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"Maculée conception" de Mélanie Chappuis

Publié le 03 février 2013 par Francisrichard @francisrichard

Pour un catholique - ce que je suis - Marie est Vierge, Sainte, Mère de Dieu, Immaculée Conception.

La plupart des contemporains, qui n'ont pas ou peu reçu d'instruction religieuse, voire qui ont reçu une instruction antireligieuse, se méprennent sur le sens de cette dernière expression. Elle signifie tout simplement que Marie a été conçue sans péchés, qu'elle a échappé au péché originel.

Maryam, le personnage du livre de Mélanie Chappuis, n'a donc rien à voir, ou si peu, avec Marie des catholiques. Il faut donc le considérer comme un personnage de fiction, un personnage de roman, issu de l'imagination fertile de son auteur, qui ne s'embarrasse pas trop de ce que disent les écritures, s'il restitue l'époque magnifiquement. 

Ainsi Maryam est-elle une jeune femme de dix-sept ans, enceinte des oeuvres d'un jeune homme de deux ans plus âgé qu'elle, un certain Barabas, jeune symbole de la résistance contre les Romains, qui croupit dans les geôles du roi Hérode.

Seule concession du livre au surnaturel l'ange annonce à Marie que son fils sera le Sauveur et intime à Joseph, un homme plus âgé, un veuf qui a des enfants d'un autre lit, d'accepter de la prendre pour épouse, afin qu'elle puisse échapper à l'opprobre d'être fille-mère, puisque Barabas est maintenant emprisonné.

Le massacre des innocents n'est pas ordonné parce que Yechoua est un roi potentiel mais parce qu'il est le rejeton de Barabas... Maryam fuit seule en Egypte avec lui. Depuis sa naissance elle aimerait bien le garder pour elle seule et retarder le plus possible - au moins trente ans - le moment où il se vouera aux autres:

"A Dieu j'ai demandé un fils qui m'aide à changer le regard des hommes. Je voulais un fils pour l'humanité. Pas pour moi. Comme tu le vois, ça a changé avec sa naissance." dit-elle à Ruth, une amie.

En Egypte Maryam grandit en réflexion auprès de thérapeutes, retrouve Barabas de manière éphémère, se croit obligée de soigner et de sauver des petits enfants pour racheter le sacrifice de tous les petits qui sont morts pour que vive le sien. Elle ne retourne à Nazareth qu'après la mort d'Hérode.

Joseph meurt, tué par un mercenaire. Charpentier il a refusé de fabriquer des croix pour les suppliciés. Yechoua a douze ans. Maryam fait avec lui le pèlerinage de Jérusalem, le perd de vue, s'inquiète comme toutes les mères, le retrouve au temple au milieu des savants.

Plus tard Yechoua épouse Leila, qui meurt avant de lui avoir donné une descendance. Il commence alors sa vie publique qui le conduira à mourir sur la croix, au pied de laquelle se trouveront enfin réunis Maryam et Barabas, qui renonce à l'orgueil, à la rage, à la violence pour libérer le peuple juif.

Dans ce livre Mélanie Chappuis ne cherche pas à choquer ni à "remettre sérieusement en cause les dogmes catholiques". Elle cherche à se réconcilier avec elle-même:

"J'avais le sentiment qu'être mère et aimer l'être, c'était insulter les femmes qui se sont battues pour l'égalité."

Alors plutôt que d'avoir recours à l'autofiction, comme dans ses deux romans précédents, elle a eu le besoin impérieux de revisiter l'histoire d'une femme exceptionnelle qu'elle a créée à sa ressemblance, émouvante comme elle, pour se justifier:

"J'ai voulu incarner Marie, l'affranchir de son statut de sainte, pour imaginer, avec un regard contemporain que je revendique intemporel, quelle a pu être sa vie."

Mélanie Chappuis a voulu "illustrer l'amour d'une mère pour son enfant dans ce qu'il a de plus perturbant, de plus déséquilibrant, mais aussi de plus beau et émancipant":

"C'est le récit d'une conception maculée de désir, de plaisir. Et celui d'un amour fou, animal, pour l'enfant né de cette conception. Un amour qui va se raisonner au fur et à mesure que se vit sa maternité. Jusqu'à donner le meilleur d'une femme, d'une mère, et de son enfant."

En quelque sorte, pour être en mesure de l'incarner et de lui prêter ses pensées, Mélanie a voulu faire descendre Marie de son piédestal pour la lui rendre plus accessible et plus imitable. Mais, ce faisant, elle a pris un gros risque, celui d'être incomprise... voire de scandaliser.

Francis Richard

Maculée conception, Mélanie Chappuis, 224 pages, Editions Luce Wilquin (à paraître le 11 février 2013)


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