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Retours sur l’action « La Faim du monde n’aura pas lieu »

Publié le 31 janvier 2013 par Ekolo[geek]

« La faim du monde n’aura pas lieu » est une manifestation organisée par le CREPAQ, la Banque Alimentaire et Ekolo[geek] pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Elle s’est tenue le 22 décembre 2012, place Meynard au quartier Saint Michel à Bordeaux. 200 Kg de fruits et légumes destinés à être jetés, ont été ramassés par des bénévoles. Décidés à montrer qu’un légume ou un fruit défraîchis est encore bon, ils nous font vivre une demi-journée sous le signe de la convivialité. 

Il est 11h00 ce samedi, lorsque Julien Robert (animateur de l’association Ekolo[geek]) arrive place Meynard, accompagné d’Aurélie une bénévole. Au pied de la cathédrale Saint Michel, le temps est menaçant. C’est à se demander si les bordelais sortiront aujourd’hui ! Élise Madranges (chargée de mission au CREPAQ) est déjà sur les lieux avec Alyssa Daoud (directrice de l’association) pour faire le point sur le déroulement de la journée.

Julien et Aurélie s’attellent rapidement au montage de leur équipement, rangé dans leurs sacs à dos. « Notre matériel est pliable pour nous permettre un déplacement en transports en commun. Ainsi nous sommes en cohérence avec nos idées à savoir : éviter la surconsommation. Dans tous les domaines de la vie quotidienne, la consommation au plus juste de nos besoins, évite le gaspillage ou les dépenses inutiles »,  explique le membre de l’association Ekolo[geek].

L’équipe du CREPAQ s’active également à leur installation. C’est à cet endroit que cuisineront les Chefs et les élèves du lycée hôtelier de Talence, partenaire de l’opération. Ils seront au cœur du mouvement. Autour, les piétons paraissent surpris quant à remue-ménage sur les lieux. L’ambiance est détendue au sein des participants, même si la logistique est fastidieuse. Quelques passants interrogent les organisateurs sur l’objet de la manifestation. Les bénévoles sont heureux de les inviter à ce qui sera pour eux une après-midi de partage. Certainement pensent-ils à un moment de citoyenneté et pourquoi pas de prise de conscience sur le gaspillage alimentaire.

Face à cette agitation, des yeux gourmands dévorent l’étalage de confitures artisanales de Dominique Adechi, auto-entrepreneuse. Ses cartons se vident, des saveurs rares aux plus populaires parcourent la table. Dominique représente à elle toute seule la solidarité, le partage et l’envie de se sortir des difficultés de la précarité de l’emploi. « Je fabrique ces confitures artisanales avec une collègue. La Banque Alimentaire nous prête les locaux, les machines, puis nous les revendons… Alain Apostolo le président de la Banque Alimentaire en rêvait, nous l’avons fait ! ».

Du producteur au consommateur…

Les cagettes de fruits et légumes arrivent autour de midi et l’excitation commence se à sentir chez les bénévoles. Collectés les jours précédents chez les commerçants alentour, les végétaux sont posés et ordonnés sur le pavé bordelais. Courgettes, haricots, oranges, bananes, ils passeront tous entre les lames des économes ou des robots ! Les chefs et leurs élèves arrivent les mains pleines d’ustensiles et suscitent l’amusement. Comme si la prudence était de mise, personne ne s’aventure à poser des questions. Le ciel s’assombrit mais le moral des troupes est bien présent. Rien n’entachera le combat que tous veulent mener au travers de leur action. Le silence est d’or sur la petite place, mais les fervents acteurs poursuivent avec le sourire. La circulation est calme et quelques clients observent le branle-bas de combat depuis les terrasses des brasseries voisines. On aimerait croire que ce quartier – l’un des plus populaires de la ville – soit celui de l’entraide.

13H30 est l’heure des premières conversations… Les stands sont enfin installés, prêts à investir leurs rôles. Puis, parce que l’on ne peut pas  parler de gâchis alimentaire sans penser au gaspillage des énergies, Julien se lance dans des échanges d’éco-citoyenneté auprès de ses interlocuteurs. Les langues se délient et des conversations naissent. «Le 22 décembre est un moyen de rassembler des gens sensibles aux mêmes valeurs. C’est aussi un moyen ludique de valoriser une cuisine simple et familiale» racontera Dominique. Élise et les autres ne manquent pas de prouver la simplicité des bons plats.

En passant par la cuisine…

L’événement débute peu après. Économes et tabliers sont de rigueur. La brigade des toqués entame le nettoyage des denrées, puis peu à peu les choses s’organisent d’elles-mêmes derrière les fourneaux. Chacun prend en charge une mission, deux ou trois personnes s’affairent autour d’un fait-tout. Les légumes sont émincés ou coupés en dés, revenus au wok pour certains, assaisonnés ou simplement mélangés pour d’autres, puis portés à ébullition dans une cocotte d’eau bouillante. L’équipement est rudimentaire mais suffit aux cuisiniers, aucunement déstabilisés de travailler sur des plaques électriques.  Un climat presque enfantin se créé au sein des participants. Il est bon de retrouver cette gaïté. France 3 Aquitaine est là pour parler de l’événement au journal de 19h00 et cela semble attirer du monde ! Les odeurs se propagent et envahissent progressivement la place Saint Michel. D’ordinaire, l’heure du repas est passée, mais les nez sont attirés, comme happés par ces senteurs. Les papilles  s’éveillent et la foule s’intensifie prudemment. Le service des différentes soupes et smoothies ne cesse d’être dans les bavardages. Pendant ce temps, Élise Madranges est interpellée pour parler du projet : « L’idée de «La faim du monde n’aura pas lieu»  a pris forme il y a un mois. Parallèlement, Eric Faget président de l’ACCOT a accepté de nous aider en venant avec des cuisiniers. Cette journée est le résultat de nombreux partenariats avec un objectif commun : faire prendre conscience au consommateur que le gaspillage alimentaire n’est pas une fatalité. »

Un cuisinier avec une toque et trois bénévoles découpent des fruits et légumes défraichis.

Le stand de Dominique situé face « aux cuisines » ouvre les appétits timides. Avec fierté, elle nous parle de sa dernière recette orange/melon. Cette ghanéenne d’origine, transmet aux intéressés sa passion du sucré sur un morceau de pain tranché. Elle n’oubliera surtout pas de préciser que ses confitures sont issues de fruits invendus, préparés exclusivement au sucre de canne. « On a fait le choix du sucre de canne et du citron pour faire des produits haut de gamme. Les fruits sont sélectionnés, triés, puis cuisinés artisanalement ». Son expérience prouve que l’on peut fabriquer des produits de bonne qualité avec des ingrédients un peu moins séduisants ! Les gourmands sont rapidement convaincus et achètent, pour certains, des pots de sa production.

Une cuisinière en toque et une bénévole pèlent des légumes.

Il semblerait que le gaspillage alimentaire ne soit pas une réalité tant que l’on n’a pas devant soi ces kilos de nourriture, destinés aux ordures. Le spectacle est étonnant et surtout affligeant. Il nous ramène à une dure réalité lorsque l’on aperçoit deux ou trois personnes de la rue s’approcher. Qui plus est lorsque le moment de servir les premiers gobelets est venu. Les mains se tendent en direction des marmites, par plaisir ou par nécessité. Les bénévoles vont chercher les piétons qui n’osent pas s’avancer. Un sourire, une parole suffisent à les convaincre. Le premier mariage carottes, potiron et grenade est un véritable succès. S’instaure une ambiance de plus en plus chaleureuse où l’on ose enfin s’ouvrir les uns aux autres. Les enfants sont demandeurs, et paradoxalement ne se détournent pas d’un velouté vert et épicé. Le rythme est somme toute soutenu, mais le but n’est toujours pas atteint. Il reste encore des kilos de légumes à préparer. Les volontaires sont engagés dans cette course et l’incitation est telle que les gens se proposent pour aider « en cuisine ». Et parce que l’heure du goûter approche, les fruits sont lavés à leur tour, épluchés, cuits et/ou mixés, pour être transformés en compotes ou en smoothies. Tout le monde s’approprie et apprécie un morceau de cette journée. Avec agacement, Aurélie ironise la présence de jeunes garçons jouant à la guerre avec pour missiles des grains de raisin. Ce sera le seul point noir de la journée qui sera passé presque inaperçu. La délicatesse involontaire de ses enfants sera de s’en aller quelques dizaines de minutes après le début de leur guérilla.

Pour s’inscrire en vous !

Malgré les kilos de légumes restant à s’occuper, l’enthousiasme persiste. On assiste à une sorte de soupe populaire géante où différentes générations se côtoient. L’objectif participatif est atteint. Alyssa ne cesse de courir partout et répond à de nombreuses questions. Elle réussira à s’accorder un moment de répit avec quelques bénévoles lors de la dégustation. Il y a ceux qui découvrent l’événement et ceux qui sont là pour promouvoir des gestes ou des idées simples à réaliser chez soi. À écouter les témoignages des organisateurs tout cela n’est qu’une question d’habitude.  La méthode forte employée par tous reste la pédagogie. Incitative, elle est un pied-de-nez à toutes les approches agressives de certains mouvements dits écologistes, qui restreignent l’impact d’un message.

De nuit, jeune guitariste jouant de la musique devant le barnum du Crepaq

19h30 : un inconnu se démarque.

Les protagonistes de cette lutte affirment que la faim dans le monde est un fléau difficile à vaincre, mais réalisable. À condition que chacun y mette du sien quotidiennement, même à petite échelle. C’est le «Penser global, agir local» du CREPAQ. Dans son gilet estampillé au nom de son association, Alyssa explique : « Aujourd’hui, ce gaspillage est un scandale environnemental, économique, social et humain qu’il n’est plus possible d’accepter. Ainsi au niveau mondial, si on cumule la totalité des pertes, gaspillages et gabegies en tous genres des denrées alimentaires, cela équivaut à la production de 35 % des surfaces cultivées. Cela signifie qu’un tiers des terres dans le monde est cultivé pour rien !!! ». Mais cette rage affirmée par ce bout de femme n’enraye en rien son attitude positive.

Les chefs et cuisiniers en habits de travail posent avec des fruits et légumes devant le stand du Crepaq.

Brigade des chefs au lancement de la manifestation.

La journée atteint son apogée vers 17H30. Peu à peu le temps fait le reste. Il y a les irréductibles bavards qui ne partent plus, et c’est tant mieux ! Ils proclament leurs gestes éco-citoyens ou leurs recettes magiques. Puis il y a les opportunistes qui voient là, une occasion d’en apprendre davantage. Vers 19H30 l’événement aura rassemblé 200 à 300 personnes. La nuit tombe, l’humidité ressentie devient désagréable et le public change de visage. C’est dans ces eaux-là que la place Saint Michel se transforme en marché gratuit aux invendus. Les tentes et les étales sont rangées, la vaisselle nettoyée lorsque – pour être en accord avec l’ordre du jour – les initiateurs du projet, décident de faire don des derniers fruits et légumes. Il ne restera plus rien de cette journée, si ce n’est le souvenir d’heureux goûteurs qui auront eu l’immense plaisir de passer un moment de leur week-end autour d’un gobelet de soupe ou d’un verre de smoothie.

Hélène LAMBROT

Chargée de communication, bénévole, de l’association Ekolo[geek]


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