa sur l’austérité des chantres du néolibéralisme une victoire intellectuelle de la stratégie que vous avez suivie. Vous vous trompez. Ce sont les faits qui s’imposent, non vous. Et comment être satisfaits d’avoir laissé passer trois ans de dévastations en Europe du Sud et périphérique et de flambée générale du chômage pour convaincre les « technos » de Bruxelles, Francfort ou Washington qu’ils devraient modérer les doses ?

Se satisfaire de l’évolution actuelle serait aussi contreproductif que d’être resté silencieux. Certes les institutions européennes, confrontées au réel, vont donner un peu plus de temps aux pays pour réduire leurs déficits. Mais les trois années perdues ont approfondi la fracture entre les peuples européens et enkysté des représentations erronées de la crise ; ainsi les citoyens allemands ne peuvent qu’être effrayés par les déboires du Sud et renforcés dans leur conviction que leur succès (probablement temporaire) résulte de leurs efforts qui doivent s’imposer à tous. Les conditions politiques d’un véritable revirement de la politique européenne se sont éloignées. Il faut collectivement aider à les reconstruire au plus vite, en mettant au premier plan non plus l’austérité et la flexibilité mais la maîtrise de la finance et la relance sociale et écologique. La casse humaine a assez duré. Il n’est plus raisonnable d’attendre. Il est urgent que vous aussi vous engagiez vis-à-vis des peuples, des gouvernants et des derniers économistes jusqu’au boutistes. Le succès n’est pas garanti mais au moins vous aurez essayé. »

Philippe Askenazy, Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Henri Stedyniak, co-fondateurs des Economistes Atterrés.

Source: Econosphère via Les dernières nouvelles du Monde 


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