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Ce que je ne savais pas

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Je suis en colère. Contre les hommes. Et je ne le savais pas.

 Il m’aura fallu, ironiquement, un diamant sur l’annulaire pour le comprendre. Deux semaines que je suis fiancée et je suis en colère. Il l’avait prédit. Il en avait peur. Je le comprends. Ce n’est pas que ca. C’est aussi des choses sur lesquelles il travaille, une conversation que nous menons depuis quelques semaines sur le masculin et le féminin. Be careful what you wish for, il me dit toujours. Il a raison. Je l’ai poussé dans cette direction et maintenant ca m’énerve. Il paraît que je ne sais pas lâcher prise, que je ne veux pas le laisser diriger. Je crie : oui, j’ai du caractère, et alors ! Tu veux diriger, t’as qu’à diriger ! Prouves-moi que tu le vaux ! Je ne me laisserai pas faire rien au nom de ta sacro-sainte virilité. Je ne suis pas autoritariste à tout prix, quand tu sais mieux que moi je te laisse faire ! Mais quand je sais mieux, je sais mieux (et ca arrive souvent). C’est. Tout.

Une fois lancée, je ne m’arrête plus. De toute façon, j’en ai marre des hommes. Toujours après votre zizi. Toujours à prouver que vous êtes des mecs. Franchement, ok vous savez faire redémarrer un ordi et une voiture, et puis après ? On peut payer des gens pour faire ca. Tout le reste, honnêtement, je ne vois pas. Quand vous êtes malades, c’est la fin du monde, vous ne voulez jamais vous engager, vous ne savez pas vous habiller, vous ne comprenez rien aux interactions humaines et encore moins aux filles, vous avez entre vous les conversations les plus ridicules que j’ai jamais entendues de ma vie. Et puis quand on vous résiste ! Ah la la ! Vous faites la guerre, vous devenez violents, vous violez, vous mentez, vous trompez, vous partez, vous ne payez pas vos pensions alimentaires, mais putain vous servez à quoi ?!

engueulade

On est sur le passage clouté, heureusement que je l’ai prévenu avant de me lancer dans mon laïus, je m’adresse pas qu’à toi, hein, je sais en colère contre les hommes en général. Il me regarde l’œil éberlué, sans doute en train de se demander si c’était une bonne idée de m’accompagner à mon bureau de vote. C’est mon premier scrutin israélien, et d’ailleurs quand on y pense, mon premier scrutin de couple, j’y vais toujours toute seule, mais là il voulu m’accompagner pour être gentil parce que j’étais déjà énervée le matin, et il est en train de soupeser le pour et le contre de son élan de gentillesse, je le vois bien. La bonté dans son regard fait retomber ma colère. Comme toujours. J’éclate de rire. Ouh, la la, je ne savais pas que j’avais tout cela en moi.

Non, je ne savais pas. Le plus étonnant, c’est que quand mon amie M. me lançait de telles phrases à brûle-pourpoint, je prenais toujours mon ton le plus docte pour lui répondre, mais non, tu exagères, tous les hommes ne sont pas des coureurs, tous les hommes ne sont pas violents, honnêtement moi, c’est plutôt les femmes que je trouve vachardes, tu as vu combien une femme peut être méchante avec une autre ! C’est vrai, disait-elle, c’est vrai…. Je ne savais pas que nous pensions la même chose. Que nous avions ce même fond de colère alimenté par qui-sait ! Nos mère, nos grand-mères, toutes les femmes collectivement ?

Un jour, je suis avec ma mère sur un canapé, chez des amis. Un jeune couple rentre, de retour de week-end. Le gendre, tout en raccourcis masculins, expédie les questions, répond du bout des lèvres. Quand ils sont partis, je me retourne vers maman en riant, mais qu’est-ce que c’est que ces hommes qui ne disent jamais rien ? Surtout en Israël, je me dis parfois, c’est la culture de l’officier. « Oui ». « Non ». Quelques tournures de phrases marrantes et puis la conclusion, comme un couperet : « tout est sous contrôle ». Maman me dit, comme en confidence, oui tu sais, ce savoir circule chez les femmes. Quel savoir ? Eh bien, que les hommes ne servent à rien.

Je comprends pourquoi une femme qui a élevé son enfant seule peut penser cela. Elle fait tout, toute seule. C’est dur, mais, la preuve, elle le fait et personne ne l’emmerde, personne ne lui dicte quoi faire, personne n’a des besoins sexuels à épancher. Elle est seule ? Certes. Mais elle préfère sa solitude à la déception, la colère et quelqu’un qui oserait la contredire.

Je me suis cachée ces sentiments-là à moi-même pendant très longtemps. J’étais trop empêtrée dans autre chose pour penser à mon identité de femme. Cela ne me venait même pas à l’esprit. Au contraire, j’étais contre ce qui démarque, contre la galanterie, contre l’homme qui paye et la femme qui reçoit des fleurs, je ne comprenais même pas de quoi on parlait. Depuis que je suis dans mon pays, je m’occupe de mon identité de femme et de mon identité de juive. Il faillait bien que cela arrive. Et je me demande bien de quoi je me préoccupais avant.

Cet été, C. me dit qu’elle apprécie beaucoup mon amoureux, que c’est le « meilleur de ceux que tu as eu ». Je souris. Et puis, elle ajoute : « Et il n’a pas peur d’être féminin ». Je sursaute. Avant de comprendre que c’est un compliment de sa part, elle est lesbienne et elle est en colère, vent debout depuis que je la connais, contre tous les machismes du monde. Mon amoureux ne reluque pas les filles ouvertement, regarde les gens dans les yeux, ne s’impose pas. Elle peut être forte et fière à côté de lui, il n’engage pas immédiatement le bras-de-fer.

Bras-de-fer.

Colère millénaire.

L’homme et la femme, arc-boutés l’un contre l’autre, pour savoir qui aura le pouvoir.

Et après, on dit que se marier, c’est célébrer l’amour ?



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