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Des métaphores à l’assaut de la postérité

Publié le 07 février 2013 par Rolandlabregere

Le vote de l’article 1 du projet de loi pour le mariage pour tous a enflammé l’Assemblée nationale. Le débat a ouvert le bal des formules assassines, pas forcément bien inspirées, qui n’ont d’autres fonctions que de faire un titre sur Yahoo ou Google et d’être reprises sur Twitter. Les séances de créativité entre députés UMP n’ont pas abouti à des résultats qui cassent la baraque. Les députés partisans de l’inégalité des droits ont choisi les formules qui ne resteront pas dans les annales de l’humour parlementaire. Trop d’invectives, d’irrespect de la différence, de clichés pour prétendre à figurer dans l’anthologie des discours attachés aux grands débats. En cela, les brouhahas qui ont émaillé le discours chaleureux de Christiane Taubira lors de la présentation du projet de loi sont une forme d’aveu de la pauvreté des argumentaires des opposants.

Entre jugements à l’emporte-pièce, jeux de mots mal dosés et recherche de l’originalité, les opposants semblent avoir misés sur des métaphores sans ambition. Le mariage pour tous incarne pour Philippe Gosselin (UMP, Manche) le risque que la France ne devienne un «Las Vegas du mariage ». Le député Gosselin n’a pas expliqué ce qu’il entendait par cette formule. Il est en concurrence avec les élus du FN qui estiment que le mariage pour tous pourrait ouvrir « la voie à une immigration nuptiale » (Le Monde 30 janvier 2013).  Nombre de proverbes qualifient le mariage de loterie. Est-ce à dire qu’un pays qui serait devenu le « Las Vegas du mariage » serait une grande machine à jouir ? Voilà un élu qui a la métaphore gaie ! Son compère Hervé Mariton, à l’inverse, pense que le mariage pour tous crée un « véritable asile conjugal ». Lui non plus, n’a pas précisé le contenu métaphorique de son astuce. S’agit-il d’un lieu refuge pour personnes maltraitées ou d’un espace d’accueil pour personnes dans le besoin ? On viendrait en France pour se marier parce que cela ne serait pas possible ailleurs ! C’est feindre d’ignorer que d’autres avant nous ont opté pour le mariage pour tous sans subir l’envahissement de hordes sans moralité. La droite est toujours travaillée par l’idée qu’elle imagine si payante électoralement d’agiter les petits fanions de l’angoisse, de la haine de l’autre et de la fidélité à la tradition. Persuadée qu’ainsi elle se montre fièrement républicaine. Pour preuve, l’amendement d'Alain Tourret (Radical de gauche, Calvados) affirmant le caractère républicain de la célébration du mariage est adopté facilement sous les lazzis du parti des conservateurs. « Cet amendement est insultant. Il dénote un véritable mépris pour les maires. Vous insultez la République », s'est insurgé Christian Jacob, orateur hyperbolique du groupe UMP.

Au plus fort d’une période de somnolence, voilà que le député Jacques-Alain Benisti (UMP, Val-de-Marne) est à la tribune. Le mariage pour tous et la PMA vont créer « des enfants Playmobil ». Encore une métaphore du jeu. Recourant à l’antonomase du nom propre, figure qui consiste à employer un nom propre pour évoquer un nom commun, le député commet sans doute la formule qui pourrait survivre aux débats. L’antonomase sera aboutie dès lors que Playmobil désignera seul les enfants des couples de même sexe. Elle pourrait orner les banderoles des prochaines manifestations en faveur de la discrimination et de l’inégalité des droits. De toute la production métaphorique, cette formule porte une signification évidente et explicite. L’orateur dénonce la possibilité d’enfants qui se ressemblent tous, à l’instar des figurines Playmobil. Sa création repose des référents supposés partagés entre les destinataires visés et l’orateur. Ce dernier a-t-il par ailleurs mesuré la portée de la création rhétorique qu’il fait en comparant des personnes à des statuettes standardisées ? L’abus de formules masque le sens des mots. Cela est particulièrement vrai en situation de tension comme le sont, et sans doute le seront, les débats à l’Assemblée nationale. Le ton juste revient à Christiane Taubira qui rappelle à tous la valeur des mots et donc des dispositifs métaphoriques dans lesquels ils sont embringués. Citant René Char, elle clame que « les mots savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ».

Qu’est-ce qui fait courir les députés UMP dans l’usage immodéré des métaphores ? Se pourrait-il que ce groupe ait fait appel à des consultants en créativité pour faciliter la production de métaphores en situation médiatique ? Sans que cela ne soit exclu, il est judicieux de rappeler le contexte d’élaboration de ces métaphores. Quatre critères le caractérisent : une extrême exposition médiatique, une bruyante mobilisation des opposants au mariage pour tous, une simplification et une caricature des arguments des partisans du mariage pour tous et en toutes circonstances, le recours immodéré à des formules choc et aux petites phrases facilement portées par les médias. Traditionnellement, le rôle de la métaphore consiste à établir une image et à agir comme des ornementations de la langue. C’est la fonction poétique des métaphores. Leur présence dans les débats parlementaires les transforme en éléments indispensables à la communication et à la représentation de la pensée. « Enfants Playmobil » est aisément mémorisable et passe pour être compris, repris et acquis par la population cible. Les métaphores quittent leur statut d’ornement pour s’installer au centre du cadre culturel des échanges publics. Elles relèguent le discours à l'arrière-plan.

Les métaphores cherchent à séduire pour se réduire à elles-mêmes. L’argumentaire est inutile. La formulation Enfants Playmobil fait passer le raisonnement à la trappe. On ne peut que remercier les députés soldats de l’UMP de nous le montrer. Les godillots des années Pompidou sont toujours à la traîne.


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