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Divorce pour tous : ni pour ni contre, au contraire !

Publié le 07 février 2013 par Cdsonline

Divorce pour tous : ni pour ni contre, au contraire !

S'il y a encore plus étonnant que les manifestations contre le "mariage pour tous", ce sont les manifestations pour le "mariage pour tous".

"Mariage pour tous" est une formule qui émane directement du discours capitaliste.
Son "pour tous" ne vise en aucun cas un universel mais la somme (et même plutôt la multiplication) des micro-marchés générés par la nouvelle disposition législative.  "Mariage pour tous" ça veut dire "divorce pour tous" et donc renforcement de l'emprise juridictionnelle, de l'aliénation, et last but not least, le développement des niches de marché y afférant, du business juridique à celui de l'immobilier en passant par la floraison des offres marketing ciblées intermédiaires, sans parler de la récolte de l'impôt, les foyers monoparentaux étant la vache à lait de l'administration fiscale…

Cette insistance sur l'aliénation au "grand Autre" est d'autant plus surprenante lorsqu'elle émane de la part de certains psychanalystes qui, depuis Lacan, devraient être avertis que "le grand Autre n'existe pas".

La croyance à l'existence du grand Autre, s'exprime le plus clairement dans la déclaration de l'un des leaders de l'opposition : "On ouvre une faille dans l'interdit..." (Henri Guaino. Télématin, 6/02/2013)

Formellement cette phrase ne veut rien dire — dans la droite lignée de l'injonction "mariage pour tous" dont l'origine commune est le discours capitaliste — ce sont des énoncés dans lequel le sujet de l'énonciation est absent, dégagé, ou plutôt auto-exclu de la responsabilité du propos.

Une "abstraction réelle" pour le dire en termes marxiens.

Quant au contenu, "l'interdit" y est présenté comme une entité auto-suffisante, un bloc déjà là, pré-formé, dont un "on" (un non-sujet de l'énonciation, donc) serait en train d'entamer une prétendue intégrité close sur soi…

Pour Wittgenstein (comme dans la théorie freudienne) est seulement "interdit" ce qui est "impossible" — l'interdit ne se résumant pas à la prohibition, qui n'en est qu'une occurrence seconde — l'inter-dit désignant a priori le réel, l'impossible à dire, ce qui se dit "entre", dans la béance ouverte par l'ordre symbolique.

À la différence des quatre discours répertoriés par Lacan, le discours capitaliste se caractérise par le refus de la limite, de l'impossible, et donc du réel, au nom de… la "réalité" qui n'en est que le produit dérivé second, l'autre nom du fantasme.

Slavoj Žižek (dans "Pour défendre les causes perdues") aborde ces paradoxes du possible, de l'impossible et de l'interdit :

"L'entiére naturalisation (ou l'auto-effacement) de l'idéologie nous impose une conclusion navrante mais inévitable concernant la dynamique sociale globale contemporaine : de nos jours, c'est le capitalisme qui est proprement révolutionnaire. Au cours des derniéres décennies, il a complétement métamorphosé notre paysage, technologiquement, idéologiquement, etc., tandis que la plupart des conservateurs et des sociaux-démocrates, désespérément cramponnés à de vieux acquis, se sont contentés de réagir à ces changements. Dans une telle constellation , l'idée même d'une transformation sociale radicale peut nous apparaître comme un rêve impossible.

Mais ce terme même - "impossible" - devrait nous donner à réfléchir. Aujourd'hui, le possible et l'impossible sont répartis d'étrange manière, chacun se dilatant excessivement. D'un côté, dans le domaine des libertés individuelles et de la technologie scientifique, l'impossible devient toujours plus possible (c'est du moins ce qu'on nous dit) : "rien n'est impossible", nous pouvons jouir du sexe dans toutes ses versions perverses ; des archives entières de musique, de films et de séries télévisées sont disponibles en téléchargement ; le voyage spatial est ouvert à tous (il suffit d'avoir l'argent...) ; à New York, des chirurgiens accomplissent déjà la prouesse consistant à couper un pénis longitudinalement, afin que son heureux détenteur puisse copuler avec deux femmes en même temps ; nous pouvons augmenter nos capacités physiques et psychiques en manipulant le génome et, qui sait, concrétiser le rêve technognostique d'acquisition de l'immortalité par la transformation de notre identité en un logiciel téléchargeable d'un ordinateur à l'autre...

D'un autre côté, et en particulier dans le domaine des rapports socio-économiques, nous aurions atteint l'âge de la maturité, cet âge dans lequel, avec l'effondrement des États communistes, l'humanité a abandonné les vieux rêves utopiques millénaires pour accepter les contraintes de la réalité (comprendre : de la réalité socio-économique capitaliste) avec son cortège d'impossibilités : on ne peut... s'engager dans des actes politiques collectifs (qui aboutissent nécessairement à la terreur totalitaire), ni s'accrocher au vieil État-providence (qui rend non-compétitif et mène à la crise économique), ni s'isoler du marché global, etc. (Dans sa version idéologique, l'écologie égrène aussi sa liste d'impossibilités, essentiellement en termes de pseudo-"valeurs-seuils" - par exemple, le réchauffement planétaire ne devrait pas excéder deux degrés Celsius - établies grâce à certaines "expertises").

Telle se présente la vie dans l'ère postpolitique de l'économie naturalisée : les décisions politiques sont en règle générale exposées en termes de pure nécessité économique - lorsque des mesures d'austérité sont décrétées et appliquées, on nous affirme à l'envi que c'est simplement ainsi qu'il convenait d'agir. Peut-être le temps est-il venu d'inverser ces coordonnées du possible et de l'impossible, d'accepter sagement l'impossibilité de l'immortalité (avec l'omnipotence qui accompagne celle-ci) et d'ouvrir l'espace à des changements sociaux radicaux, en évitant absolument tout fatalisme fondamentaliste. Peut-être ne pouvons-nous accéder à l'immortalité, peut-être faut-il se contenter d'un seul pénis et garantir plus de solidarité et de soins de santé, qui sait ?

Comme toujours dans des cas similaires, nous voilà confrontés au paradoxe familier de l'interdit de l'impossible : puisque le changement radical n'est pas possible, il convient de l'interdire. À la mi-avril 2011, les médias ont rapporté que le gouvernement chinois avait interdit de montrer à la télévision et dans les salles de cinéma tout film ayant trait au voyage temporel et à l'uchronie, arguant que cela introduit de la frivolité dans le domaine ô combien sérieux de l'histoire - même l'échappée fictionnelle dans la réalité alternative est considérée comme trop dangereuse. Nous autres libéraux occidentaux n'avons pas besoin d'interdictions aussi explicites : concernant les spectacles acceptables ou inacceptables, notre idéologie dispose d'une force de frappe suffisante pour empêcher que des protocoles narratifs alternatifs soient pris un tant soit peu au sérieux."

Comme on l'a vu plus haut, l'interdit peut être lu en tant qu'inter-dit et en tant que prohibition.
L'inter-dit concerne la langue, ce qui se dit "inter"… Le logos depuis Platon fonde sa possibilité de dire l'Universel sur l'exclusion d'un excès, un surplus ineffable transcatégoriel qui ne peut se dire, "tout ne peut pas se dire" (l'idée du Bien pour Platon, la Chose-en-soi pour Kant, etc.) non pas parce que ce qui fait butée à ce dire c'est la "réalité" qui y serait visée et qui serait de l'ordre de l'ineffable, qui laisserait sans voix, etc. MAIS BIEN PARCE QUE CETTE LIMITATION EST INHÉRENTE À LA LANGUE ELLE-MÊME.

C'est la différence entre le différentiel et l'arbitraire (là où Lacan s'émancipe de Saussure…) nous avons affaire à l'arbitraire dès que nous considérons que la langue est un système de signes qui fait signe vers quelque chose d'extérieur qui vient la limiter (réalité, pensée soi-disant "pure", sensation "immédiate", etc.) mais dès lors que nous considérons la langue indépendamment de cette limite extérieure, d'un autre ordre qu'elle-même, nous nous trouvons pris dans l'abîme du mouvement circulaire de la langue ne prenant plus appui que sur elle-même, sur son propre différentiel, le signifiant n'étant que la différence avec un autre signifiant.

Ce qui est inaccessible alors, ce n'est plus comme dans l'ordre du signe, la "réalité extérieure", "au-delà des mots" mais au contraire le signifiant "pur" lui-même, la différence entre les signifiants, leur inter-dit. Ce bord interne à la langue fait que le mouvement du signifiant est circulaire, plié en-dedans, conférant à la limitation propre à la langue son illimitation même, autrement dit son manque d'appui. Ce bord intérieur n'a rien à voir avec l'Exception dans son rapport à l'Universel, c'est un blocage immanent qui empêche la "Chose" de devenir elle-même, et ce n'est qu'avec l'expulsion (ex-pulsion) de cet inter-dit que l'interdit devient prohibition, une prohibition positivée de coucher avec sa mère comme exception qui constitue l'ensemble universel de "toutes les femmes avec lesquelles je peux coucher"…

Dans une société où toutes les formes de jouissance sont éprouvées comme affaire de libre choix, de style de vie, et qui est donc une société livrée corps et âme aux exigences du marché (cf. la déclaration de Pierre Bergé sur la non-différence entre "louer son utérus pour faire un enfant et ses bras à l'usine pour travailler") la relation sado-masochiste est immanquablement appelée à flamber comme l'excès venant se substituer à l’autorité symbolique déchue, présentant par sa forme même la "transgression inhérente" à l'injonction de jouissance.

Le moment est peut-être venu de se souvenir d'un apport décisif de la psychanalyse, pour qui le problème n’est pas tant le père autoritaire qui empêcherait de jouir, que le père obscène qui enjoint à jouir, infligeant la jouissance, entraînant par là-même frigidité et impuissance

Dans La culture du narcissisme, Christopher Lasch déclare : 
"Même lorsque les thérapeutes parlent de la nécessité de "l'amour" et de la "signification" ou du "sens", ils ne définissent ces notions qu'en termes de satisfaction des besoins affectifs du malade… "L'amour" en tant qu'humilité et la "signification" ou le "sens" en tant qu'acceptation d'une loyauté plus haute, voilà des sublimations qui apparaissent à la sensibilité thérapeutique comme une oppression intolérable, une offense au bon sens et un danger à la santé et au bien-être de l'individu. Libérer l'humanité de notions aussi archaïques que l'amour et le devoir, telle est la mission des thérapies post-freudiennes, et particulièrement de leurs disciples et vulgarisateurs, pour qui la santé mentale signifie suppression des inhibitions et gratification immédiate des pulsions."

Ainsi conforté dans son "narcissisme pathologique", le sujet narcissique contemporain ne connaît plus du monde que les "règles du jeu social", règles pour réussir, règles pour l'accommodation, qui lui permettent de manipuler les autres tout en se tenant à l'écart d'un véritable engagement sérieux, tant politique qu'amoureux.

Cependant, cet effondrement de l'idéal du moi au profit du moi-idéal n'entraîne-t-il pas le surgissement d'une loi beaucoup plus folle et féroce, un "surmoi maternel" qui n'interdit pas mais inflige la jouissance, l'obligation de jouir, en punissant l'échec social?
Ce "surmoi maternel", par-delà toute identification possible, est ce qu'il y a de plus régressif, et Lacan lui-même l'évoque dans le séminaire sur les formations de l'inconscient comme "le surmoi maternel plus archaïque que le surmoi classique décrit à la fin de l'Œdipe" : "Est-ce qu'il n'y a pas derrière le surmoi paternel, ce surmoi maternel, encore plus exigeant, encore plus ravageant, encore plus insistant dans la névrose que le surmoi paternel?"
Ainsi le "louer un utérus" du lobbyiste peut-il s'entendre, au-delà de la "location", au sens de la louange, louons l'utérus…

Et si la fonction de la loi était de dire ce qui, précisément, ne cesse pas de ne pas se dire, à savoir le fantasme de la virginité de la mère? La sortie du divin utérus est longue, long est l'apprentissage de la finitude…


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