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Maintenant que la phase dynamique et "en mouvement" de la campagne du Mali est à son terme, il convient désormais de réfléchir aux aspects non-militaires de la situation. Car si l'on peut dire que le premier effet militaire est atteint (reprendre pied jusqu'aux frontières du pays) et que le second ne sera pas une partie de plaisir (établir un environnement sécurisé : pas gagné car les opposants vont chercher une tactique de harcèlement, cf. ce qui s'est passé cet après-midi à Gao), nous sommes en fait entré dans la phase non militaire de la crise. Et là....
Il convient en effet d'examiner la structure politique malienne. On peut utiliser plusieurs grilles d'analyse qui se superposent et compliquent la compréhension.
1/ Démographie : il faut toujours commencer par la démographie. Au Mali, le point clef est la jeunesse de la population. Plus de la moitié de la population a moins de vingt ans, et l'âge médian est de 16,3 ans. Autrement dit, nous sommes en présence d'une population qui est très impatiente, et qui n'a pas les réflexes culturels de la période coloniale : c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la lecture "néo-coloniale" de la crise n'a pas vraiment de sens, et démontre le biais idéologique de ceux qui l'utilisent. Bref, une très grande attente et peu de réponses, institutionnelles ou économiques.
2/ Institutions. Beaucoup de commentateurs évoquent "l’État malien" ou "l'armée malienne". Là encore, le tropisme occidental est particulièrement trompeur. Car il faut bien constater que cet "État" est une fiction, tout comme les "frontières" (au sens westphalien, linéaire et européen que nous leur donnons trop souvent) n'ont pas de sens. Et si les belles âmes se sont félicité du "modèle démocratique malien" au cours de la décennie passée (en opposition notamment au "chaos ivoirien"), nous apercevons désormais la réalité : ce jeu démocratique n'était qu'une illusion, totalement inadaptée à une réalité "géopolitique" qui en était à mille lieux. Le modèle de "l’État" est particulièrement contesté en Occident, qui l'a expérimenté depuis deux siècles. Le seul problème du Sahel (et de nombreux pays africains et je pense qu'on pourrait étendre le diagnostic ailleurs) c'est celui de la disjonction chronologique : nous croyons en effet que tous les pays du monde vont suivre notre modèle politique de développement (passage lent de tyrannie à des systèmes démocratiques), sans voir que ce processus prend des décennies, et que dans le même temps, ceux qui ont instauré ce modèle le mettent en cause. Autrement dit encore, ces pays doivent mettre en place des formules institutionnelles que nous jugeons dans le même temps inadaptées (cf. les transferts de souveraineté, dérégulations et autres processus de décentralisation que nous pratiquons à tout va depuis trente ans). Ainsi, on demande de mettre en place des structures que par ailleurs nous trouvons inadaptées, et que la mondialisation ne permet plus de conduire des développements isolés. Cette contradiction "logique" est rendue encore plus criante par sa simultanéité.
3/ Politico-religieux. Ainsi, les dirigeants qui se sont succédé ont "laissé faire", tout simplement parce qu'ils n'avaient pas les moyens d'agir autrement. Du coup, l'expression politique s'est déplacée, non dans un jeu politique traditionnel (qui était faussé et inefficace) ni vers les cohérences communautaires d'autrefois (profondément déstabilisées par la mondialisation dissolvante), mais vers des mouvements politico-religieux. Ainsi, on a assisté à la montée en puissance d'un islamisme wahhabite (donc politique et "moderne" malgré l'apparence de son retour à la tradition) en opposition à un islam soufi réellement traditionnel, mais qui ne répondait plus aux attentes politiques, économiques et sociales de la population. Conséquence : il y a plus de wahhabites au sud du Mali qu'au Nord......
4/ Économique. Dernier facteur, celui de la gigantesque corruption, notamment à la "tête de l’État" (et qui explique d'ailleurs que celui-ci ait transféré les débats politiques vers les organisations religieuses, quitte à passer des lois islamiques, demandées démocratiquement par une large part de la population). Corruption donc,pour des raisons politiques mais aussi économiques, puisque dans le même temps les trafics de drogue en provenance d'Amérique du sud se multipliaient. La faillite de l’État malien est aussi la conséquence de notre consommation européenne de drogue. Et un fonctionnaire "agent de l’État", mal payé et irrégulièrement, acceptera de fermer les yeux contre rétribution, qu'il soit douanier, ou militaire. Un jeune s'engagera dans une milice quelconque (anti touareg, pro touareg, islamiste,...) pour gagner qq centaines d'euros.
5/ Militaires : l’État a le monopole de la violence légitime. L'armée est normalement l'expression de ce monopole, de cette souveraineté. L'armée sert normalement à assurer la défense extérieure. Mais comme dans beaucoup de pays africains, l'armée n'a pas servi à cela, mais à assurer une sécurité intérieure, en sus des forces de police, avec des tentations régulières de se saisir du pouvoir. Et nous voici avec une armée à l'image du pays, totalement divisée. Ainsi, on n'envoie pas de Maliens à Kidal mais des Tchadiens. Ainsi, on entend parler de heurts entre factions de l'armée malienne à Tombouctou... Ainsi.... Parler d' "armée malienne", c'est un peu comme de parler d’État malien ou de frontières.... Un mot, non une réalité.
Tout ceci vient s'ajouter aux différences ethniques que nous avons notées la dernière fois dans l'analyse de l'adversaire.
Que faire, donc ? Sachant que :
- des mots comme "mandat" ou "despotisme éclairé" sont bien entendu inenvisageables, puisque appartenant à l'histoire.
- des mots comme "processus démocratique" ne conviennent pas en l'espèce, puisque nous sortons justement de ce processus démocratique et en avons constaté l'échec.
- et que tous les trucs type "Réforme du secteur de la sécurité", "approche globale", "Recamp" "rénovation de la gouvernance" et autres fadaises très chics n'ont pas vraiment fait leur preuve (ah oui : les Américains avaient mis en place depuis quelques années, au Mali justement, un processus de formation des cadres militaires, qui a formé 1/ des putschistes qui ont renversé ATT 2/ des cadres touaregs qui ont rejoint fissa la rébellion pour lancer le mouvement de l'an dernier : belle réussite ! Je suis sûr que si c'est l'UE qui s'en charge, ça va être plus efficace. Forcément ! ).
Autrement dit, si on a vu à peu près l'état final recherché militaire, on est assez attentif à discerner l'état final recherché politique, et ses voies et moyens, ce qu'en bonne planification on nomme "ligne d'opération". Parce qu'en fait, le Mali est un cas supplémentaire de "la fin du politique".
(à suivre)
Billets précédents :
- Mali : et maintenant (2)
- Mali : et maintenant ? (1)
- Mali : Les permanences géopolitiques s'imposent....
O. Kempf