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Documentaire sur l’« Église » émergeante + Réfutation de Brian McLaren

Par Monarchomaque

Ce documentaire est aussi téléchargeable ici.

Pour les lecteurs/auditeurs qui ne maîtrisent pas l’anglais, je propose l’échange suivant entre moi et mon ancien professeur d’histoire des sciences au cégep (qui est physicien de formation et prêche occasionnellement dans des églises de Sherbrooke) survenu en septembre 2011. Dans un premier temps, le professeur (dont il n’est pas nécessaire que je révèle l’identité) m’expose les doctrines du gourou émergeant Brian McLaren (et cite un de mes courriels antérieurs en se faisant). Dans un second temps, je réponds point par point aux objections soulevées.

1. Correspondance du professeur à mon intention

Les protestants mettent l’emphase sur le contenu (comme tu l’as mentionné, les doctrines) [de la Bible]. McLaren parle de biais dans l’approche plus que dans le contenu.

1. Par exemple, la réflexion moderne est presque exclusivement analytique. Donc l’interprétation biblique par un moderne est analytique (les médiévaux étaient plus contemplatifs, ce qui se retrouve dans le catholicisme). D’où l’idée de développer des systèmes doctrinaux absolus. Effectivement, les doctrines protestantes sont bibliques, donc proviennent de l’Église primitive. Mais ce type de réflexion (analytique) provient des Grecs (Platon et Aristote) comme tu l’as vu dans mon cours — les Juifs (comme les Orientaux en général) raisonnent beaucoup plus par des histoires. C’est la raison pour laquelle Jésus décrit son royaume sous la forme de parabole et non comme un traité de théologie systématique.

Tu as écrit :

« La Bible elle-même ne se présente pas comme un livre ésotérique ouvert à mille et une interprétations (ce type de manuel est le propre du paganisme), mais comme un recueil doctrinal absolu et définitif. »

Mais je ne suis pas d’accord.

2. La perception de la Bible comme une source de doctrines est moderne. La Bible est avant tout une histoire — l’histoire des interventions de Dieu, d’abord en lien avec la nation d’Israël, puis en lien avec l’Église primitive. Finalement, ce sont des lettres écrites par les apôtres pour encourager des communautés selon les problèmes ponctuels qu’elles vivaient. Le protestantisme a fait de la Bible une source de doctrine absolue, car les gens réfléchissent ainsi.

Ce qui s’approche le plus de la théologie moderne (systématique) est l’épître aux Romains — elle est écrite en termes analytiques très appréciés des Occidentaux. Mais c’est la seule épître qui ait cette structure; et les autres livres ne visent pas la théologie systématique.

Les protestants ont fait de l’épître aux Romains le cœur de leur théologie (justification par la foi en la grâce, etc.), car le genre littéraire leur est familier. Mais cette épître est marginale en ce sens que le thème de la justification n’est abordé que 2 autres fois à l’extérieur de cette épître (dans Galates, je crois). Mais même Paul ne faisait pas de théologie systématique à ce moment. Il tentait de se présenter à une église pour avoir leur soutien financier pour aller évangéliser l’Espagne (Romains 15). Et comme il y avait des tensions entre Juifs et non-Juifs, il passe huit chapitres à les mettre égaux.

3. Le simple fait de chercher la vérité dans l’exactitude et la précision des détails est très moderne, et très loin du Nouveau Testament. Dans l’épître aux Romains, au chapitre 3, Paul cite plusieurs Psaumes plutôt hors contexte (ils étaient écrits par David qui est en colère contre des gens qui le menacent — Paul le généralise pour illustrer la dépravation de toute l’humanité). Il ne respecte pas le sens premier de ce qu’il cite, donc l’exactitude n’est pas aussi importante pour lui que pour un moderne.

Mon point n’est pas de critiquer les doctrines, ni l’épître aux Romains, ni la justification par la foi, mais de montrer le biais en montrant que les Anciens ne réfléchissaient pas ainsi — surtout pas les Juifs qui étaient orientaux. À la rigueur les Grecs et les Latins étaient analytiques, mais jamais au degré que les modernes l’ont exploité. Et c’est pour cela que les livres bibliques destinés aux Grecs et aux Latins sont plus analytiques — du moins selon les capacités de l’auteur.

4. L’emphase du Nouveau Testament était sur une personne (Jésus) et un événement (crucifixion et Résurrection) plus que sur un livre (la Bible). L’appréciation du livre ne peut se faire que dans une société où les gens sont majoritairement lettrés et où l’impression permet de le répandre. Bien sûr, les Écritures étaient importantes tant pour les Juifs que pour les premiers chrétiens, mais toujours dans le but de pointer vers Jésus. Pour les protestants, répandre le message de Jésus équivaut à diffuser la Bible. Et ce n’est pas mal, mais il y a un biais présent (peut-être le plus subtil, mais c’est néanmoins un biais).

Jésus a montré qu’il y avait une distinction entre répandre les doctrines des Écritures et le suivre en tant que personne (Jean 5:39) — il disait cela à ceux qui connaissaient le mieux l’Ancien Testament à son époque.

2. Ma réponse aux points soulevés par le professeur et McLaren

Je comprends et j’étais conscient de cette antique nuance entre les Orientaux qui sont plus contemplatifs et les Occidentaux qui sont plus analytiques.

Mais même si certains peuvent prendre la Bible plus pour un outil d’envol mystique, cela n’empêche en rien qu’elle recèle en elle toute la Révélation, précise et complète, que Dieu a transmise à l’humanité. Un passage quelconque de la Bible peut très bien se prêter, chez le même individu, à une méditation spirituelle qu’à une analyse doctrinale absolue et terre-à-terre.

Il me semble que l’Église primitive ne se contentait pas de faire la contemplation mystique d’un Dieu à l’identité et aux desseins flous. L’œuvre Contre les hérésies d’Irénée de Lyon (envoyé en Gaule par Polycarpe, qui a côtoyé l’apôtre Jean à Smyrne) est un bon exemple de systématisation doctrinale pour contrer les errances (gnostiques, judaïques, païennes). Contre Celse d’Origène et les Apologies de Justin Martyr peuvent aussi être placées dans cette catégorie.

Certes, le Nouveau Testament n’est pas écrit sous la forme épurée et standardisée d’un manifeste, d’une constitution ou d’un texte législatif (mis à part quelques passages comme le Notre Père, le Sermon sur la Montagne, et les micro-confessions de foi récitées telle que 1 Corinthiens 15).

Néanmoins, les auteurs du Nouveau Testament, inspirés par le Saint-Esprit, voyaient leurs écrits comme une source de déductions doctrinales sûres et certaines…

« Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice. » (2 Timothée 3:16)

Et ces auteurs inspirés de la période apostolique considéraient leurs écrits comme égaux (en sacralité) à ceux de l’Ancien Testament (lequel ils ne cessaient justement de prendre comme une base de référence doctrinale) :

« Vous avez été édifiés sur le fondement des Apôtres et des Prophètes [c'est-à-dire l'Ancien Testament], Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. » (Éphésiens 2:20)

« C’est ce qu’il [Paul] fait dans toutes les lettres, où il parle de ces choses, dans lesquelles il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme celui des autres Écritures [ici l'Ancien Testament], pour leur propre ruine. » (2 Pierre 3:16)

Que la réflexion analytique provienne des Grecs (ou plutôt que ceux-ci l’ont plus développée que les autres peuples) n’est pas un écueil. Le Nouveau Testament a été composé en langue grecque (sauf l’épître de Jacques en araméen). Les Pères de l’Église étaient pétris d’hellénisme. La rationalité et la rhétorique ont conditionné l’affirmation de la théologie chrétienne telle que préalablement contenue dans la Bible (Crédo de Nicée-Constantinople, Symbole d’Anathase, Symbole de Chalcédoine, etc.). Et alors ? Cela ne fait pas du christianisme un « produit de la culture hellénique profane » pour autant. C’est le Saint-Esprit qui a insufflé la Parole à l’Église. C’est Dieu qui dota les humains des facultés intellectuelles nécessaires pour raisonner et tenir un discours argumenté. Que l’Église fasse usage de ces capacités humaines pour systématiser les oracles divins… cela fait parfaitement du sens, nonobstant que le message de Jésus était initialement sous une forme apparemment non systématisée (car elle s’adressait à un auditoire oriental). Cela n’est pas un problème pour le christianisme/protestantisme et n’affecte en rien son message.

Que Paul prenne l’exemple des controverses entourant le roi David pour illustrer la dépravation de l’homme, cela est censé. Que Paul ne nomme pas David et ne fasse pas de remise en contexte historique n’est pas important, car Paul cite des extraits énonçant des vérités permanentes, intangibles et immuables (par exemple que la sentence de Dieu est juste) qui n’ont pas besoin d’être accompagnées du contexte psalmique (que les destinataires connaissaient surement déjà) pour garder leur précision.

Vous dites :

« Le protestantisme a fait de la Bible une source de doctrine absolue, car les gens réfléchissent ainsi. »

Absolue, j’assume, signifie ici entièrement vrai, complet et définitif. En lisant ces mots des apôtres Paul et Jean, j’ai fort l’impression que le Nouveau Testament affirme être une source de doctrine absolue :

« Je m’étonne que vous vous détourniez si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre évangile. Non pas qu’il y ait un autre évangile, mais il y a des gens qui vous troublent et qui veulent altérer l’Évangile de Christ. Mais, si nous-mêmes, si un ange du ciel annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons dit précédemment, je le répète à cette heure : si quelqu’un vous annonce un évangile s’écartant de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » (Galates 1:6-9)

« Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre ; et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’arbre de la vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre. » {Apocalypse 22:18-19 ; certes « ce livre » veut ici dire l’Apocalypse, mais l’avertissement de ne pas inventer des doctrines (ou d’en puiser ailleurs que dans la prédication apostolique — ce qui revient au même) vaut aussi bien pour le reste du canon du Nouveau Testament.}

L’emphase du Nouveau Testament ne porte évidemment pas sur un corpus de manuscrits inspirés, c’est-à-dire sur lui-même. Il porte sur la personne, l’œuvre expiatoire et les enseignements de Jésus-Christ, comme vous soulignez. Or le Nouveau Testament est justement l’ensemble de textes qui non seulement nous informe sur la vie de Jésus-Christ, mais surtout nous apprend, grâce à son caractère inspiré, ce que le ministère de Jésus implique théologiquement, doctrinalement. Ce second point est certainement la raison d’être du Nouveau Testament autant que le premier.

Je ne suis pas certain que l’appréciation d’un livre ne peut se faire que dans une société où les gens sont majoritairement lettrés et où l’impression permet de le répandre. Les juifs n’avaient en moyenne qu’un Tanak par synagogue, et ce livre n’en était pas moins révéré, lu, expliqué et médité chaque samedi. Idem pour les communautés chrétiennes primitives et leurs rouleaux/codex du Nouveau Testament, qui étaient lus en commun chaque dimanche « aussi longtemps que le temps le permet » (dixit Justin Martyr).

D’ailleurs on n’a pas attendu la « Renaissance » humaniste et les 95 Thèses pour entreprendre de rendre la Bible accessible à chaque foyer chrétien en langue vernaculaire. Divers proto-protestants (les vaudois dès le XIIe siècle en Provence & Piémont, les wiclifites dès le XIVe en Angleterre, puis les hussites dès le XVe en Tchéquie) ont précédé, et en maintes instances jetés les bases, du protestantisme du XVIe siècle auquel ils se joignirent au temps venu (cf. les vaudois au synode de Chanforan en 1532).

Vous dites :

« Pour les protestants, répandre le message de Jésus équivaut à diffuser la Bible. [...] Jésus a montré qu’il y avait une distinction entre répandre les doctrines des Écritures et le suivre en tant que personne. »

La Bible est le message de Jésus alors je vois mal comment diffuser la Bible ne peut pas équivaloir à répandre le message de Jésus.

Il est bien sûr possible de se revendiquer des Écritures sans les mettre en pratique, c’est ce que faisaient ceux que Jésus sermonne en Jean 5:39. On peut donc répandre les doctrines bibliques sans suivre Jésus personnellement. Cependant, on ne peut pas suivre Jésus personnellement sans répandre les doctrines bibliques d’une manière ou d’une autre (à moins de vivre en isolement total).

Je ne sais pas trop ce que McLaren essaie de prouver avec cet argument de la contemplation et tout le reste. Même s’il dit que la Bible n’est pas un recueil systématisé, s’il veut élaborer (ou rejeter) une quelconque doctrine, il n’aura pas le choix de s’appuyer sur l’Écriture, le forçant à faire une inévitable systématisation. S’il veut faire dire quelque chose à certains passages qui ne le disent pas, il se fera ramener au principe du Tota Scriptura : la compréhension de n’importe quelle portion des Écritures doit se faire en harmonie avec l’ensemble des Écritures (règle de base pour la formulation de n’importe quel énoncé, sinon la Bible devient un panier où l’on pige ce que l’on veut, l’interprète comme il nous plaît, et ignorons ce qui ne nous intéresse pas… or si tel est le cas, la Bible perd toute autorité et il devient vain de s’y référer).

Il appert que McLaren essaie de diminuer l’autorité normative de la Bible (et peut-être de se débarrasser du Sola Scriptura) pour pouvoir justifier ses errements postmodernes. Si en effet il réussit à relativiser le caractère absolu de la Bible, c’est bien plus facile pour lui d’accepter l’homosexualité et ô combien d’autres lubies de notre époque absurde.


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