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HENRI PICHETTE - DUO D'AMOUR FOU (extrait "Epiphanies")

Par Ruedelapoesie @ruedelapoesie

Henri Pichette

Gérard Philippe et Maria Casares dans "Les Epiphanies".



La scène est au soleil de midi, l’été, entre plaine et forêt.


Le Poète : Le lit des choses est grand ouvert. Je me suis endormi, pensant que c’était trop beau et que la terre s’échapperait. Je craignais tout des ventilations absurdes d’une nuit en colère. Les matins me fustigeaient. Je vivais crédulement. Sourcier infatigable, je cherchais l’Orifice originel, premier ouvrage par où passer la tête et crier au Soleil.
J’ai trouvé ! Je confectionne sur mesure une amoureuse. Ma femme sera mon paysage sensuel, le diorama de mon âme. Le monde s’est embelli. J’aspire littéralement l’avenir. La clarté du jour m’assiste. Je grimpe à l’échelle de corde de l’enthousiasme. O c’est plus que jamais l’heure des diamants érectiles !
Les alentours se métamorphosent. De coutume le cœur de la biche ne boule pas ainsi, l’eau a moins de charme, les oiseaux ne tombent pas si verticalement sur le ciel, l’air n’offre pas sa charpente avec autant de pompe ou de vigueur.
Je vois enfin le plus beau frisson de l’arbre. Et le silence a trop vite plongé son glaive dans la pierre pour que je ne devine rien : Tu es là.
L’Amoureuse : Je t’aime.
Le Poète : Je t’ai vue de toutes parts. Je n’osais décoller tes lèvres du poème. Il y a tant de choses qui nous invitent aux festins de la terre. Toi présente je n’ai plus que ta vérité pour sauver les mots de leur honte. Je voudrais pouvoir me taire. Or pourquoi ai-je toujours une question à poser ?
L’Amoureuse : Dis-moi.
Le Poète : A quoi reconnais-tu que je t’aime ?
L’Amoureuse : A ta volonté. Et toi ?
Le Poète : Au plaisir que tu as à m’obéir.
L’Amoureuse : Ne suis-je point ta femme ?
Le Poète : Il est vrai. Tu te donnes fière, fine, florissante, agenouillée, rejetée en arrière, arche harmonieuse d’où les serviteurs fous de lumière s’envolent ; étale, pour tracer à la langue les routes fraîches qui mènent au cri.
L’Amoureuse : Quand il fait jour je pense à la nuit
Le Poète : et la nuit je fêle ta voix, je m’initie à ton parfum, tes seins fermissent, tu tires mes yeux
L’Amoureuse : et tu me frises et me tutoies avec des gants.
Le Poète : Je tords la joie de vivre. Je te visite entière. Je t’irise. A mon aise je t’incendie.
L’Amoureuse : Tu me parcours
Le Poète : C’est alors que j’oublie le revers des villes, le souci de vivre au milieu des flèches. Je retrouve intacte mon enfance. Je jouerais des siècles avec tes boucles. Je t’emmènerai au Pays des Manières limpides. Je t’accrocherais un cristal de neige éternelle au corsage. Tu choisirais tes lacs, tes rives, tes chaînes de montagnes. Tu commanderais ton ciel, ta saison, les robes des lendemains. Pour toi, sur les chemins de ronde, nous sortirions minuit de nos poches et nous ferions du feu.
L’Amoureuse : Comme je t’appartiens ! Tu as le sens des mouvements qui me grisent, et la diction d’un fanal. Mes flots se teintent. Tu renverses l’azur en moi. Tu jalonnes mon ventre d’ifs tout allumés. C’est la fête. Je t’accompagne. Nous descendons au ralenti un escalier de pourpre, je me voile dans l’écume, le vent se lève, tu t’effaces devant les portes, où suis-je ? Mais tu ne réponds pas, tu m’inspires des flambeaux de passage, tu déplies soigneusement la volupté, tu détournes ma soif, tu me prolonges, tu me chrysalides et je suis de nouveau élue. Alors je danse, je danse, je danse ! comme une flamme debout sur la mer ! les paupières fermées. Je suis nue, j’en ai conscience et je te remercie parce que la fin de la folie est imprévisible. Tu échafaudes des merveilles. Tu me crucifies à toi. Je suis bien.
Laisse-moi te dire : j’ai besoin d’être voyagée comme une femme. Depuis des jours et des nuits tu me révèles. Depuis des nuits et des jours je me préparais à la noce parfaite. Je suis libre avec ton corps. Je t’aime au fil de mes ongles, je te dessine. Le cœur te lave. Je t’endimanche. Je te filtre dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m’évase. Je te déchaîne
Le Poète : Je t’imprime
L’Amoureuse : je te savoure
Le Poète : je te rame
L’Amoureuse : je te précède
Le Poète : je te vertige
L’Amoureuse : et tu me recommences
Le Poète : je t’innerve te musique
L’Amoureuse : te gamme te greffe
Le Poète : te mouve
L’Amoureuse : te luge
Le Poète : te hanche te harpe te herse te larme
L’Amoureuse : te mire t’infuse te cytise te valve
Le Poète : te balise te losange te pylône te spirale te corymbe
L’Amoureuse : l’hirondelle te reptile t’anémone te pouliche te cigale te nageoire
Le Poète : te calcaire te pulpe te golfe te disque
L’Amoureuse : te langue le lune te givre
Le Poète : te chaise te table te lucarne te môle
L’Amoureuse : te meule
Le Poète : te havre te cèdre
L’Amoureuse : te rose te rouge te jaune te mauve te laine te lyre te guêpe
Le Poète : te troène
L’Amoureuse : te corolle
Le Poète : te résine
L’Amoureuse : te margelle
Le Poète : te savane
L’Amoureuse : te panthère
Le Poète : te goyave
L’Amoureuse : te salive
Le Poète : te scaphandre
L’Amoureuse : te navire te nomade
Le Poète : t’arque-en-ciel
L’Amoureuse : te neige
Le Poète : te marécage
L’Amoureuse : te luzule
Le Poète : te sisymbre te gingembre t’amande te chatte
L’Amoureuse : t’émeraude
Le Poète : t’ardoise
L’Amoureuse : te fruite
Le Poète : te liège
L’Amoureuse : te loutre
Le Poète : te phalène
L’Amoureuse : te pervenche
Le Poète : te septembre octobre novembre décembre et le temps qu’il faudra

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