L'affaire Google montre une volonté de la presse d'obtenir de l'argent par le pouvoir, plutôt que de chercher à vendre un bon produit.
Par Vladimir Vodarevski.

La démarche d'abord est contestable : les éditeurs de presse ont demandé une rémunération à une société qui leur apporte de l'audience ! Et le pouvoir les a soutenu dans cette démarche.
Cette démarche pose la question du modèle économique de la presse. Celle-ci bénéficie de subventions, d'une taxation réduite. Les journalistes ont leur niche fiscale. L’État et les collectivités locales font de la publicité aussi dans la presse. Aujourd'hui, l’État a signé un accord par lequel Google va apporter 60 millions d'euros à un fonds pour apporter des soutiens à la transition numérique, à des investissements, à des innovations, selon les termes un peu flous de la déclaration de l’Élysée.
La presse dépend donc beaucoup du pouvoir politique. Ce qui pose bien entendu la question de son indépendance vis-à-vis du politique. Mais, surtout, elle ne cherche pas à sortir de cette dépendance. Cette affaire Google montre une volonté d'obtenir de l'argent par le pouvoir, plutôt que de chercher à vendre un bon produit, plutôt que de créer de la valeur.
La presse vit une profonde transformation. Internet lui a fait perdre son rôle d'intermédiaire obligatoire. Aujourd'hui, chacun peut aller chercher directement l'information auparavant relayée par les journaux. Les statistiques proviennent de l'INSEE, ou des ministères. Les syndicats, les entreprises, communiquent sur internet. Beaucoup d'articles des journaux proviennent de ce type de sources. Ou ce sont des dépêches d'agence à peine réécrites, semblables d'un titre à un autre.
Il ne coûte pas cher finalement de faire un site reprenant ces informations, ainsi qu'un fil d'agence de presse. Sans passer par l'impression et la distribution de journaux papier.
Les journaux « historiques » ont une bonne audience d'ailleurs sur internet. Mais ils ont encore des coûts de structure importants, que l'internet ne permet pas d'amortir. La problématique serait donc de créer de la valeur, pour inciter le public à payer.
Mais sur le plan de la qualité également internet est cruel : il met en exergue le manque d'analyse, de profondeur des articles de la presse. En effet, à travers des sites dans le monde entier, il est possible de trouver, gratuitement, des analyses plus sérieuses que celle des journaux. Surtout, il est possible de trouver différents avis, différents points de vue.
Le plus souvent, les journaux ne sont que la caisse de résonance de l'opinion dominante. C'est flagrant par exemple en économie. Le grand public sait-il que les agences de notation, si décriées, ont été imposées par la réglementation ? Le grand public sait-il que le secteur financier est l'un des plus régulé au monde ?
Pourtant, dans un monde complexe, il y a une demande que la presse pourrait combler. Il faut reconnaître des essais. Le magazine XXI a adopté une toute autre approche. Il peut y en avoir d'autres. La presse a des talents. Et elle a une image de marque encore reconnue. Elle peut rebondir. Et je le souhaite.
L'accord avec Google laisse une impression mitigée également en ce qu'il renforce le moteur de recherche finalement. En effet, en finançant un fonds, Google sera en première ligne de l'adaptation au numérique des journaux. Il pourra pousser ses solutions, sa technologie. Dans le quotidien Les Echos, un porte-parole de Google parle d'un partenariat commercial d'ailleurs. Cela ne rendra pas la presse plus indépendante, de Google en particulier. Et notamment en matière de financement, puisque cela va favoriser Google dans son rôle de régie publicitaire internet.
Il ne s'agit pas ici de participer à une entreprise de diabolisation de Google, en disant qu'il faut éviter sa régie. Il s'agit de souligner qu'en cherchant à obtenir des subventions de la part du moteur de recherche, les éditeurs de presse renforcent ce dernier. Ce qui est logique d'ailleurs : quand on demande de l'argent à quelqu'un, ce dernier attend quelque chose en retour. Alors, quand cet accord est présenté comme une victoire de la presse, on peut être dubitatif. N'est-ce pas plutôt une victoire de Google ?
Je fais partie de ceux qui aiment lire la presse. Je suis un bon client des revues d'économie. Malheureusement, j'ai déjà abandonné la lecture de l'une d'entre elles, car la matière diminuait, alors que le prix augmentait. Et je ne renouvellerai sans doute pas mon abonnement à une autre. J'en verserai plutôt le montant à un site web, comme l'Institut Coppet ou Contrepoints, qui m'offrent ce que je ne trouve plus dans la presse. Ces sites représentent peut-être l'avenir, finalement.
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Sur le web.