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Car, après avoir, peu ou prou, investi la chambre, proprement immense, dont la terrasse, en marbre vert, dominait définitivement la piscine, les parasols, alignés déjà en un protocole imaginaire, juste derrière une quasi armada de chaises longues où somnolait gentiment un monde halluciné de crèmes solaires et de bikinis échancrés, de plongeons dans l’eau claire et de rêves paresseux, oui, après avoir à peine défaits, déballés, désossés, nos valises et nos sacs, oui, puis nous être, oui, vaguement divertis du ronronnement rassurant de la climatisation, de l’extravagance crasse du lit presque princier, oui, après nous être lovés dans de ridicules fauteuils en rotin, un verre de soda dans une main, les vestiges de quelque journal amarrés sur nos genoux rieurs, oui, après nous être un peu taquinés, Jade et moi, nous débarrassant vite fait, elle de son boléro fleuri, et moi de ma chemise Hawaï, oui, nous avions enfin, et solennellement, décrété la trêve estivale, à savoir une parenthèse, déclarée sacrée entre nous, dans la guerre à peine larvée que nous parvenions à mener, oui, l’un contre l’autre, depuis des lustres, mon Dieu, oui, des mois, oui, si ce n’est davantage. Sauf que, précisément, à vouloir apprivoiser la terrasse, les cocktails de légumes, les parasols alignés en un ordre toujours aussi impeccable, la tiède température de l’eau javellisée, les regards faussement espiègles d’une troupe endimanchée de touristes, les réglages infinis de la climatisation chaotique, les ricanements et pouffements adolescents (ceux des deux sirènes qui logeaient, opportunément, dans la chambre, au premier étage, qui répondait à la nôtre, et semblaient, accessoirement, prendre un malin plaisir à se risquer à demi nues dans l’entrebâillement pervers de la fenêtre principale), les horribles plateaux-repas à déposer nauséabonds dans l’enfer du vestibule, les menus hâtifs déclinés en toutes sortes de langues plus ou moins fantaisistes, la climatisation syncopée au beau milieu de la nuit (et durant le jour aussi), les moqueries carabinées et joyeusement effrontées en provenance express d’une des tables situées derrière nous (à propos, bien sûr, des garces du premier), nous nous étions, Jade et moi, rapidement retrouvé un peu perdus, perplexes, anéantis, effondrés, à savoir sans plus aucun motif d’exaltation ou d’exaspération, sans plus aucun autre tourment, brusquement plus aucun autre sujet d’inquiétude que celui, tout de même, de ces mystérieux appels téléphoniques, émanant, mystérieusement, de notre Frédéric Lemercier national, lequel semblait, tout aussi mystérieusement, s’impatienter de nous voir rentrer illico à Paris, et régulièrement me rappelait à l’ordre, me prévenait, me conjurait, m’avisait, m’assurait, m’interpellait, m’alertait, me suppliait lit-té-ra-le-ment, avec force chevrotements dans la voix, de me défier ouvertement des courtoisies mielleuses, et presque comiques, du fonctionnaire marocain que le ministère des transports m’avait explicitement dépêché en espérant naïvement me neutraliser et que nous finissions, Jade et moi, par presque trouver sympathique, et charmant, et de commerce au demeurant fort agréable, au point de lui proposer, dorénavant, de partager en toute simplicité la plupart de nos repas, nous attardant parfois, même, plus que de raison sans doute, dans la transparence assoupie du bord de la piscine, accompagnant de propos insipides et enjoués, et même drôles, et vaguement spirituels, la nuit qui lentement s’interposait tandis que l’une des deux folles dingues du premier s’invitait sans vergogne et se permettait de nous adresser directement la parole quand je m’aventurais, enhardi par beaucoup trop de daiquiris, de rhums cocas, ou de scotch nature, à lui poser franchement de bien stupides questions dont les réponses, au fond, m’importaient peu. Ou si peu…