Depuis mardi après-midi, une photographie de l’AFP fait le buzz sur les réseaux sociaux, et l’unanimité chez les défenseurs du mariage pour tous, qui voient déjà en elle un des symboles du débat politique qui va s’ouvrir.
© Gérard Julien (@ggjulien) – AFP
Sa viralité (l’auteur de ces lignes l’a vu être reprise sur 40 comptes Facebook, en trois heures, à partir du sien) est questionnante. Pourquoi rencontre-t-elle un tel succès, l’AFP parlant même de plus de 1500 retweets en quelques heures ?
1590 retweet pour la photo de #AFP @ggjulien tweetée par @pppaulppp 2 femmes sembrassent/manif anti-mariage pour tous twitter.com/sarnaudAFP/sta…
— Stéphane Arnaud (@sarnaudAFP) Octobre 23, 2012
Tout d’abord, le cadrage et la mise au point de la photo sur les deux jeunes femmes enlacées – rejetant les opposants au mariage pour tous dans le flou du second plan – tend à en faire les « héroïnes » de cette histoire graphique. Deux individualités courageuses opposées à la masse indistincte des manifestants. Héroïnes d’autant plus consensuelles que toutes et tous peuvent s’y identifier, spectateurs homosexuels bien entendu, mais hétérosexuels tout autant, les deux jeunes femmes correspondant aux canons attendus des normes hétérosexuelles (elles ont les cheveux longs).
Ce cliché, ensuite, fait fonctionner un ressort simple et efficace : celui de l’opposition entre émotion et raison, entre force de l’image et complexité du slogan. Les manifestants brandissent des pancartes et portent des revendications qui ne peuvent réellement exister, ni faire sens, dans l’instantanéité de la photographie. A ces motivations complexes et au registre du débat, les deux jeunes femmes opposent la simplicité immédiate de la représentation du désir : le baiser, l’étreinte. Elles introduisent, en même temps, de la vie et du naturel dans le rituel de la manifestation politique. D’un côté, des militants en position figée, tracts à la main ; de l’autre, deux girls next door exhibant sac à main et blouson de cuir. Le mécanique contre le vivant, qui l’emporte à l’applaudimètre ?
Dernier élément incitant sans doute l’observateur à prendre parti pour les deux jeunes femmes, la subversion qu’elles réinjectent soudain dans le débat sur le mariage pour tous. Le fait que cette position soit devenue institutionnelle, mainstream puisque portée par le gouvernement de gauche, tend à sortir ses défenseurs de la position (parfois communicationnellement enviable) de David pour les mettre du côté de Goliath. Inversement, les opposants au mariage pour tous, récupérant des techniques de happening auparavant dévolues à ses défenseurs, peuvent avoir le beau rôle, celui des libres penseurs minoritaires qui refusent de passer sous le joug d’une « pensée unique » d’État, majoritaire. La présente photo rétablit d’un coup minorité et majorité à leurs places initiales : les deux jeunes femmes incarnent sans discussion possible la subversion, révélée comme telle par les expressions outrées des manifestants en arrière-plan, la bouche ouverte en un « O » réprobateur.
Le schéma initial (et stéréotypique) est retrouvé : d’un côté le camp de la jeunesse et de la liberté, de l’autre celui d’une génération plus âgée qui s’oppose à la libéralisation des mœurs. C’est donc une photographie qui a tous les atouts pour mobiliser et galvaniser des militants du mariage pour tous, confortés dans leurs attendus et leur perception de la situation.
Romain Pigenel