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Rue des voleurs

Publié le 04 novembre 2012 par Urobepi

Rue des voleurs

Celui qui nous a offert il y deux ans un roman fascinant mettant en scène un épisode méconnu de la vie de Michel-Ange récidive cette fois avec un livre ancré dans l’actualité la plus récente qui soit. En effet, non seulement le printemps arabe sert-il de toile de fond à cette histoire qui débute à Tanger et se termine à Barcelone mais on y trouve également une évocation de la tuerie de Toulouse qui a eu lieu en mars dernier. Sachant que le dépôt légal de Rue des voleurs date du mois d’août, on est à même d’apprécier ce qu’il y a d’exceptionnel dans cette transposition au domaine romanesque d’événements qui sont, pour ainsi dire, relatés au moment même où ils se déroulent. C’est assez rare. Pour faire mieux, il faudrait évoquer les faits avant qu’ils ne se produisent. On appellerait ça de la science-fiction…

Le personnage principal du livre, Lakhdar est un jeune Tangérois lecteur du Coran et de romans policiers. Chassé de sa famille pour avoir déshonoré sa cousine, il survit de petites rapines et obtient, grâce à son ami Bassam, un modeste emploi qui consiste à tenir un étalage de livres pour le Groupe de diffusion de la pensée coranique. Tout ce que veut Lakhdar, c’est vivre sa petite vie sans histoire à lire ses policiers de gare et à reluquer les jambes des touristes.

Son patron, le Cheick Nouredine, de même que Bassam semblent avoir des projets plus ambitieux mais également plus secrets. Ainsi, cet attentat à la bombe récent dans un café marrakchi, ne serait-il pas de leur fait? Et pourquoi ont-ils donc disparu tous les deux depuis l’événement, le laissant seul avec son comptoir de livres pieux?

Comme plusieurs, Lakhdar rêve de l’Europe. Un amour de passage, Judit, lui servira de phare dans la nuit. Il s’accrochera à son souvenir de la jolie Barcelonaise et s’efforcera d’aller la rejoindre. Seulement voilà, l’Espagne et, avec elle l’Europe entière, est également au bord du désastre. Lakhdar sera tout au long du livre notre témoin d’un monde qui court à sa perte.

Mathias Énard nous offre encore une fois ici un roman intense porté par la prose énergique dont il a fait sa marque. Certaines pages sont d’une grande puissance. On sent qu’il faut les lire comme elles ont sans doute été écrites, dans l’urgence. Un exemple:

J’ai eu faim, j’ai bouffé des fruits pourris que les maraîchers laissaient aux mendiants, j’ai dû me battre pour des pommes mâchées, puis des oranges moisies, balancer des torgnoles à des tarés en tout genre, des unijambistes, des mongoliens, une horde de crève-la-faim qui rôdaient comme moi autour du marché ; j’ai eu froid, j’ai passé des nuits trempé à l’automne, quand les orages s’abattaient sur la ville chassant les gueux sous les arcades, dans les recoins de la Médina, dans les immeubles en construction où l’on devait corrompre le gardien pour qu’il vous laisse rester au sec ;  à l’hiver, je suis parti vers le sud, sans rien y trouver d’autre que des flics qui ont fini par me rouer de coups dans un commissariat de Casablanca pour m’encourager à rentrer chez mes parents ; j’ai dégoté un camion pour Tanger, un brave type qui m’a filé la moitié de son casse-dalle et une beigne parce que je refusais de lui servir de fille et lorsque je suis passé voir Bassam, lorsque j’ai osé remettre les pieds dans le quartier, j’avais perdu Dieu sait combien de kilos, mes vêtements étaient en loque, je n’avais plus lu un livre depuis des mois et je venais d’avoir dix-huit ans. (p. 17)

Voyez ce que je veux dire par « urgence »? On ne peut pas lire ce genre de phrase lentement. On est entraîné comme par un courant trop fort. J’adore.

Et dire que je lui avait prédit le Goncourt. Au moment où j’écris ces lignes, Rue des voleurs ne fait déjà plus partie de la liste restreinte des quatre finalistes au prestigieux prix. Dommage.

En passant, l’atmosphère du livre m’a fait penser au très poignant film Biutiful avec Javier Bardem qui présente un Barcelone tout sauf touristique. À voir ou à revoir.

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ÉNARD, Mathias. Rue des voleurs.  Arles: Actes Sud, [Montréal]: Leméac, 2012, 252 p. ISBN 9782330012670

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