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Ceci est une bouteille (consignée) lancée à la mer ! (2/2)

Publié le 11 février 2013 par Leblogdudd

Ceci est une bouteille (consignée) lancée à la mer ! (2/2) Temps de lecture estimé : 7 min

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Coucher de soleil sur la « Bottle beach », plus connue pour ses bouteilles de verre que son sable fin, à Brooklyn, New-York City, le 12 août 2011 (localisation exacte)  © Julia Wertz (http://www.juliawertz.com/)

Notre précédent article a permis d’explorer les potentiels de cette pratique intrigante qu’est la consigne, à travers l’exemple allemand et des bilans écologiques et économiques réalisés en Europe ces dernières années. Mais qu’en est-il en France ? La consigne y a-t-elle un avenir ? A quels prix écologique et économique ?

Il était une fois, en France…

Figurez-vous qu’en France, le système de consigne existait jusque dans les années 70. Il a fini par disparaître par souci de modernité. Oui, de mordernité ! Pour comprendre les logiques de l’Etat, de l’industrie ou encore de la grande distribution à l’époque, vous pouvez visionner ce petit reportage passionnant (durée : 10min30) diffusé le 21 novembre 1972 au JT de 13h [1] :

Les principales raisons de cette révocation du système de consigne sont en fait principalement marketing et économiques [2] . Les emballages sont en effet devenus un élément marketing puissant : les marques ont voulu marquer leur différence sur celui-ci, multipliant les modèles, et rendant ainsi difficile un ré-emploi de bouteilles venant de marques ou « collections » différentes. Le temps a fait le reste du travail : les consommateurs, distributeurs et industriels ne sont aujourd’hui plus vraiment enclins à voir revenir un tel système, sinon au prix d’efforts monstres et d’une grande capacité d’adaptation.

La situation française actuelle

La pratique de la consigne n’a en fait pas tout à fait disparu en France. Elle existe toujours en Alsace sur des produits locaux, ou encore, dans le secteur des CHR (Cafés, Hôtels et Restaurants) — où plus d’1/3 seraient concernés. Quelques initiatives existent également, à échelle réduite, dans certaines régions. Les collectivités sont de plus en plus nombreuses aujourd’hui, souvent soutenues par l’ADEME, à avoir inscrit la consigne dans leur plan déchet.

Une Première Journée Technique sur le retour de la Consigne a même été organisée le 5 décembre dernier à Boulogne-Billancourt, en présence de techniciens, élus, association environnementales, industriels et institutions. Elle a permis de poser la première pierre d’un réseau permettant de faciliter la mutualisations des efforts et échanges, ainsi que la capitalisation des études et expérimentations, pour une plus grande visibilité globale sur le plan national.

L’ADEME a néanmoins un avis contrasté sur la question d’un retour de la consigne en France : « Au vu des études environnementales disponibles, l’instauration en France de mesures réglementaires généralisées rendant obligatoire la consigne ne paraît pas justifiée. […] Le bilan environnemental d’un système de consigne dépend majoritairement de l’organisation logistique. La mise en place d’une consigne pour réemploi ou recyclage serait donc plutôt à encourager dans des contextes particuliers comme les circuits de distribution structurés des cafés hôtels restaurants ou les circuits ménagers de dimension régionale. » [3]

Illustration avec l’expérimentation d’un système local de consigne

LeBlogduDD s’est entretenu avec Mikael Schneider, coordinateur d’études à l’association Ecoscience Provence [4] . Depuis 2009, l’association suit notamment une opération-pilote de mise en place d’un mini-système de consigne sur le territoire du SIVED, un syndicat intercommunal pour la valorisation et l’élimination des déchets situé dans le Var. Une première étude d’opportunité à été menée auprès des viticulteurs et consommateurs de ce territoire à dominance viticole. L’idée d’un retour à la consigne y a été très bien accueillie.

Une démarche de concertation a permis de travailler sur les aspects techniques en collaboration avec les viticulteurs et la centrale de lavage du coin. Pas si simple ! Parmi les difficultés, il a fallu notamment convaincre la centrale de lavage de prendre en charge des bouteilles aux formes différentes et négocier avec les viticulteurs l’utilisation d’une colle hydrosoluble pour les étiquettes.

L’expérimentation a finalement pu commencer en 2012 avec quatre viticulteurs. L’objectif fixé de 10% de bouteilles retournées par les consommateurs a été rapidement atteint [5] . D’autres viticulteurs s’intéressent aujourd’hui au système et un projet de construction d’une centrale de lavage intercommunale est à l’étude. A la clé, une véritable économie pour les viticulteurs mais aussi pour les communes, car le système assure un recyclage final des bouteilles ramenées [6] .

Pour Mikael Schneider, la consigne apparaît comme une solution intéressante, et l’expérimentation avec ces quatre viticulteurs en est une bonne illustration. Derrière la nostalgie de cette pratique, c’est avant tout un réel bon sens qui se manifeste. Cet exemple montre également que l’échelle très locale est plus adaptée pour produire un système de consigne viable économiquement et écologiquement, notamment parce qu’il permet de réduire la part et le coût du transport entre les commerçants, les consommateurs et les fournisseurs ou co-traitants.

La consigne, oui, mais pas que !

Mais le travail de l’association Ecoscience Provence auprès des commerçants de la région ne se limite pas à la consigne. L’association a créé le label « Commerce engagé » pour mettre en valeur et favoriser toutes les pratiques éco-responsables chez les commerçants, les producteurs et les consommateurs du territoire. Ce programme, évolutif dans le temps, consiste en un cahier des charges précis à suivre par les commerçants qui désirent s’engager sur des actions diverses, de la limitation des sacs plastiques à la distribution de produits éco-conçus, en passant par la mise en place de circuits-courts —  une vidéo à visionner pour avoir quelques exemples concrets.

La consigne a aussi inspiré de nouvelles innovations : la société américaine Envipco a ainsi développé des machines de collecte et de compactage des emballages boisson. En France, la première, distribuée par la société Acteco Recycling, a été installée dans un centre commercial de la région parisienne. Elle invite les clients à y ramener leurs emballages boissons pour les déposer dans la machine en échange de bons de réduction à valoir chez les commerçants partenaires [7] . Une excellente idée ? Il est vrai que les résultats semblent bons. Néanmoins, les bons de réduction reversés aux utilisateurs sont plus de l’ordre de la carotte pour fidéliser le client, car ceux-ci n’ont pas eu à payer de consigne au moment de l’achat des produits qu’ils y déposent. On reste donc loin d’un système de consigne engagé. Néanmoins, les machines commercialisées par la société américaine sont paramétrables et peuvent s’adapter à différentes situations.

Enfin, une autre innovation intéressante est celle commercialisée par la société française Eco2distrib. Elle propose des machines permettant au consommateurs de ramener son emballage en magasin pour le remplir de manière autonome avec le produit liquide de son choix — peinture, lessive, vin, etc. Au final, une réduction des déchets et la maîtrise par le consommateur des quantités achetées en fonction de ses besoins.

Tout comme l’avis officiel de l’ADEME, les conclusions de cet article sont tout en contraste. Bien que potentiellement intéressant et empli de bon sens, au final, un système de consigne ne semble pas être une solution à lui-seul. C’est plutôt la multiplication et la diversification des solutions proposées à l’échelle de chaque territoire urbain qui apparaît comme la meilleure réponse aujourd’hui en France à l’enjeu global de réduction et de valorisation des déchets.

  1. source INA
  2. un historique très complet par le Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets (CNID)
  3. cf. fiche technique de l’ADEME sur la consigne pour les emballages boisson, publiée en novembre 2011
  4. Ecoscience Provence est une association à caractère scientifique agréé pour la protection de l’environnement. Elle fait partie du réseau de la Fondation Nicolas Hulot.
  5. Cet objectif relativement bas s’explique par le caractère très touristique du territoire, où peu d’acheteurs ont en réalité la possibilité de retourner la bouteille chez le viticulteur.
  6. Pour les collectivités, une bouteille qui arrive dans les déchets ménagers revient très cher à prendre en charge (100€ la tonne) contrairement au recyclage (60€ la tonne)
  7. cf. article de Terra Eco daté du 27 septembre 2011 et article de Rue89 daté du 7 octobre 2011

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