On le voit à l'occasion du mariage pour tous, l’État laïc n'incarne pas la neutralité mais un ordre supérieur alternatif à celui de l’Église catholique.
Par Guy Sorman.

Autour du "mariage pour tous" – belle trouvaille pour définir le mariage homosexuel – s'affrontent les deux France : pas la droite contre la gauche mais plutôt la France catholique contre la France laïque. C'est une vieille querelle qui remonte à la Révolution française. À l'autorité du Roi et de l’Église s'opposait alors une religion de substitution, le culte de la Raison qui devint ensuite celui de la laïcité. La laïcité n'est pas la neutralité, on le voit avec le foulard islamique, mais un ordre supérieur alternatif à celui de l’Église catholique.
Entre ces deux cultes, la violence a toujours été la norme, pas le débat. Quand l’État se sépare de l'Église en 1905, la Gendarmerie vide les églises sous le prétexte d'en dresser l'inventaire : des échauffourées avec les fidèles firent des centaines de victimes. Bien des catholiques prirent leur revanche sous le régime de Vichy. Celui qui a le mieux incarné et décrit cette France-la fut Charles Maurras : il se disait catholique mais pas chrétien, plus attaché à l'ordre qu'à la messe. Du coté des Républicains, c'est à un autre ordre que l'on s'attache, tout aussi autoritaire.
Le mariage est un otage de cette querelle. Car, au fond, en quoi l’État devrait-il se mêler du mariage ? Ne pourrait-on concevoir que le mariage soit un contrat civil entre adultes consentants ou un acte religieux ? Sa nature n'exige pas une sanctification par l’État – à moins que l’État soit sacré, ce qu'il prétend être en France. Le mariage sans l’État, j'en viens : mes grands-parents appartenaient à un monde, l'Empire austro-hongrois, où il était loisible de se marier devant une autorité religieuse, rien de plus. Le seul inconvénient, mineur, est que ma grand-mère portait le nom de sa mère, pas de son père. Sauf à l'office, où l'on lui restituait le nom de son père : ils eurent six enfants dont ma mère.
Bref, un gouvernement vraiment attaché à la liberté du mariage devrait annoncer sa suppression en tant qu'acte administratif pour le restituer à la sphère privée ; ce à quoi l'on assiste est clairement le contraire, une bataille pour le pouvoir de l’État sur les individus.
Mon propos apparaîtra pour ce qu'il est : ultra-libéral. Mais comme le disait Michel Foucault dans sa dernière leçon au Collège de France, la pensée libérale est une utopie mais elle est la seule qui propose une libération de l'individu contre les normes autoritaires que cherchent sans cesse à imposer les socialistes à gauche et les conservateurs à droite. On devrait relire Foucault, en ce moment précis.
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