Parfois un jean de fille ça peut donner ça.
Je m’intéresse de prés au jean depuis quelques temps maintenant. Je suis loin de faire partie de la communauté des denimheads, ces types qui passent leur vie sur des forums à débattre de la provenance d’un coton, mais j’éprouve toujours un sentiment particulier quand je tombe sur une pièce qui a bien vieilli ou lorsque j’enfile un de mes jeans favoris. Un mélange de fétichisme et d’admiration face à la beauté, l’histoire et le mystère qui s’en dégagent. A cet instant précis, vous vous dîtes que je suis bon pour un aller simple à l’hôpital psy chez Marchant mais je n’argumenterai pas pour défendre mon cas, des gens bien plus qualifiés que moi et d’excellents documentaires ont déjà plaidé ma cause avec talent.
Une cause qui concerne d’ailleurs de plus en plus d’hommes aujourd’hui car même si je déteste profondément la marque APC, je dois reconnaître que leur collection de jeans particulièrement réussie est en partie responsable de l’intérêt grandissant que porte la gente masculine depuis quelque temps auprès du denim. Il est de moins en moins rare de croiser aujourd’hui des types qui portent de superbes reproductions de 501 de l’époque signées Levi’s Vintage Clothing, qui ont entendu parler de la marque jap Momotaro ou qui rêvent de se payer un jean sorti tout droit de la boutique Self Edge.
Si j’aime parler chiffons avec des filles autant qu’avec des garçons, je n’ai jamais compris pourquoi celles-ci négligeaient autant cette pièce culte et incontournable. Pourquoi continuent-elles pour la plupart à porter ces épais collants bleus délavés à la pierre ponce que des marques peu scrupuleuses nommées Z&V ou Acne (pour ne citer qu’elles pour l’instant) leur font payer une fortune ?
Moi – Mais c’est pas un jean ça ! (Déballage d’arguments techniques).
Elles – Ah bon ? Et qu’est-ce que tu proposes alors toi ?
Moi – …
Ou aussi ça.
Effectivement, la discussion a vite tourné court ce jour-là. Car si j’ai la critique facile contre la shoppeuse, je ne peux pas tellement lui en vouloir d’avoir tourné le dos au jean vu l’offre si faible qui se présente à elle dans ce secteur. Je quitte la terrasse de ce bar le teint un peu rougi en me promettant de trouver une solution.
Historiquement, le jean est un truc de mecs. Il suffit d’aller fouiller dans les archives de Levi’s pour s’apercevoir qu’ils n’ont jamais sorti un modèle féminin avant la fin des années 30, loi de l’offre et la demande oblige, les femmes n’avaient pas le droit d’en porter auparavant. C’est seulement en 1937 que Levi’s sort son premier modèle féminin, le 701 « Lady Levi’s ». Il est conçu pour devenir le 501 de la femme mais il ne remporte pas un grand succès à une époque où il était mieux vu de continuer de porter sa jupe qui tombait juste sous le genou.
Poupoupidou
Quinze ans plus tard, une jolie blonde nommée Marylin Monroe et qui portera plus tard une veste Lee Storm Rider dans The Misfits, s’offre un 701 et décide de le customiser. Levi’s profite à l’époque du succès de l’actrice en sortant le modèle version « Marilyn ». Dans le mille, les filles en raffolent. Comme quoi, le phénomène de mode n’est pas un truc qui date de l’apparition des pages fashion des magazines mais bel et bien un comportement profondément ancré dans la conscience féminine. Car lorsqu’il est question de style, la plupart des femmes ont parfois du mal à prendre des initiatives sans l’aval des prêtresses de la mode et la prise de risques reste souvent très calculée. Pour Beatriz, responsable des ventes de Levi’s Vintage Clothing en Angleterre très calée sur la question, l’achat d’un jean en est une énorme :
« La pire chose aujourd’hui pour une fille, c’est d’essayer un jean. Elles détestent ça et essayent très peu car elles partent du principe que cela n’ira pas… Pourquoi le placard de toutes les filles est infesté de paires de chaussures ? Pour la simple et bonne raison que c’est toujours la même taille et que ça les rassure ». Plutôt facile de trouver chaussure à son pied finalement.
Tadam ! 606 heavy rain !
Après une large inspection du marché, un modèle retient particulièrement mon attention. Il existe effectivement un modèle d’une qualité irréprochable qui correspondrait aux attentes des femmes aujourd’hui et a différentes morphologies : Le 606 Heavy Rain, un modèle « high waisted » et « slim » produit par Levi’s Orange Tab dans les années 60 et ramené récemment à la vie par LVC. Il peut se porter old school pour les puristes ou un peu plus décontracté pour les autres, tout dépend aussi de la morphologie de sa propriétaire. En tout cas, il s’adapte.
J’aurais pris un plaisir tout particulier à me documenter sur l’histoire de ce jean pour me la raconter et vous la raconter mais il semblerait que les fashionistas se moquent de ce paramètre autant que des types qui leur payent des verres au bar. Un fait confirmé par Dylan, l’homologue français de Beatriz :
« Contrairement aux mecs, les femmes s’en tapent de l’histoire d’un jean, elles veulent juste que ça fit ! T’as déjà essayé de parler à ta copine de ton 501 de 1933 qui a un cinch back etc…? Elle va s’endormir… mais c’est aussi pour ça qu’on les aime ».
Effectivement, à part la clientèle de petites anglaises rockabilly, « peu de filles nous demandent de parler de l’histoire d’un jean » rajoute Beatriz.
Levi’s 606 heavy rain, côté fesse. Graou.
Je sors de mon rendez-vous avec une chose claire en tête : Une fille veut simplement que son jean la mette à son avantage, tout en restant confortable. C’est la raison pour laquelle, les marques qui fonctionnent auprès de cette exigeante clientèle n’hésitent pas à fourrer le maximum d’élasthanne dans leurs produits, cette fameuse matière qui donne du « stretch » au denim pour le rendre plus facile à porter, mais qui lorsqu’on en abuse, transforme le jean en un pathétique legging bleu. La méthode de tissage joue elle aussi un rôle capital : Quand les vieilles machines utilisées par LVC sortent un seul jean, celle chez Sandro en produisent trois ou quatre avec la même quantité de matière, la tenue de ce dernier n’a par conséquent rien à voir. Il existe un moyen simple de s’en apercevoir: Prenez un 606 d’une main et un jean banal de l’autre, la différence de poids est flagrante et pour un prix qui varie parfois du simple au double. Il faudra tout de même dépenser 180euros pour s’offrir un LVC 606, mais si le choix est une épreuve douloureuse pour l’accro au shopping, sortir son portefeuille l’est beaucoup moins quand elle a un coup de foudre, il suffit d’aller faire un tour chez Citizens of Humanity pour s’en rendre compte…
Levi’s 606 Heavy Rain, côté silhouette.
Alors tout d’un coup, j’ai envie d’y croire. Ne plus jamais voir ces torchons de basses castes collés aux cuisses des filles mais enfin du sergé de coton bien tissés, imbibé d’un bleu profond qui se délavera grâce à elles et au temps.
Décideront-elles ensuite comme moi de le protéger en le lavant seulement deux fois par an à la main en se plongeant tout habillées dans leur baignoire ? Regarderont-elles de manière obsessionnelle tous les patchs fixés au dessus des poches arrières ? Parleront-elles des différences de grammage maintenant qu’elles ont un 11oz sur les pattes ? Passeront-elles la porte d’Italie pour allez chez Repair Jeans se faire faire un ourlet au point chainette ? Commanderont-elles désormais sur Sivletto et moins chez Isabel Marrant ?
Rien n’est moins sûr, mais ces derniers détails sont loin d’être importants, juste des lubies pour les internés qui se promènent dans un grand parc chez Marchant en écoutant leur gourou inlassablement.
Son nom ? Lynn Downey, l’historienne de Levi’s Strauss. Une femme ?! Allez, je l’écoute et me tais à tout jamais.
Laurent écrit chez nous et s’occupe également de « Where is the Cool ?«