Au-delà du fait que ces photos de Rebecca Reeve sont superbes,...

Au-delà du fait que ces photos de Rebecca Reeve sont superbes, elles véhiculent chacune une histoire, et évoquent l’Histoire.

En effet, cette anglaise a réalisé ce projet étonnant, nommé Marjorie’s World, lorsqu’elle était en résidence aux Everglades et décembre 2012 ; c’est celui que vous avez sous les yeux. Elle s’est inspirée d’une pratique rituelle hollandaise datant de la fin du XIXème siècle selon laquelle, lorsqu’un corps était veillé avant la mise en terre, dans la maison familiale, on couvrait les miroirs et les peintures de paysages de manière à ce que l’esprit du défunt puisse facilement quitter ce monde d’ici-bas. Ça lui a fait considérer l’importance de la beauté des vues de paysages dans nos vies. Elle a donc entreprit de cadrer ses photographies avec des rideaux, puisant également dans les réserves de l’Armée du Salut pour trouver ses tissus. Cet “artifice”, cet “effet spécial”, a deux fonctions : importer dans l’image le passé de la Floride, et servir de connexion entre l’intérieur très civilisé qui est souvent le nôtre et la beauté sauvage des paysages montrés.

C’est évidemment cette dernière fonction qui joue à plein pour moi. Le cadre de rideaux nous rappelle le cosy de l’intériorité, on est en sécurité, en quelque sorte, et la splendeur sauvage frappe d’autant plus par contraste. (Je suis toujours fascinée par le jeu du dedans-dehors, comme on le voit dans la peinture de Bonnard, par exemple. Le chassé-croisé de la symétrie d’un motif de tissu et le savant fouillis de la Nature.) De plus, comme elle le fait remarquer, le rideau est utilisé à contre-emploi : habituellement tiré pour protéger de la lumière, ici il la met en scène.

Plus de photos ici, et une explication de sa démarche où j’ai largement puisé mon commentaire.