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« Mariage pour tous » : l’opinion pourrait-elle défaire les bans ?

Publié le 01 février 2013 par Delits

1,2 millions. Il s’agit du nombre de manifestants en juillet 1984 contre le projet de grand service public de l’enseignement. Certains rêvent, comme il y a trente ans, de renouveler l’exploit : mobiliser suffisamment pour renvoyer le projet de mariage gay aux calendes grecques. Cette semaine, le législateur a entamé les discussions sur cette loi, sous le regard des citoyens. L’opinion pourrait-elle le faire céder ?

De possibles retours de bâton

Enfants du XXème siècle, nous sommes habités par l’idée que les mœurs évoluent vers une libéralisation progressive, le temps décorsettant peu à peu la société. Evoquer l’interdiction pour la femme de travailler sans l’autorisation de son mari, l’absence de divorce par consentement mutuel ou la pénalisation de l’homosexualité permet de prendre la mesure du long chemin parcouru depuis la fin des années 1960.

Mais le vent souffle parfois dans un tout autre sens. Le XIXème siècle a ainsi vu se durcir une lourde chape de plomb, dont nous sommes encore pour partie les héritiers. Plus récemment, nous avons assisté à un retour de bâton après les excès des années 70. Les écrits de Daniel Cohn Bendit décrivant des relations sexuelles entre adultes et enfants avaient ainsi été publiés dans l’indifférence générale dans les années 1970. Ils apparaissent, avec nos yeux actuels, choquants. Flux et reflux, libéralisme et conservatisme, notre société est traversée par ces courants contradictoires de manière erratique au cours de son histoire – même si, sur la tendance longue, les progrès du bien-être matériel favorisent le libéralisme.

La récente crispation de l’opinion sur la question gay

La vague acquise au renforcement des droits des couples gays semblait irrésistible. L’homosexualité se banalisait dans la société française depuis les débats sur le PACS. A l’étranger se répandaient les législations accordant le mariage aux couples de même sexe. Parallèlement en France, les sondages dépeignaient une opinion favorable au mariage gay dès 2000 et à l’adoption à partir de 2008. La nature du clivage sur cette question, essentiellement générationnelle, laissait présager une évolution toujours plus favorable à la question gay. L’opinion paraissait mure, il n’y avait plus qu’à faire adopter une loi.

Pourtant, un coup d’arrêt a été porté à cette évolution. Le mécanisme s’est enraillé quelque part entre 2010 et 2012. La démonstration la plus éclatante de ce changement d’atmosphère se trouve dans la fameuse interview que Nicolas Sarkozy a accordée en janvier 2012 au Figaro Magazine. Le même candidat à l’initiative d’une proposition d’union civile pour les homosexuels en 2007 rétropédalait brusquement 5 ans plus tard. Non seulement il n’avait pas tenu l’engagement qu’il avait pris devant les Français pendant son mandat, mais il estimait que les temps actuels n’étaient pas propices à faire évoluer ces droits. Sans pour autant passer pour un ringard. Les regards pointaient dans d’autres directions (compétitivité, frontières, etc.). Fait notable : le sujet n’a pas même été soulevé pendant le débat entre François Hollande et Nicolas Sarkozy.

L’année 2012 allait mettre en lumière, de manière inattendue, le doute grandissant des Français sur cette question. Aujourd’hui selon l’Ifop, ils demeurent certes en majorité favorables au mariage gay (63%), mais ils sont en revanche de nouveau opposés au droit d’adoption (49%). Or, la question de la filiation est devenue le nœud gordien du débat, qui n’attend qu’à être tranché.

Un débat loin des préoccupations…

Mettre les couples homos et hétéros sur le même plan devant le droit : le projet de loi est bien historique. Mais sa portée concrète reste limitée puisqu’il ne concerne, par définition, qu’une minorité de personnes. Il n’y aurait que 3 à 4% de Français qui vivent réellement leur homosexualité – même si cette proportion est plus importante chez les moins de 50 ans. En Espagne, seuls 22.000 mariages ont été célébrés entre 2005 et 2011. Ce projet apparaît donc, de manière caricaturale, éloigné des préoccupations de l’immense majorité des Français. 75% estiment qu’il s’agit d’un sujet secondaire. Les projets de lutte contre la désindustrialisation, de réduction de la dette publique, c’est là que les Français attendent le gouvernement au tournant. Le sort de 30.000 à 300.000 enfants (selon les sources), élevés dans le cadre de couples homos, et n’ayant pas les mêmes droits que leurs camarades, passent après.

Il semble que la crise ait effectivement contribué à braquer une partie des Français sur la question. Les ouvriers et les employés (-10), les femmes (-13), les personnes dépolitisées (-14) mais aussi les cadres (-14) semblent ainsi moins favorables à l’adoption qu’en 2011. Au cours de l’histoire récente, la majorité des lois progressistes en matière de mœurs ont été adoptées sous des cieux économiques favorables, quand les aspirations des Français n’étaient pas focalisées sur des sujets sociaux-économiques. La dernière grande loi de libéralisation des mœurs, le PACS, a été votée en 1999, lors d’une conjoncture propice.

Enfin, la politisation du débat a mécaniquement fait dériver une partie de l’électorat UMP vers une opposition plus ferme. Le mariage gay était quasiment tabou dans les états-majors parisiens pendant les dix années où la droite était aux affaires. Ils étaient encore échaudés par l’échec dans leur combat contre le PACS. Rétrospectivement, maintenant que le nombre de PACS se rapproche de celui des mariages, leur opposition apparaît à contre-courant de l’histoire. Mais, sentant au cours de la campagne interne qu’une partie de la base était viscéralement opposée à cette avancée, au point de déterminer leur vote en fonction de la prise de position des leaders sur ce sujet, les caciques de l’UMP se sont récemment emparés du sujet. Les sympathisants UMP leur ont emboité le pas : peu d’entre eux approuvent aujourd’hui le droit à l’adoption (25%, -13 points depuis 2011).

… mais une dimension passionnelle bien présente

Peut-on donc parler d’indifférence de l’opinion ? Bien au contraire, personne n’arrive à y rester indifférent. Dans les sondages réalisés sur le sujet, presque tous les interviewés expriment une opinion, ce qui est très rare. Le sujet a beau être plus complexe qu’il n’y paraît, chacun se sent être en mesure de se forger un avis. Le mariage gay figurait déjà parmi les grands sujets de conversation des Français début janvier (60% en ont parlé contre 59% de la hausse du chômage par exemple). La finalité de la loi ne concerne qu’une minorité, mais son esprit caresse la sensibilité de chacun. Ce débat renvoie à notre identité, à notre altérité, à notre perception de la société et de l’éducation des enfants. Au-delà d’une modification du Code civil, ce sont nos valeurs les plus profondes, celles qui nous façonnent, qui sont mises en branle dans ce débat. C’est la raison pour laquelle l’idée d’un référendum a fait son chemin (69% des Français y sont favorables, dont 42% « tout à fait favorables ») : le débat ayant lieu dans la société française, il aurait pu, dès lors, se matérialiser dans les urnes.

Des minorités sur le pied de guerre

Pendant que la majorité des Français discutent, des minorités combattent. La rue en constitue, avec Internet, le champ de bataille privilégié. Le camp gay défend ses droits et promeut l’idéal d’égalité pour en faire une réalité. Le camp des opposants, largement alimenté par les milieux catholiques, défend « la civilisation ». Au-delà de la démonstration de force, l’objectif pour chacun est de donner à leur combat une valeur universelle pour la société, chacun devant éviter d’être enfermé dans les cases d’ « homos » ou de « cathos », la majorité des Français ne se reconnaissant pas dans l’une de ces deux étiquettes pour se définir.

Le camp « pro-mariage » descend dans la rue avant tout pour répondre aux manifestations d’opposants. Ils étaient 120 000 le 27 janvier à Paris (chiffres de la préfecture). Il est difficile pour de faire déborder la mobilisation très au-delà au-delà de la communauté gay. Et ceci d’autant qu’on est plus enclin à descendre dans la rue pour s’opposer que pour soutenir un projet de loi.

Pour le camp des opposants, l’enjeu réside dans le fait de ne pas se ringardiser. Christine Boutin, en prenant la tête des opposants au PACS, avait contribué à radicaliser l’image des opposants – alors que l’opinion, rappelons-le, était assez partagée sur le fait d’accorder le PACS aux couples homos. La manifestation anti-Pacs avait rassemblé 100 000 personnes en février 1999.

Les opposants pourraient-ils dès lors mobiliser davantage que lors du PACS, et renouveler le fait d’armes de 1984 ? Pour dégonfler la mobilisation, l’exécutif a tergiversé, d’abord en évoquant la clause de conscience du maire (même si elle a finalement été écartée), puis l’ajournement de la PMA, encore nettement impopulaire (63% d’opinion négative selon OpinionWay), en mars.

Mais les grognards de 1984, rejoints par toute une nouvelle génération, n’ont pas baissé la garde. Le 13 janvier, la manifestation dans la rue était de grande ampleur, avec 350 000 participants. Mais cette démonstration de force n’a pas eu les effets escomptés sur l’opinion. Un sondage réalisé dans la foulée de la manifestation annonçait que, loin de rallier une partie de l’opinion à la cause, le niveau d’adhésion au mariage et à l’adoption reprenait même quelques points. Beaucoup ne se reconnaissent pas dans une manifestation menée notamment par des évêques et par quelques têtes de l’UMP. Par ailleurs, l’immense majorité des Français (83%), à l’exception des catholiques pratiquants, ne souhaite pas que l’Eglise intervienne en politique.

Une polémique éphémère inscrite dans une tendance lourde

Ce récent décrochage de l’opinion n’est donc que conjoncturel. Même si l’on remarque que la crise pousse à se retourner vers les valeurs traditionnelles, la tendance longue, celle d’une lente déchristianisation de la société et d’une diversité croissante des modèles familiaux, est trop lourde pour être enrayée.

Personne aujourd’hui ne parierait sur le retour sur cette loi par l’opposition de droite, une fois que celle-ci sera de retour au pouvoir. L’opinion a donc beau douter aujourd’hui, avec un décalage entre les attentes actuelles et cette loi, elle se l’appropriera, à l’instar du PACS. Le mariage gay en Espagne a bien survécu à Mariano Rajoy.


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