49 - Les moyens pour faire parler

En attendant sa mutation, le déménagement, la vente de la maison, et l'échéance de deux ans pour que le divorce soit conclut, Jean-Marc va à Saint-Velin chez ses parents certains week-ends.
Pour me voir.
Le rituel du klaxon devant la maison de mes grand-parents maternels pour me prendre. Pour tout le week-end chez ses parents à lui. Week-ends de mort.
Un klaxon d'enfer.
Et à chaque fois. Chaque tentative lorsque je m'assieds côté passager dans le véhicule.

    - Elle est là ta mère ?
    - Non.
    - Ne me mens pas. Je veux lui parler.
    - Et la pension alimentaire ?
    - J'ai pas d'argent.
    - Alors je viens pas.
    - Y'a que ça qui intéresse ta mère. L'argent.

Puis il démarre, énervé. Et ne sachant quoi me dire d'autre. La seule chose qui l'intéresse étant de pêcher des informations sur maman. M'emmenant au cinéma et manger au restaurant avant de se rendre chez ses parents; comme pour faire acte de son devoir paternel. M'emmenant manger au restaurant et voir un film au cinéma pour faire acte de sa participation financière; pour ne pas verser la pension alimentaire. Et ses questions incessantes sur ce que fait ma mère. Si il y a quelqu'un dans sa vie. Sur ce qu'elle me dit de lui...

    - Rien. On parle de tout. Et surtout pas de toi.
Un conflit que j'assume. Un affrontement perpétuel.
La peur ne fait plus partie de moi. Comme un pouvoir que je possède, je veux à mon tour lui faire vivre un enfer. Le manipuler de ma haine. Peut-être pour le pousser à faire l'irréparable et me débarrasser définitivement de lui. Une joue que je lui tend à chacune de nos véhémentes conversations pour obtenir une preuve de sa main portée sur moi, et être libre.
La guerre de ses interrogatoires.
Une guerre implacable à mener.

Il ne saura pas où on habite depuis maintenant deux semaines. La vie chez les grands-parents était devenue insupportable.  Ma grand-mère étant entrée dans le  sinistre comptage des minutes passées sous la douche, dans le vulgaire listing de ses coups de téléphone (heures et durées soigneusement notées sur son carnet) et qu'elle compare avec sa facture détaillée, pour voir si on téléphone pendant son absence. Une vie insupportable que ma mère s'est empressée de fuir au détriment de sa sécurité et de la notre. Maman, Joséphine et moi habitons dans un HLM, au 8ème étage, dans la ZUP de Saint-Velin.

Aujourd'hui, ma lourde tâche est de garder secret  notre nouveau domicile malgré ses incessants interrogatoires, pour protéger ma mère et ma soeur.

    - Ta mère elle travaille toujours ?
    - Ca ne te regarde pas.
    - Vous habitez où ?
    - Merde.
    - Je sais que vous n'habitez plus chez mamie.
    - Merde. C'est clair ?

Le rôle du mauvais garçon. Un nouveau rôle auquel je prends plaisir. Le mauvais fils. Sans respect. Parlant mal. Paroles haineuses. Revanche entêtée qui le dépasse et le déstabilise.

Puis quand nous arrivons chez ses parents. Toujours les mêmes tentatives avec l'aide de sa famille qui se prête au jeu. L'air de rien.

    - Théo, Pépé et moi, on veut t'acheter une lampe de chevet pour ta fête. Elle est de quelle couleur ta chambre ?
    - J'en ai déjà une.

Chaque repas, dans cette salle à manger sinistre, vieille, sous le balancier cauchemardesque de l'horloge comtoise, était une tentative. Une pression que je tentais de ne jamais relâcher.

    - Et l'école, ça se passe bien ?
    - Oui, mémé, ça va...
    - Papa, nous a dis que tu prenais des cours de théâtre...    
    - Oui, ça me plait...
    - C'est où ?
    - C'est au Centre des arts, rue Notre-Dame...
    - Ah, c'est bien ça...
    - Oui, je suis vraiment content, et le prof est vraiment sympa...
    - C'est quand les cours ?
    - Le mercredi après-midi.
    - Ah oui. Tu n'as pas école le mercredi ?
    - Si, le matin seulement.
    - Ah... Et tu manges à la cantine avant d'y aller, du coup...
    - Non j'ai le temps de rentrer, le cours est à côté de la maison...

Silence.

J'ai échoué.