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Emile Boutmy, essai biographique par François et Renaud Leblond

Publié le 06 février 2013 par Mpbernet

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Pour la plupart d’entre nous, le nom d’Emile Boutmy (1836 – 1906) n’évoque pas grand-chose, sauf pour ceux qui, privilégiés comme moi pour y avoir passé trois des plus délicieuses années de ma jeunesse, ont fréquenté la rue Saint Guillaume.

Evidemment, nous savions tous que le nom du grand amphithéâtre avait été donné en référence au fondateur de l’Ecole Libre des Sciences Politiques. Mais qui était-il au juste ? J’avoue n’avoir jamais cherché à savoir … Les auteurs de cet essai biographique avaient, eux, de très bonnes raisons de nous éclairer : François Leblond est un ancien préfet de région, aujourd’hui à la retraite, son fils Renaud est journaliste. Et en plus, ils sont les descendants du frère d’Emile Boutmy … Leur mère et grand-mère Marthe Leblond-Boutmy, a conservé les archives de son grand-oncle et, comme dans un roman d’aventure, les deux auteurs ont redécouvert dans une malle, des écrits inédits de leur aïeul.

Une histoire de famille, mise en abîme elle aussi par la symbiose de deux autres familles : celle d’Emile de Girardin, le fondateur du journalisme populaire, et celle de Laurent Boutmy, père du fondateur de Sciences Po.

Emile de Girardin est le parrain d’Emile Boutmy : tout ce monde communie dans la religion de la philosophie des Lumières (Rousseau, bien évidemment !), de la musique, de la culture, de la curiosité intellectuelle et du journalisme. Quelques années avant la naissance d’Emile Boutmy, son père Laurent et Emile de Girardin créent une Société nationale pour l’émancipation intellectuelle. Dans ce même élan, ils fondent en 1836 Le Journal des connaissances utiles, puis La Presse, premier grand quotidien à prix réduit, financé par la publicité et les petites annonces. Voilà dans quel contexte familial est élevé le jeune Emile, qui, comme son parrain et mentor, l’autre Emile, s’alarme de l’incroyable inconnaissance des mécanismes de l’économie par les députés, les ministres, toute la classe politique en général.

Emile Boutmy est un fervent défenseur des trois libertés fondamentales : celles de la presse, d’association et de réunion. Ce qui, à cette époque, n’est pas du tout évident. Selon lui, la majorité, même démocratique, a toujours tendance à se comporter en dictateur. L’équilibre des pouvoirs ne peut venir que des citoyens exprimant, au cours de réunions et dans les associations, des points de vue différents relayés par une presse libre : la sanctification du débat public en quelque sorte. Mais pour cela, il faut une élite capable de comprendre les réalités de son temps, du contexte international, des évolutions économiques, de lire cette presse qui diffuse les idées et le savoir.

Emile Boutmy veut créer une institution nouvelle, distincte de l’Université, qui s’appuie sur les réalités et élargisse l’horizon des futurs dirigeants. Une faculté libre d’enseignement supérieur pour « refaire une tête au peuple ». « Fondons ensemble, offrons à nos concitoyens, ouvrons aux étrangers une école libre où s’achève l’instruction libérale des classes moyennes. » C’est après le désastre de la guerre de 1870 que prendra forme la prestigieuse institution, financée grâce aux réseaux intellectuels diversifiés (l’école aura pour premiers actionnaires 183 personnalités) sur lesquels Emile Boutmy s’appuie, avec pour objectif de développer la culture générale et de préparer aux emplois de la haute administration. On y cultivera la diversité dans le recrutement des professeurs, ancrés dans la vie réelle, tous spécialistes en leur domaines choisis par Emile Boutmy pendant 35 ans, des enseignements obligatoires en petit nombre mais où les langues vivantes occupent une place importante, des échanges en groupes restreints – les fameuses et toujours actuelles conférences de méthode - des bourses pour les élèves peu fortunés.

Des principes qui ont animé Richard Descoings, directeur novateur foudroyé l’année dernière et aujourd’hui vilipendé dans sa gestion, alors que les réformes qu’il avait engagées font la renommée internationale de l’institution.

Un ouvrage court et d’accès facile, qui remet en lumière cette époque extraordinaire de bouillonnement des idées du tournant du XXème siècle, avec des principes qui restent d’une brûlante pertinence : liberté de l’enseignement, engagement des citoyens dans la cité, autonomie de l’administration à bonne distance de l’Etat et du Pouvoir.

Certes, l'ouvrage ne sera pas un best-seller. Il deviendra cependant la "bible" de tous les étudiants de Sciences Po, ce qui lui assure d'ores et déjà, un tirage significatif - et j'aurais bien aimé pouvoir disposer d'un tel document lors de mes fructueuses années d'études rue Saint Guillaume !

Emile Boutmy, père de Sciences Po, par François Leblond et Renaud Leblond, éditions Anne Carrière, 230 p. 18 €


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