Ces chroniques hebdomadaires ont débuté sur un autre blog voici 300 semaines. A l'issue d'une première agitation victorieuse de l'autre Sarkozy devenu monarque, nous étions épuisés, étourdis, effarés.
L'homme de Neuilly avait gagné, et Sarkofrance fêtait tristement sa première bougie. Il fallut attendre 260 autres semaines pour enterrer la chose, et passer à une autre. En trois cent chroniques de la sorte, le blogueur politique s'interroge et constate.
S'attacher à la symbolique du nombre rond permet de fixer la pensée et quelques constats. Trois cent semaines plus tard, nous essayons d'écrire d'autres lignes, plus incertaines, plus tranquilles, plus ambivalentes. Nul besoin de chercher loin pour trouver la critique. Soutenir Hollande est facilement plus difficile qu'attaquer Sarkozy dans ses premières semaines.
Pour cette trois-centième semaine couchée par écrit 2.0, il est facile de constater combien le débat politique s'est normalisé à l'excès autour de trois axes: l'insatisfaction permanente, l'incapacité hystérique, et le raccourcissement de la pensée.
Trois cent semaines après ce 6 mai 2007, rien ne change, mais tout a changé.
Insatisfaction permanente
Nicolas Sarkozy a 58 ans, mais il ne sait plus faire un discours. Il parle souvent, richement payé pour cela. Il a un fond à un milliard d'euros à constituer. Cette fois-ci, à Genève, pour un dîner de gala de collecte de fonds, il a livré ses leçons... sous les huées.
A l'inverse, François Hollande nous repose. Il ne clive plus. Il ne lance aucun oukaze contre qui que ce soit. Il sourit plus qu'il ne dénonce. Il écoute plus qu'il n'accuse. La moindre des politesses démocratiques seraient de laisser davantage de place à l'intelligence du débat.
Il est parti au Mali. François Hollande semble vouloir rapidement clore une séquence militaire française. Le 11 janvier dernier, l'intervention avait été rapidement décidée pour stopper net une offensive islamiste vers le Sud du pays. Passée une quasi-unanimité de quelques heures, l'opposition de gauche comme de droite se jeta sur l'affaire: l'opération était trop forte, trop tardive, trop floue, trop incertaine, trop intéressée, trop coloniale. Aucune - soulignons le terme - aucune de ces critiques nationales ne reposaient sur un plan alternatif et censé.
Bizarrement, ils étaient (presque) tous d'accord pour faire barrage à l'établissement toujours trop durable d'un Etat islamiste. Bizarremment, au Mali comme hier en Libye, les locaux étaient heureux de cette libération.
Rien ne change, mais tout a changé.
Jeudi, des fonctionnaires manifestent. Hollande n'a rien fait de mal
mais pas suffisamment de bien. La suppression de la suppression systématique d'un départ à la retraite sur deux n'est plus noté. Hollande recrute 40.000 enseignants, mais avait promis la stabilité générale des effectifs. En 9 mois, la planète France n'a pas suffisamment
changé pour ces récalcitrants. Et les habituels éditocrates raillent ces
fonctions protégées. Mais oser donc critiquer l'incongruité de ces
cortèges, nombreux mais maigrichons, et vous serez raillés à votre tour.
Ces fonctionnaires manifestent en prévention d'un cycle de négociation
salariale, et, pour certains, par déception.
Incapacité hystérique
Ils s'étaient déplacés en masse, moins nombreuse que ces effectifs mobilisés de toute la France pour un cortège au Champs de Mars. Mais ils étaient motivés et heureux, ces supporteurs de la loi pour le mariage pour tous. Samedi puis dimanche, les cortèges sont variés. Justement, le texte est enfin étudié à l'Assemblée. Christiane Taubira (Justice) et Dominique Bertinotti (Famille) livrent des discours qui feront datent.
Le mariage pour tous à l'Assemblée, c'est de la bombe. Plus de 5.000 amendements UMP/FN/UDI pour faire durer le plaisir : du grotesque (abolition du mariage) et de l'odieux (légalisation de l'inceste ou de la polygamie).
L'UMP se saisit aussi de l'occasion pour brandir une circulaire du ministère de la première enjoignant les greffiers en chef de régulariser les enfants nés d'un parent français mais par gestation pour autrui hors de France. Le nombre de cas est totalement marginal (une dizaine par an), la circulaire traine sur les bureaux d'une quarantaine de députés UMP depuis deux semaines déjà, et même Hollande confie par écrit combien il est opposé à la GPA en général, mais il fallait faire le scandale pour justifier tous les amalgames.
Jeudi, l'opposant Henri Guaino déroule un discours qu'il voulait grand. Une "psychanalyse à la tribune de l'Assemblée" commenta le Twittos Maître Eolas. L'ancien conseiller inutilement spécial de l'ancien monarque, fait référence à ses "deux femmes qui l'ont élevées", sa grand-mère et sa mère, pour fustiger l'afflux de faux mariages avec des immigrés clandestins que la légalisation du mariage gay favoriserait. Quelle ignominie ! D'autres députés, UMP ou frontistes, lancent des milliers d'amendements.
La même UMP, peu avare en contradictions, dénonce la diversion de cette opération législative. Si diversion elle était, pourquoi donc ralentir son adoption avec quelque 5.300 amendements ? Même à gauche, certains s'agacent de que cette promesse présidentielle-là soit enfin adoptée.
En 1982 déjà, une majorité des députés de droite votait contre la dépénalisation de l'homosexualité.
Rien ne change, mais tout a changé.
Raccourcissement de la pensée.
Rien n'a changé, et tout a changé. L'actualité s'excite sur l'achat d'un nouvel éphèbe pour le PSG par ses propriétaires quataris, David Beckham. Une étude, conduite en Languedoc Roussillon, mesure combien la précarité favorise le diabète chez les jeunes... Pas un mot chez nos médias préférés.
La précarité est partout. Mais rarement chez nos éditocrates.
Le Forum de Davos se termine sur une note d'espoir... pour ces Grands qui nous gouvernent. Banquiers, patrons et chefs d'Etats (riches) se réjouissent que la planète finances n'ait pas sombré. C'est une information, une vraie. Mais la véritable gageure eut été de relever combien le monde n'avait pas changé, sauf en pire. Pauvreté, crise, inflation, corruption... Tout va bien à Davos, mais ailleurs ?
Il faut un plan social pour marquer les esprits. Goodyear annonce la fermeture du site d'Amiens, 1.700 emplois menacés, Jean-Michel Aphatie sur RTL est ravi. Il peut tacler un responsable CGT pour obstruction à la nécessaire flexibilité. Le chômage est massif mais inéquitable. Il en frappe certain(e)s plus d'autres. Mais on en reste aux grands concepts, flexibilité contre embauche...
Des parlementaires s'étripent à nouveau sur l'exploitation du gaz de schiste. Une commission sénatoriale vient de décider d'évaluer d'autres techniques d'extraction. L'écologiste Jean-Vincent Placé s'énerve. C'est une ligne rouge à ne pas franchir... Sans doute... Mais pourquoi ne pas s'arrêter plus longuement, à l'instar de Mediapart, sur le mal-logement qui frappe aussi les campagnes ? Un mal logement dont la Fondation Abbé Pierre dénonce encore l'aggravation : 3,6 millions de mal-logés, et encore 5 millions de situations fragiles.... Rien que ça.
Ah... le sujet n'est ni sexy, ni vendeur.
Rien ne change mais tout a changé.