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Gorilla in the smoke

Publié le 07 novembre 2012 par Histoiresdecabincrew
Gorilla in the smoke   A l’époque où je travaillais encore au check-in, je connaissais très bien un représentant local d’une compagnie charter turque. De temps en temps, il me proposait de prester, pendant mes jours disponibles,  des vols ILA (inflight language attendant) pour une compagnie turque.  Celle-ci  opérait, pendant la saison d’été, des vols charter de Bruxelles vers différentes destinations en Turquie . Je faisais l’aller-retour sur la journée. Je n’étais pas responsable de la sécurité à bord, ma tâche  principale était de faire les annonces commerciales en français et en néerlandais sur leurs Airbus 300. Etant donné que la plupart des passagers étaient belges, il fallait aider les crews turcs à bord, si jamais il y avait un problème de communication.  C’était un moyen très commode d’arrondir mes fins de mois.   Cette fois-là, nous décollions pour Antalya.  Dès la fermeture des portes, j’ai effectué l’annonce d’accueil dans les deux langues. Mesdames et messieurs,
Nous vous prions de garder votre ceinture de sécurité attachée jusqu’à l’extinction du signal ‘attachez la ceinture’.
Pour votre sécurité, nous vous conseillons de la maintenir attachée pendant toute la durée du vol si vous n’avez pas à vous déplacer.
Ce vol est un vol non-fumeur et pour des raisons de sécurité, il est strictement interdit de fumer dans les toilettes. Toute infraction entraînera des poursuites judiciaires.
Merci.
   Après une heure et demie de vol, les hôtesses turques qualifiées pour la sécurité à bord,  au nombre de 8 sur l’Airbus 300, venaient de terminer le service petit déjeuner.Tout-à-coup, j’en surprends une qui se glisse comme un blaireau dans le cockpit. Une demi-heure plus tard, elle réapparait. Au seuil de la cabine,  elle se met à se parfumer tout le corps, ses vêtements, ses cheveux. Pire que dans une pub pour Axe, « Plus t’en mets, plus t’en as ! » Je me suis demandé ce qu’elle était partie faire, celle-là… Deux secondes plus tard, une autre a suivi le même chemin.  Après 20 minutes d’éclipse auprès du commandant, elle a ouvert la porte discrètement, et s’est elle aussi parfumée de haut en bas. J’étais perplexe… Les hôtesses de cette compagnie avaient-elles toutes de gros écureuils odorants sous les bras??  Car après elle, une troisième puis une  quatrième ont à leur tour filé dans le cockpit ! Mais qu’est-ce que c’était que ce manège ? Le pilote était-il en train de se les envoyer à la queue-leu-leu ?   Vraiment, il fallait que j’en aie le cœur net ! Quitte à en crever d’asphyxie en leur sniffant leurs gros écureuils, il fallait que je perce le secret de ces hôtesses aux poils nauséabonds. Au moment où l’une d’entre elle s’est avancée vers moi, j’ai retenu mon souffle, puis je lui ai demandé en anglais : « Qu’est ce vous faites dans ce cockpit ?! Je vous vois aller et venir, l’une après l’autre…-   Oh j’allais venir te le proposer. Si tu veux fumer, c’est ton tour : tu peux aller dans le flightdeck. »Je n’étais pas sûr de comprendre : ou elle me faisait une proposition indécente d’une manière très métaphorique, ou… mais tu es sérieuse ?!?  Depuis le début du vol, je me tue à répéter aux passagers, dans toutes les langues, qu’il est interdit de fumer et là, tu me proposes d’aller en griller une !?  C’était gonflé ! A vrai dire, j’avais quand même bien envie de m’en allumer une ! Ce serait à ajouter à la liste de ce que j’ai fait de délirant dans un avion…   Lorsque j’ai ouvert la porte du poste de pilotage, je me serais cru dans un bain turc : des volutes de fumée fuyaient vers moi, m’aveuglant et me faisant tousser.  Mais comment faisaient-ils pour piloter ? Il aurait été impossible de dire si le cockpit était en feu ou si le commandant et les hôtesses étaient habillés en derviches tourneurs.  Asphyxié par les effluves bleues, la tête me tournait comme après ma première cigarette. J’ai fait un pas de plus, en vacillant, et j’ai aperçu trois silhouettes aux contours indistincts.  C’était le mythe de la caverne, je ne pouvais qu’imaginer ce qui se trouvait dans la pièce.  Ce n’étaient pas les commandants qui se tenaient là, mais des chamans en pleine cérémonie sacrée.  J’étais encore en train de méditer quand le brouillard s’est sensiblement dissipé. Je devinais maintenant le commandant de bord, espèce d’armoire à glace velue, la clope au bec, comme une extension de son appareil respiratoire. Il semblait tapoter avec aisance sur les boutons, à l’aveuglette. J’ai pris une bouffée d’oxygène vicié et je lui ai demandé : « Captain, may I have a smoke, please ? -    Yes, yes, smoke, m’a-t-il répondu d’une voix enrouée. »    Quel vaudeville aérien ! Les passagers fumeurs se bourraient de xanax et se prévoyaient d’enchaîner 3 ou 4 cigarettes dès qu’ils mettraient le pied hors de l’aéroport. Dans le même temps, tout l’équipage s’enfilait clope sur clope, à en remplir les poubelles de l’avion de cadavres de paquets et de mégots. L’expression « fumer comme un turc » prenait là tout son sens…

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