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Django Unchained (my heart)

Publié le 01 février 2013 par Darksroker

Affiche Django

Cette époque peut déjà vous sembler sombre et reculée, mais il y n’y a pas trente-sept mois sortait sur nos écrans une petite galéjade bleutée et lyophilisée. Le titre ? Avatar. Une sorte de Tic-Tac cinématographique : un superbe packaging, un effet fraîcheur galvanisant, mais une sucrerie vite avalée, trop vite oubliée. Un apport calorique quasi-nul. Et finalement, un arrière-goût bien pâteux en bouche, voire même, pour les plus allergiques à la phénylalanine, des complications gastriques bien ennuyeuses… Aïe, je ne savais pas où j’allais en commençant cette métaphore, je ne suis pas plus avancé à présent.

Mais pourquoi diable décidé-je de vous entretenir d’un bonbon insipide que nous avons tous englouti, assimilé et digéré jusqu’au point de non-existence il y a trois ans de cela ? Et bien, figurez-vous que j’ai nonchalamment compulsé les articles des web-encyclopédies à son sujet et qu’une chose effarante s’est rappelée à mon con souvenir – ceci n’est pas une faute de frappe – Tic-Tac, le Film avait provoqué des dépressions nerveuses. Sévères. Si, si. Certains spectateurs avaient été tellement transportés par le menthol du storytelling manichéen et la douceur des pelages de Schtroumpfs macrobiotiques qu’ils avaient été pris de profonde mélancolique. Non, toujours pas de faute de frappe, c’est féroce, la phénylalanine, je vous dis. Avis aux amateurs : le maître confiseur a annoncé Tic-Tac 2 pour 2015.

J’en viens à mon propos. Rares ont été les films qui, le rideau tombé, m’ont fait sortir de la salle de cinéma avec cette nostalgie immédiate de l’aventure écoulée. Cette brutale réadaptation de l’esprit à la réalité, à la place de parking qu’il faut rejoindre, au boulot qui reprend demain. Ce troublant sentiment de décalage, et ce dévorant regret : pourquoi, moi, ne suis-je pas foutredieu d’ultime ? Par quel maléfice des héros imaginaires, d’une histoire inventée, parviennent à me faire sentir sacrément nazebroque, l’espace de cinq minutes ? Je me sais résistant à l’hypnose douceâtre de la fiction. Ainsi, je sais reconnaître la valeur d’une œuvre qui a su chatouiller ce nerf. Et ma bonne dame, c’est pas un Tic-Tac qui va me provoquer ça. En revanche, Django Unchained, le dernier Tarantino, est une de ces œuvres.

Ici, il semble opportun de rappeler le cadre du film. Nous sommes en 1858, dans la période la plus lugubre de l’histoire des Etats-Unis. A l’ouest, peu de nouveau : c’est le temps des cartouchières et des éperons. Au Sud profond, par contre, c’est l’ignominie esclavagiste qui règne. Oui, c’est dans ce temps où les Noirs étaient moins que des biens meubles que Tarantino a posé ses sardines.

… Euh, ouaaaaiiis… Tarantino ! Le faiseur de rêves et de délires, est de retour… Mais au cœur de la foutue traite négrière. Comment peut-il espérer manipuler une seule seconde cette nitroglycérine historique ? Avec ce pays qui n’a pas cicatrisé ? Rire ou souffrir, il faut choisir…

“I’m not camping, you’re camping. Well, just mute me, faggot.”

Allons donc. Le maestro, qui n’aime pas qu’on lui dise ce qu’il doit faire, choisit une troisième option. Il suscitera alternativement les deux, pendant 2H45. Avec sa maestria. Mais attention, pas celle qui lui fait tourner les massacres parmi les plus esthétiques du septième art (Kill Bill) ou qui fait marmotter à Brad Pitt un italien de chaussette (Inglourious Basterds). Non. Si je dois soutenir une opinion controversée dans cette critique, c’est bien la spécificité de ce dernier rejeton – et oui, je sais, je vous avais déjà fait le coup il y a quatre ans. Non, ce n’est pas le retour des Bâtards dans un Vichy d’outre-Atlantique. Ce n’est pas non plus sur ces fringants destriers qu’on discutera de la manière qu’ont les Français de préparer le gibier. Et pourtant, Tarantino n’a jamais été aussi Tarantino.

Lumière et PAF dans ta face, en rouge et gras sur toute la longueur du 16/9 : QUENTIN TARANTINO. PAF – DJANGO UNCHAINED. Oui, non, il n’est pas question de faire une de ces entrées en matière mystérieuses à la musique veloutée pour assaisonner une ambiance hésitante. D’ailleurs, depuis quelques secondes, un ersatz vocal d’Elvis hurle le thème de l’aventure, diabolique earworm qui ne quittera plus vos oreilles, tout comme une bonne partie de la bande-originale au demeurant (James Brown, 2Pac, anyone ?). Et il vous spoile le scénario, le margoulin, en plus, mais vous êtes trop concentré et francophone pour y faire attention. La caméra décrit des zooms et dézooms délicieusement désuets, tout comme Sergio Leone l’affectionnait. Mais le mal de mer ne vient pas de là. Django (Jamie Foxx), encore enchaîné, traîne sa carcasse avec une demi-douzaine d’autres esclaves, sous les coups de fouet sadiques d’un propriétaire bouseux. C’est ce tableau que va venir troubler le Dr. King Schultz, joué par l’encore une fois merveilleux Christoph Waltz. Après les Basterds, on retrouve donc l’acteur allemand le plus en vue d’Hollywood, qui endosse derechef les sapes du gentleman distingué et foudre de guerre. Cette fois, Waltz gagne un certain réajustement sur l’échelle des valeurs morales, et passe de chasseur de Juifs à chasseur de primes. C’est à son tour d’aller à rebours de l’histoire, de dézinguer les criminels, de démanteler l’esclavage de l’intérieur. Ce qu’on pressentait se vérifie : son personnage va encore une fois être ce quasar supermassif qui va attirer toute l’attention et la sympathie du public. Si au dernier film, il y avait ce côté nazi qui empêchait la complète connexion charismatique, tout fout le camp cette fois. A chaque plan, c’est la réplique pittoresque, la tactique imprévisible pour se débarrasser des gênants et avancer. Chaque scène avec Schultz se dévore comme une dragée surprise de Bertie Crochue. Nous avons bien là la nouvelle mascotte de Tarantino. Tout comme le grand marionnettiste avait autrefois chouchouté la quelque peu moyenne Uma Thurman, il a encore bichonné ce rôle, lui a donné les idées géniales, les actes de bravoure et cette parfaite maîtrise de l’étiquette en face d’un canon scié chargé. C’est le vrai premier rôle de ce script. Mais pensez-y, on n’allait tout de même pas intituler le film Shultz Unchainer.

Schultz acquiert Django pour l’affranchir presqu’aussitôt, et lui propose un échange de bons procédés. Il s’agira de travailler à deux « sur le terrain », puis de partir ensemble à la recherche de l’épouse de Django, Broomhilda, que ce dernier sait prisonnière dans une plantation. Et Schultz de tracer une analogie avec la mythologie germanique, et de se sentir obligé en tant qu’Allemand « d’aider un Siegfried » – le héros du mythe en question – « quand il en croise un ». Me trompe-je, le sous-jacent historico-symbolique fleure bon la page Wikipédia chez un Tarantino qu’on sait viscéralement cinéphile mais peut-être pas féru de cosmogonie nordique. Pour autant, nous rejoignons ici un trait de l’auteur qui me tient particulièrement à cœur et dont je vous avais déjà fait part auparavant : cette sincère, parfois candide europhilie, qui honore une finesse remarquable face à la machine à stéréotypes débilitante du cinéma étatsunien. Dans Inglourious Basterds, a-t-on vu les Français dépeints en « cheese-eating surrender monkeys » ? Non, nous avons vu les destinées croisées de résistants acharnés. Dans Django Unchained, l’Allemand est-il ce farfelu Fritz qui bute sur toutes les consonnes et atteste d’un goût pour l’ordre et l’autorité ? Non, nous avons une intéressante réinvention du cow-boy dans un immigrant assimilé, lustré, qui confesse certes un penchant pour une bière bien méritée quand il a un moment. Une petite chope sur fond de fusillade qui permet à la fois d’ancrer le personnage et de renouer avec le comique de situation tarantinien. Le storyboard s’apparente à des pages de comics. Le réalisateur nous fait rire avec le silence, avec de simples coupures brutales, du plan imprégné de quiétude au tableau surchargé de centaines de péquenauds armés jusqu’aux dents. Et puis il nous cite Dumas. Vous voudriez vraiment prendre un café avec ce gars.

Django Unchained (my heart)

“Et bien, ces montagnes me semblent idéales pour 4-5 mois de level grinding et de dépeçage de grizzlys.”

De telles descriptions pourraient faire passer le film pour grand-guignol. Mais nous sommes ici en présence d’un effort de 165 minutes, pour une fois dépouillé des chapitres si chers à la narration de l’auteur, qui va en réalité nous plonger au cœur d’une extrême noirceur. C’est parfois même un peu long… N’est-ce pas aussi parce qu’on souffre avec les protagonistes ? Si Inglourious Basterds privilégiait un esprit festif et fantaisiste, nous affrontons ici l’atmosphère la plus aride, éprouvante et dégueulasse de toute la filmographie du créateur. Il y a bien la technique, la couleur, et même la musique d’Ennio Morricone, mais trop d’attention a été portée aux innombrables souffrances que générait chaque jour le système esclavagiste pour qu’on se contente de qualifier l’œuvre de « western-spaghetti ». On compte quelques scènes superlativement choquantes, même pour les standards du scénariste, où la violence est pourtant bien souvent suggérée. Ce n’est que lorsque le sang se remet à gicler dans de grandes gerbes grotesques à la John Rambo que le public a droit à relâcher la pression et replonger sa main dans le seau de pop-corn. Le spectateur est si engagé dans les rails de l’intrigue qu’à partir du milieu du film, il est poussé à éprouver une certaine schizophrénie. Il rit encore quand la monstruosité se fait jour, et demeure figé lorsque qu’il pourrait pouffer un bon coup. A part cette scène conventionnellement potache où l’on voit les membres du Ku-Klux-Klan s’empêtrer dans leurs cagoules, le rire n’est plus vraiment fléché. Le drôle se mêle au relâchement nerveux, et le spectateur se turlupine : est-ce bien moral de rire de ça ? On crève tous les plafonds. Littéralement, nous avons affaire à un vrai film de taré.

Une fois n’est pas coutume, le scénario n’est jamais bien retors, mais se délaie au bon rythme. La haine et la vengeance suintent à chaque seconde. Autre plafond crevé : bientôt entre en scène le grand propriétaire Di Caprio, fascinant, chamboulé, habité par le rôle. A l’époque, son archétype incarnait la réussite made in USA : « civilisateur », dompteur de territoires, gérant en bon père de famille son immense patrimoine et disposant comme bon lui semble de ses pléthoriques « moricauds ». Foutre, est-ce bien lui que nous voyons commettre ces forfaits, tenir ces propos, échafauder ces plans pervers ? Gardons-nous bien de réduire l’acteur à ses quelques rôles héroïques, lui qui a déjà prouvé qu’il pouvait camper une large palette de fêlés. Mais… Ce type… Dès l’origine, cet homme a la forme de Di Caprio, sa diction, sa touche dandy, mais il y a autre chose qui en émane. Quelque chose d’abominable. Il est compréhensible que Di Caprio ait même fait peur à ses collègues sur le tournage. Voyez, quand il écrase ce verre et qu’il pisse le sang, c’est du snuff et de l’impro. La deuxième partie du film va placer les duettistes au creux de sa tanière, à sa table et dans le respect du protocole. Quand la promesse d’un gros capital est au bout, les manières sont irréprochables et les négociations policées. Jouez-vous de lui et gare. L’huis-clos qui s’ensuit est captivant et déploie même les plus belles ressources de l’œuvre. Dès que Tarantino s’attable à des dialogues dignes de ce nom, ça ne loupe jamais. C’est un talent inouï. La facilité d’écriture sans les facilités d’écriture.

Evil

Dialectique éthylique.

Les clins d’œil, comme d’habitude, sont légion. Malgré quelques anachronismes, les allusions à l’histoire des civilisations occidentales raviront les normaliens, et le public averti vibrera au perpétuel hommage au genre série-B de Tarantino, qui en fin de compte, ne sait rien faire d’autre. Mais quelle série-B !  La culture cinéphilique me manque pour identifier le principal clin d’œil, une référence générale à Django, un western italien de 1966. Django Unchained s’insérerait d’ailleurs dans la lignée des « aventures » du même macro-personnage, toujours métis, tour à tour hispano ou noir. Certes, les films de la saga ne sont pas tous aussi illustres les uns que les autres, mais l’on distingue une constante : Django rime avec chaos. Il oscille de la petite crapule au chevalier bl… Enfin, noir des opprimés, prêt à dynamiter l’ordre social, même si le point de mire demeure ses intérêts. Puis l’on s’entortille dans l’autoréférence. L’auteur déambule dans le panthéon de ses œuvres, en caresse l’une dans le sens du poil, puis en subvertit l’autre. Jamie Foxx devient le nouvel acteur Noir trop stylé à qui la pétarade classieuse va comme un gant. La lutte entre générations devient curieusement « méta » lorsqu’on le voit s’opposer à l’esclave de luxe joué par Samuel L. Jackson, prosterné devant son maître. De l’eau a coulé sous les ponts, et du dingue de la gâchette qui psalmodiait la Bible dans Pulp Fiction, il ne reste que les yeux exorbités. Pourtant, entre ces trois touffes blanches, toujours cette vilenie, cette fois au service de l’ordre et de la soumission.

Evidemment, ces quelques lignes ne peuvent pas rendre pleinement compte de la richesse du film et de son caractère exceptionnel. Alors, Django Unchained n’est pas exempt de reproche et trahit un certain simplisme répétitif dans les schémas de narration de Tarantino : la moissonneuse sanglante de la vengeance reprend du service, avec son invincibilité contractuelle passagère et ses gros inserts rageurs. La lutte est manichéenne bien que les individus s’étalonnent en nuances de gris. Le défouloir est de retour : mettre une volée à l’esclavage comme on l’a mise à la Shoah, applaudir quand un salaud reçoit la monnaie de sa pièce, envier ces héros d’une vaillance dont les acteurs de l’Histoire n’ont pas fait preuve. Pourtant, ce dernier bébé est ce qui se rapproche le plus d’une fresque dans l’œuvre du cinéaste au menton polygonal. Mieux encore, quatre ans après le premier Président des Etats-Unis noir, le film est peut-être symptomatique d’une Amérique qui examine enfin impartialement son passé et entrevoit toutes les couleurs de l’égalité et du droit à l’indifférence. Voilà pourquoi les violentes saillies d’un réalisateur en mal de rebond qui s’échine à compter les occurrences du mot « nigger » dans le film passent à côté de l’essentiel.  Quand bien même on n’aurait pas la bêtise de clamer qu’on efface deux siècles de racisme institutionnalisé avec une caméra argentique, on aime être témoin de ce regard nouveau. Parce qu’en fin de compte, la tragi-comédie est le registre narratif de l’existence humaine. Et quand la tragi-comédie se risque à poser un pied dans les tréfonds sordides de l’Histoire, c’est la vie qui y reprend quelques droits. J’en ai terminé, monsieur le procureur.

Django Unchained (my heart)

“Moi, j’suis dans l’poulet frit. Et ben je vois que je poulet frit c’est un bordel !”


© Alex pour OmniZine - L'omni-webzine des omnivores de la culture, des sports et de la geekitude !, 2013. | Permalien | Un commentaire


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